Rapprochement écoles d’ingénieurs-universités… conclusion : s’inspirer oui, décalquer non

Tout en étant conscient des progrès à faire en matière de gouvernance, il faut veiller à user prudemment des « standards » internationaux (notamment américains) d’organisation et de pilotage des ensembles universitaires.Ils doivent être pris pour ce qu’ils sont : des exemples, hérités de l’histoire et adaptés à un mode particulier de trajectoire scientifique. Il faut être prudent dans l’analyse de la performance de ces systèmes : ce que l’on prend pour des causes de la renommée (la taille, la capitalisation), sont au moins autant ses conséquences. Le modèle de grande université à l’anglo-saxonne est certes mondialement disséminé, mais il n’est pas entièrement le nôtre comme en témoigne la nature, assez inclassable, et pourtant originale et compétitive, de nos écoles d’ingénieurs. Sur ce point précis, comme plus largement sur d’autres, la France ne doit pas douter d’elle-même au point de rejeter à la rivière les pépites qu’elle a entre les mains au motif que d’autres portent fièrement ce qui, de loin, scintille comme des lingots. Le prestige, la visibilité internationale ne sont pas des buts en eux-mêmes, le but c’est la valeur ajoutée d’une institution d’enseignement supérieur et les services rendus à la société à l’économie et au savoir. Et la visibilité, au sens dont il est question aujourd’hui dans les réformes de l’enseignement supérieur, est un des leviers possibles, mais pas le seul, pour atteindre ces objectifs et créer de la valeur sociale, économique, intellectuelle et culturelle.

Au demeurant, même en leurs pays, ces standards de la visibilité ne sont pas les uniques prophètes : ils n’ont pas le caractère universel qu’on voudrait bien leur attacher. Même aux Etats-Unis, de petites universités technologiques pluridisciplinaires, performantes et qui ressemblent fort aux écoles d’ingénieurs, cohabitent harmonieusement et en toute indépendance avec des géants universitaires. Un exemple intéressant est donné par le très prospère et attractif « Stevens Institute of Technology », dont le campus, perché au sommet de la falaise d’Hoboken (New Jersey), fait face, par-dessus l’Hudson, à Manhattan et ses grandes universités mondialement renommées. On peut également citer Caltech, petite pépite au sommet des classements mondiaux…

Ainsi, même le pays (les Etats-Unis) qui donne le ton à la terre entière en termes d’excellence académique et de modèle universitaire a su préserver des institutions de taille petite à moyenne, positionnées sur la recherche partenariale. Nous serons bien inspirés de ne pas oublier cet aspect du pays des standards lorsque viendra le temps de passer à l’acte dans l’instauration d’une nouvelle gouvernance associant étroitement Ecoles et Universités.

Article du on mardi, janvier 25th, 2011 at 9:00 dans la rubrique Enseignement supérieur. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

Un commentaire “Rapprochement écoles d’ingénieurs-universités… conclusion : s’inspirer oui, décalquer non”

  1. Dufourcq dit:

    Je partage cette analyse en trois parties qui éprouve, et prouve, la légitimité des écoles d’ingénieurs généralistes françaises. J’aimerais rajouter trois commentaires :
    – Dans cette chasse aux grandes écoles, il est clair pour tout le monde que les argumentations touchant à l’éthique (élitisme, égalité des chances) ou à la lisibilité internationale (Shanghai) sont souvent là pour masquer un objectif de gouvernance, incarné par l’évolution du paysage universitaire. En réalité, il est paradoxal que cette diversité d’échelles et de missions que propose l’enseignement supérieur soit remise en cause, alors même que les grandes entreprises internationales, et pas seulement le tissus des PME, l’ont adoptée. La mise en application du principe de subsidiarité et la gestion d’une complexité croissante, liée aux stratégies simultanées de développements organiques et de fusion/acquisition, ont en effet conduit les grandes entreprises à développer ces diversités dans leur structuration, leurs marques, leur gouvernance, leur affichage. Pourquoi faudrait-il dans ces conditions que l’enseignement supérieur, dont on prétend parfois qu’il est insuffisamment professionnalisant, se démarque volontairement d’une telle évolution alors qu’il y est structurellement adapté ?
    – Concernant la visibilité j’aimerais rajouter un élément à travers l’exemple suivant : demandons aux consommateurs s’ils achètent souvent des produits de St Microelectronics. Il est probable qu’aucun d’entre eux ne vous répondra en avoir jamais achetés. Pourtant tous en consomment, sans le savoir, et il s’agit bien d’une des plus grandes entreprises européennes, pilotée par des ingénieurs généralistes « à la française ». L’impact d’un établissement d’enseignement supérieur, comme celui d’une entreprise, ne se mesure pas nécessairement dans un classement – la compétition est parfois ailleurs.
    – Concernant l’ingénieur « à la française », et plus particulièrement l’ingénieur généraliste, j’aimerais parfois qu’on le désigne plus comme un ingénieur « sapiens » que comme un ingénieur humaniste. Ce qui différencie un généraliste d’un pluridisciplinaire, c’est l’obligation qui lui est faites de réorganiser ses connaissances dans des classes d’équivalence, dont sa pensée est maître, afin de s’exprimer au travers d’un nombre de problématiques très inférieur au nombre de disciplines scientifiques qu’on lui enseigne. C’est d’une part le prix à payer pour comprendre quelque chose aux sciences, d’autre part la principale vertu d’une formation scientifique complexe qui oblige ainsi à se construire soi-même, de façon unique. Passage vers un savoir individualisé et auto-construit qui naturellement ouvre les portes à l’humanisme, l’ouverture puis l’éthique, qui contrairement à la morale vient a posteriori.

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