L’édition du journal « Les Echos » publie aujourd’hui un article, qui mériterait peut-être davantage le qualificatif de libelle, d’un haut responsable de l’enseignement supérieur sur la diversification des formations d’ingénieurs (http://www.lesechos.fr/competences/formation/0201127024952-diversification-des-formations-d-ingenieurs-la-position-de-jean-charles-pomerol.htm).
Directeur d’une école qui a fortement investi dans les nouvelles formations d’ingénieurs, notamment par la voie de l’alternance, je ne suis pas de ceux qui considèrent ce sujet comme tabou, bien au contraire. Ce n’est donc pas le fond, mais davantage la forme et la construction scientifique de l’argumentaire de ce distingué collègue qui me chagrine.
Commençons par dire que l’éloge de la diversité est un noble principe, mais qu’il est étrange de l’appuyer sur cet autre principe, franchement détestable et qui la contredit, j’ai nommé le dénigrement. Les écoles d’ingénieurs apprécieront ainsi de savoir que leur travail se résume à offrir, à « des jeunes en pleine force intellectuelle« , « trois ans fort mal employés ». Ces propos lapidaires suffisent à comprendre que l’intention de l’auteur n’est nullement de plaider pour la diversité, mais plutôt « de promouvoir des solutions alternatives en dehors du système des écoles« , « en dehors » étant le principe moteur de sa démarche. Une fin en soi en quelque sorte, aucune voie alternative n’étant à l’évidence possible « en dedans »…
Selon Monsieur P., les études d’ingénieurs consacrées par la CTI se résumeraient à une séquence en deux-temps : deux ou trois années de « bachotage » , suivies de trois autres années, non seulement inutiles, puisque les élèves « sont sûrs de sortir avec le diplôme« , mais de plus néfastes puisqu’ils y « perdent tout contact avec la recherche« . Assurément, assène-t-il enfin, « nos formations d’ingénieurs ne s’appuient pas assez sur la recherche en science et technologie […] même si certaines écoles » (de timides et pathétiques efforts, n’est-ce pas ?) « ont des laboratoires« . C’est le florilège presque complet des lieux-communs que les écoles, patiemment, s’efforcent de débusquer à longueur de temps et qu’on s’attriste de découvrir sous la plume de cet universitaire expérimenté qu’est Monsieur P.
Je passe sous silence l’invocation simpliste de standards internationaux de l’éducation à l’ingénierie, par rapport auxquels le système français serait déviant. Au même titre, j’imagine, que la culture française est une déviance sensorielle, le TGV, une déviance ferroviaire et la Tour Eiffel une déviance architecturale… Méconnaissance de la réalité des écoles, ou insolente polémique, pourtant, affirme-t-on : « voici brossée à grands traits la situation« . Et le journal de qualifier un tel condensé de mauvaise foi de « relance du débat« …
Puisque des exemples valent mieux que de longs discours en réfutation, je lance à mon collègue une invitation à passer quelques jours dans les murs de mon école. Il y sera d’abord bien reçu. Il pourra ensuite y constater qu’un élève ingénieur civil sur deux suit en parallèle un master recherche. Il n’y verra enfin guère de laboratoires qui « ne servent pas assez à soutenir l’enseignement« , ni davantage de « formation déconnectée des laboratoires« .
Je serais heureux si ce séjour avait pour vertu d’inciter mon collègue à recentrer son discours sur les véritables enjeux de la diversification. Et de le convaincre qu’une opinion n’a décidément pas besoin, pour être forte et convaincante, de se parer des atours grossiers de l’outrance.
Si il est vrai que le texte de M. Pomerol est provocateur et radical et que ça façon de stigmatiser les grandes écoles ne fait pas vraiment avancer le débat, je trouve qu’il soulève tout de même des points qui méritent d’être discutés :
– Le bien fondé des classes préparatoires : elles produisent il est vrai des élèves à hautes compétences mathématiques et physiques, mais au prix d’une préparation d’une exigence à mon avis démesurée, et pour certains élèves (moi, pour prendre un exemple que je connais bien !) d’une souffrance psychologique forte.
Par leur mode de fonctionnement basé sur la hiérarchisation totale des élèves, elle conduisent à une hiérarchisation absurde des écoles dans laquelle l’école d’informatique de Périgueux est « meilleure » que Chimie Besançon.
Enfin, par leurs apparats de « filière d’excellence » (ou par les corollaires du point 1: « dégoût des sciences » et du point 2: « sélection hasardeuse de l’école »), elles attirent des élèves qui y étudient des domaines qui ne les intéressent pas alors qu’ils auraient pu s’épanouir dans des filières différentes, « vampirisant » ainsi les dites filières.
– Le cloisonnement école d’ingénieur/filières universitaires: Si comme vous, je pense profondément que l’ingénieur à la française est un modèle à préserver, je m’attriste du peu d’interaction entre les universités et les écoles d’ingénieur. N’y a-t-il pas de synergies à trouver ? Est-ce que par exemple les écoles d’ingénieurs ne pourraient pas utiliser les fortes compétences en sciences sociales existant dans les universités ? Est-ce que par exemple les universités ne pourraient pas profiter des forts liens avec l’industrie en termes de recherches et d’enseignements existant dans les écoles ? Et surtout, est-ce qu’il ne serait pas enrichissant pour les élèves des deux bords de se côtoyer et d’interagir au sein de cours ou même d’associations communes ?
Pour parler de ce que je connais mieux, je trouve que l’isolement des élèves d’écoles d’ingénieur conduit parfois à une certaine fermeture d’esprit et à une uniformisation des mode de pensée dommageables, mais j’imagine que le pendant existe en université…
Je ne suis pas spécialiste de ces questions mais d’une manière générale, j’aime à penser que la mise en commun de moyens et de compétences ne peut qu’être positive, si bien sûr les spécificités de chaque modèle sont respectées.
Moi même élève dans votre école, je vous remercie de partager vos avis que je lis avec attention sur ces questions qui m’intéressent beaucoup !
Le professeur Pomerol défend sa boutique, n’est-ce pas tout ? Cela fait des années qu’il met en avant la nécessité de créer une identité UPMC, un sentiment d’appartenance, un esprit de corps, des mugs, des t-shirt, du bling bling (en disant cela, je ne remets nullement en cause la qualité de ce qui s’y fait en science et en enseignement). Or, de la même manière que l’AERES souhaiterait s’emparer du butin de gloire que sont les écoles d’ingénieurs, monsieur Pomerol souhaiterait que le marché soit “plus ouvert”, pour que son entreprise puisse s’y glisser. Nul doute qu’à l’UPMC, dès la licence 2, l’enseignement s’appuie sur la connaissance en train de se faire, au feu les livres classiques…
Bientôt, des argumentaires pour la sélection en L1, pour les frais d’inscription, qui iront faire des contorsions sémantiques pour justifier ce qui est, essentiellement, un objectif de compétitivité dans un environnement que le président a souhaité concurrentiel.
[…] Lire la réaction du directeur dans un billet intitulé Pourquoi tant de haine, Monsieur P. ? […]