Avec le digital, le risque qui fait trembler les dirigeants est celui de l’ubérisation : que de nouveaux acteurs rendent complètement obsolètes les acteurs historiques en servant d’intermédiaire (souvent grâce au digital) entre le producteur (ou l’expert) et le consommateur (ou celui qui cherche un service.) Or, ce danger n’est pas vraiment celui de l’enseignement supérieur. Le vrai danger, c’est celui de la kodakisation !
L’Ecole est déjà plateforme !
En effet, les institutions d’enseignement supérieur ont été des plateformes depuis toujours. Elles ne peuvent donc pas vraiment se faire « ubériser » à moins de passer à coté de leur mission historique. En mettant en relation experts (professeurs), entreprises (partenaires), et étudiants, l’école est déjà plateforme en se plaçant au coeur de l’écosystème de l’économie de la connaissance. Elle ne peut donc pas vraiment se faire prendre la place par une nouvelle plateforme puisque c’est une position qu’elle occupe déjà naturellement.
Et si demain des acteurs nouveaux devaient essayer de détrôner les institutions existantes, il se trouveraient rapidement face à un problème fondamental : préparer un programme de cours, assurer l’excellence académique, animer une salle de classe, autant d’activités qui ne sont pas à proprement parler des questions « digitales ». Les Coursera, OpenClassroom et autres plateformes en ligne ont leur avantage (accès facile, un grand choix de catalogue, etc.), mais elles n’en doivent pas moins s’appuyer – du moins actuellement – sur des « grandes marques » pour assurer l’attractivité de leur offre. Pour le moment, ces grandes plateformes ne remplacent pas les formations classiques, elles s’y ajoutent, ou proposent des accès différents.
Le risque : passer à coté de la prochaine révolution !
Non, le vrai risque est proche, mais absolument différent. Le vrai risque est de ne pas en prendre alors qu’il faut absolument se transformer ! A l’instar de Kodak, la société spécialisée dans les appareils photo et leurs accessoires, qui avait bien vu la révolution numérique arriver, qui avait même été parmi les premier à concevoir un appareil photo numérique, mais qui n’avait pas poussé le produit par peur de mettre en danger l’activité de ses appareils analogiques existants.
A l’instar de Kodak, beaucoup d’entreprises, par peur d’explorer sérieusement de nouvelles activités, tombent peu à peu dans l’obsolescence, et n’arrivent jamais à sortir du trou dans lequel elles se sont enfoncées par immobilisme. Par crainte de « cannibaliser » leur activité existante, elles préfèrent ne pas se lancer sur de nouveaux terrains, peut-être moins rentables ou moins prestigieux mais d’avenir (c’est le fameux « innovator’s dilemma ».) Or, si c’est ce que les consommateurs, utilisateurs ou apprenants cherchent à obtenir, ils finiront bien par le trouver par ailleurs. En voulant protéger leurs marges ou leur prestige, les acteurs historiques perdent en fait leur chiffre d’affaire et au final leur activité !
Oui, les formations en ligne sont pour l’instant moins « prestigieuses » que les formations présentielles (un diplôme de l’ESSEC a beaucoup plus de valeur que n’importe quelle certification Coursera), mais qui sait de quoi l’avenir sera fait ? Surtout que les diplômes en ligne commencent à apparaître, et même parfois dispensés par des institutions historiquement reconnues… Ce qui est aujourd’hui vu comme « bas de gamme » pourrait très bien être un standard dans quelques années, ne fusse que comme partie d’une formation plus complète : les formats digitaux se combinant avec les formats présentiels.
En matière de révolution digitale, et en particulier pour l’éducation supérieure, le risque serait donc celui de ne pas en prendre. Il ne faut bien sûr pas prendre trop au sérieux ceux qui annoncent « la fin des cours à l’ancienne » et un remplacement complet du présentiel par le numérique. La radio n’a pas mis fin à la presse; la télévision n’a pas mis fin à la radio; Internet n’a pas mis fin à la télévision. La nouvelle technologie s’ajoute à l’ancienne, et permet de multiplier les usages, toujours plus adaptés à ceux qui en profitent. Mais il faut absolument « prendre le train » du numérique, sous peine de rester sur le quai, et sans espoir de « deuxième chance ». Car l’enseignement du futur sera à n’en pas douter une combinaison judicieuse de présentiel, de distanciel, d’expérientiel, et de tout ce que recherche quelqu’un qui veut apprendre un sujet pratique ou théorique.
Une université ou une école de commerce qui n’explore pas ce que ces nouveaux formats apportent à l’enseignement « classique » risque donc d’accumuler définitivement du retard le jour où ces nouveaux usages seront généralisés. Il ne faut pas nécessairement être à la pointe, mais il faut prendre le train, au risque de rester sur le quai définitivement.
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Tout à fait d’accord avec cette conclusion, et sur l’angle d’attaque par le modèle Kodak. Chez nous, nous avons l’exemple du marché numérique de la TV numérique manqué par Philips, mais bon.
Il semble que le modèle Uber puisse néanmoins s’appliquer au cours privés, et interrogent le métier de l’enseignant plus directement.
J’aime bien votre vision, je pense moi même qu’il y a beaucoup de choses à changer et pas seulement dans le supérieur, demain l’enseignement sera différent et très loin de ce à quoi il ressemble aujourd’hui. Je suis persuadé que la salle de cours tel qu’elle existe aujourd’hui ne sera plus. Après reste à savoir qui seront les dirigeants (politiques, entrepreneurs, …) et enseignants qui oseront prendre ce risque et sortir de leur zone de « confort ». Je serai ravi d’échanger avec vous sur ce sujet
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