Osons l’excellence

Il est sans doute plus facile de dire ce que n’est pas l’excellence que de dire ce qu’elle est, quoique ces derniers temps beaucoup déploient des trésors d’imagination pour en donner des définitions et des illustrations.

L’excellence n’est pas une qualité absolue et rare, qui serait réservée à quelques « happy few ». C’est une qualité relative et accessible à tous les individus et toutes les organisations.

L’excellence n’est pas la perfection, mais l’aptitude au perfectionnement, qui suscite innovation et création de valeur.

Elle n’est pas une Appellation d’Origine Contrôlée, conquise de haute lutte et jalousement protégée. Pas davantage un label, sur lequel je ne sais quel Office aurait la charge de veiller.

L’excellence n’est pas un capital, mais une capacité. La longueur des références bibliographiques, le volume des coffres des Fondations, la profondeur des cerveaux, sont certes des indices, mais nullement des indicateurs. Il faudrait plutôt regarder du côté de ce que les dynamiciens appellent « quantité de mouvement » pour esquisser un indicateur qui caractérise correctement l’« élan vital » de l’excellence.

Je ne vois guère que trois ingrédients qui qualifient ensemble l’excellence : le talent, la vision, le courage. Les données contextuelles, hasard et circonstances font le reste.

L’excellence étant ainsi définie comme un cheminement porté par ces trois qualités, les données initiales de l’excellence sont certes importantes, mais essentiellement statiques. Elles représentent un capital, mais ne tiennent pas lieu de vision, ne garantissent pas une impulsion et ne caractérisent pas une dérivée positive dans la progression.

Quel regard porter sur la méthode à l’œuvre dans les initiatives d’excellence ? Ce qui filtre des projets « Initiative d’Excellence » (IdEx) me laisse une impression de prudence excessive, d’audace mesurée. Et j’en arrive à conclure que, s’ils incorporent bien le talent, ces projets laissent assez largement de côté la vision et le courage. Ils ne privilégient qu’un des trois ingrédients de l’excellence.

Comment pourrait-il en être autrement ? Au centre du jeu, leviers et moteurs proclamés de l’excellence et incluses dans son « périmètre » (qu’y a-t-il donc à l’extérieur de ce périmètre ?), les unités et entités cataloguées « A+ » par l’AERES. Cette donnée est pratiquement un axiome de départ.

Même s’il ne saurait être parfait ni entièrement dépourvu de subjectivité, le travail d’évaluation fait par l’Agence est globalement remarquable et très profitable. Le propos n’est donc pas ici de le critiquer, mais de suggérer qu’il y a une forme d’abus à le vouloir utiliser pour des fins qui ne sont pas les siennes et plus précisément à confondre la mesure qu’il donne avec un prédicteur de développement de la science et de l’innovation dans ce pays.

La cartographie AERES est, pour l’essentiel, une photographie instantanée au regard de l’échelle temporelle qui est celle des investissements d’avenir (un quart de siècle pour fixer les idées). Cette évaluation identifie bel et bien des unités talentueuses, mais dit peu de chose sur leur capacité à innover. Or, c’est précisément pour accélérer l’innovation, autre mot-clé des investissements d’avenir, que la Nation a décidé d’investir fortement.

Parallèlement, d’autres unités moins bien évaluées sont pour l’essentiel, à l’écart du processus d’excellence en cours. Il y a là une approche oublieuse des véritables moteurs de l’innovation. Il est en effet, dans la cohorte des « B » ou « A », un certain nombre d’unités qui doivent leur évaluation à un positionnement non stabilisé, à profil jugé trop pluridisciplinaire (ou peu lisible), à des axes peu conformistes, à une création récente (qui ne permet pas d’afficher des acquis bibliographiques suffisants).

Dans le même temps, n’est-il pas vrai que l’histoire des technologies est, pour l’essentiel, faite d’innovations imprévisibles et dont les porteurs (individus ou équipes de recherche) n’eussent pas franchi la barre d’une quelconque évaluation ! N’est-il pas avéré que la quasi-totalité des autorités académiques légitimes balayaient en leur temps d’un revers de main quantité d’idées audacieuses jugées sans lendemain et pourtant promises  à un bel avenir ? Ce n’est pas en faisant comme tout le monde que l’on innove, mais plutôt en faisant le contraire. Cette condition est souvent nécessaire, mais jamais suffisante, empressons-nous de le préciser! On trouve en effet, dans la catégorie atypique ou oppositionnelle, bon nombre d’individus insensés ou de folles initiatives. Mais c’est précisément pour cela que la détection du potentiel innovant est très difficile…

Les démarches scientifiques exploratoires, à visée technologique, à haut risque, mais à retour potentiellement élevé, sont donc relativement peu représentées au premier rang de la photo AERES, là précisément où sont choisis les invités au festin de l’excellence. Or, n’est-ce pas précisément sur celles-là qu’il conviendrait de miser une partie substantielle des crédits du grand emprunt pour escompter un important retour sur investissement ? L’ambiguïté de la construction actuelle des initiatives d’excellence est qu’elle s’inscrit dans un paradoxe insoluble où l’on essaie de minimiser la prise de risque (voir par exemple les garanties à 4 et à 10 ans demandées aux porteurs de projets) tout en exigeant que l’investissement soit hautement productif. Cet exercice revient à réclamer, de placements de pères de famille, qu’ils atteignent la performance des hedge funds…

Il me semble donc que les porteurs et les prescripteurs de projets d’excellence auraient tout intérêt à s’autoriser davantage – comme disent les anglo-saxons – « à penser en dehors de la boîte » et à démarquer leur référentiel du balisage AERES. Une plus grande culture du risque permettrait sans doute aux IdEx de déboucher sur un nombre plus significatif d’actions à haut potentiel d’innovation.

Je n’ignore pas qu’il est difficile de concevoir des placements à risque dans le contexte actuel, très contraint. Mais cette stratégie est indispensable, faute de quoi la trajectoire de l’excellence qui s’amorce actuellement pourrait bien passer à côté des grandes cibles.

Article du on mardi, février 1st, 2011 at 9:00 dans la rubrique Enseignement supérieur. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

2 commentaires “Osons l’excellence”

  1. Christine Vaufrey dit:

    Superbe billet sur une notion qui est un peu mise à toutes les sauces dès que l’on veut « vendre » cher un label, une réputation, un produit… Le goût du risque, qui est aussi celui de l’aventure, semble toujours faire défaut aux administrateurs en chef des établissements supérieurs… je relie ce constat au statut qui est fait à l’erreur dans l’ensemble de notre système éducatif. Etre « excellent » sans jamais s’être trompé, est-ce possible ? Ou bien, faut-il ne voir dans la définition frileuse de l’excellence que vous pointez, qu’un moyen pour ne financer que la réussite, laissant le coût de l’erreur et de l’expérimentation à d’autres ?

  2. Dubois dit:

    La chronique est… « excellente », mais elle est fort prudente, prend trop peu de risques. Il faut appeler un « chat » un « chat ». Il aurait fallu arrêter tout de suite ce qui est « pire qu’une usine à gaz » (chronique du blog « Histoires d’universités » : http://blog.educpros.fr/pierredubois/2010/12/08/idex-pire-quune-usine-a-gaz/

    Mais hélas aucun président d’université ou directeur d’école n’a osé dire « nous refusons d’y aller » (sauf un moment la présidente de Montpellier 3, mais elle s’est fait remettre dans les clous).

    Pire. Les réponses à l’appel à projets IDEX ont été bâclées, écrites à la va-vite par des petits comités ou quelques individus sans mandat, ou même sous-traitées à des officines externes (pour être écrites dans un anglais correct !). Il faut le dire : les projets d’IDEX n’engagent pas les forces vives des établissements, celles qui sont porteuses d’innovations pour les années à venir.

    Faible lot de consolation. Les IDEX sont sûrement mort-nées. Les milliards d’euros ne sont que potentiels. Quelle sera la situation budgétaire en 2015, année où le « vrai argent » des IDEX devrait exister enfin, personne ne le sait !

    Il faudra suivre de près le fonctionnement et les décisions du jury international. Ce serait tellement mieux si la plateforme de blogs d’EducPros devenait une communauté de blogueurs, discutant régulièrement de thématiques clés. Votre chronique pourrait être un « excellent » point de départ d’un tel débat : chacun des blogueurs devrait être incité par la rédaction d’EducPros à s’y investir. Merci pour cette chronique et bien cordialement. Pierre Dubois

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