La question du rapport entre les écoles d’ingénieurs et les universités est parcourue par la tentation d’opposer recherche fondamentale et recherche appliquée. Ce débat est visible dans les retours d’audit AERES[1] des écoles qui, d’un côté, reconnaissent à sa juste valeur l’intérêt d’une forte activité contractuelle de ces écoles avec l’industrie, de l’autre s’inquiètent de la part excessive que pourraient représenter des activités « alimentaires » et des possibles dérives qualitatives qu’elles risqueraient d’entraîner dans la production scientifique des établissements concernés.
Ces dérives, toujours possibles, doivent évidemment susciter une certaine vigilance mais nombreuses sont les écoles d’ingénieurs qui ont su réaliser un équilibre harmonieux entre « recherche académique » et « recherche appliquée ». Cela étant, en plaçant la question de la recherche sous l’angle de la position d’un curseur entre applicatif et fondamental, on passe à côté du contenu véritable du sujet, à savoir la production de connaissances et la diversité des voies pour y parvenir. En réalité, il ne s’agit pas d’un problème à une dimension (le curseur) mais à deux dimensions, ou plutôt à deux voies. Car, comme le démontre l’histoire des sciences et des techniques, il y a bien deux voies pour produire des concepts fondamentaux : soit en les attaquant frontalement (science fondamentale), soit en les construisant de manière récursive à partir de matériaux applicatifs. Dans ce second cas, il n’est pas juste de parler de recherche « appliquée », mais plutôt de recherche « motivée » et de contribution à la science « par voie ascendante », de même que la science fondamentale contribue à la technique « par voie descendante ».
De manière évidente, en matière de recherche, Universités et Ecoles sont aujourd’hui engagées dans les deux voies. Mais il demeure que chacune des composantes de l’enseignement supérieur détient une affinité et une pratique privilégiée de l’une ou de l’autre et une expérience (donc une performance) supérieure de la voie ascendante ou descendante dans leur contribution à la connaissance et au savoir. Pour ce qui est des Ecoles d’ingénieurs, leur proximité avec le monde économique, au travers notamment de la recherche partenariale, est un facteur consubstantiel. La matière expérimentale qui nourrit la recherche dans ces écoles provient donc, pour une large part, de questionnements industriels et c’est au final l’exploitation habile de ce matériau qui sera susceptible de soulever des questionnements scientifiques fondamentaux dont la résolution du problème industriel constitue en quelque sorte la première étape de validation.
Sur le plan de la recherche scientifique, le rapprochement entre Universités et Ecoles d’ingénieurs doit avoir pour objectif principal de valoriser ces deux modèles de construction des connaissances. Cela nécessite, entre autres, que les Ecoles puissent conserver les moyens de défendre, d’illustrer et de développer cette « certaine idée » de la science qu’elles promeuvent depuis leurs origines. Or, la transformation des écoles d’ingénieurs en composantes parmi d’autres de vastes universités de recherche dédiées à la compétition internationale selon les critères portés par le classement de Shanghai, notamment l’emphase particulière donnée aux indicateurs et aux démarches académiques, aurait inévitablement des incidences à la fois sur leur modèle actuel de recherche partenariale mais également, et ce qui est plus grave, sur le mode ascendant de création de connaissances.
On commettrait donc une erreur si, au travers de l’intégration excessive des écoles d’ingénieurs dans de vastes ensembles privilégiant une approche académique, on en venait à contrarier la méthode d’investigation et de contribution aux sciences portées par nos écoles. Cette simplification apparente de la géographie de l’enseignement supérieure serait probablement payée du prix d’une déperdition qualitative, à la fois en direction du monde économique et de la science.
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[1] AERES : Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
Plutôt d’accord avec votre approche, mais un exemple de belle harmonie entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée dans votre propre Ecole serait le bienvenu.
D’accord avec vous sur « la simplification apparente de l’organisation de l’enseignement supérieur ». Il faut aller plus loin : les réorganisations en cours n’ont aucune justification scientifique. « Les IDEX sont pires qu’une usine à gaz ».
http://blog.educpros.fr/pierredubois/2010/12/08/idex-pire-quune-usine-a-gaz/
Le gag de la journée concerne la future université unique d’Aix-Marseille. Les présidents des 3 universités actuelles se partagent les responsabilités à venir : à l’un, la présidence de l’université unique, à l’autre, la présidence du PRES et au troisième la présidence de l’IDEX. Pourquoi ce partage du gâteau ? Ils disent que tout cela est fort compliqué. Pourquoi ne disent-ils pas qu’une telle organisation avec trois périmètres différents est stupide ? Pourquoi ne le disent-ils pas alors que l’argent des investissements d’avenir n’est que virtuel ? Les présidents d’université sont-ils devenus fous ?