Bon sens, suspends ton vol !

Le paysage universitaire français est pour le moins mouvant, mais le référentiel du bon sens l’est au moins autant. On peut même se demander si un couplage ne serait pas en train de s’installer entre les deux. On pourrait alors redouter que la dérive du bon sens ne fasse un jour échouer nos universités sur de tristes rivages.

Je relis plusieurs fois le contenu d’une dépêche publiée le 8 juin par AEF (N°151223) pour m’assurer que je ne suis pas victime d’une hallucination. Mais non. C’est bien d’un éminent fonctionnaire de l’Etat qu’émanent ces propos surprenants : « Nous devons trouver des clés de lecture pour expliquer aux industriels concernés ce que sont concrètement les IRT, les IEED et les SATT. C’est un sujet sur lequel nous devons travailler ».

J’ai la faiblesse de penser qu’en toutes circonstances, c’est l’Etat qui parle par la bouche d’un haut fonctionnaire. Aussi, pour qui était convaincu que les dispositifs technologiques des investissements d’avenir avaient précisément pour cibles l’innovation, l’économie et les emplois et qu’ils devaient en conséquence être construits pour et avec les industriels, c’est la douche froide. Ainsi, nous nous serions livrés à un exercice de cryptologie ? Le monde de l’enseignement et de la recherche aurait envoyé aux industriels, au lieu d’un message en clair, une note codée et nous serions mis en demeure, par les mêmes commanditaires, de mettre maintenant la main, toutes affaires cessantes,  sur une clé de décodage ?

Dans le temps, on n’avait pas de tels scrupules. Lorsque le bûcheron de Perrault conduisait ses enfants mal-nourris à leur perte dans la forêt profonde, il ne glissait pas en douce une poignée de cailloux dans la poche du Petit Poucet, tout en lui susurrant à l’oreille d’en lâcher un de temps en temps sur le sentier. Et lorsque le même Poucet choisissait la fuite, ce n’était pas sur la pointe des pieds, mais sur la semelle des bottes de Sept-Lieues. Tel était le bon sens, jadis, jusque dans les contes, ce même bon sens qu’on désespère de rencontrer aujourd’hui, dans la vraie vie.

Dans la même dépêche AEF et dans cette autre (N°151287) relatant l’audition des responsables de l’ANR devant la Mission d’Evaluation et de Contrôle de l’Assemblée Nationale, je relève plusieurs fois le mot « complexité » traité sur un mode positif. « La gouvernance des investissements d’avenir peut apparaître complexe, mais je crois qu’elle est adaptée à l’enjeu » dit une autorité de l’ANR, « il ne faut pas avoir peur de la complexité » renchérit un fonctionnaire chargé de la compétitivité et du développement des PME (dont l’esprit entreprenant, comme chacun sait, n’est maintenu en éveil qu’à grand renfort de complexité).

Comme si, dans tout ce qui se passe, la complexité était davantage l’indicateur de la réussite qu’un symptôme d’inefficacité.  Comme si, de tout temps, la puissance publique n’avait pas eu pour missions suprêmes d’éclairer et non d’obscurcir, de mettre a priori en confiance plutôt que de désamorcer a posteriori les peurs. Comme si le monde de la recherche et de l’industrie, pour se développer, n’avaient pas avant tout besoin de messages et d’instruments simples…

Mais nous sommes actuellement dans un processus logique radicalement différent. L’enseignement supérieur et la recherche étaient complexes ? Illisibles ? Incompréhensibles ? Efforçons-nous donc à neutraliser cette complexité là par une autre, dans l’espoir que l’arithmétique de la complexité transforme, elle aussi, moins par moins en plus ou que la complexité obéisse, comme l’homéopathie, au traitement du mal par le mal !

Pourtant, là encore, une certaine sagesse populaire prétendait voilà peu que les situations complexes devaient trouver des solutions simples. Et une autre affirmait, sur un mode populiste cher à Coluche, qu’un technocrate parachuté au Sahara y trouverait le moyen d’y justifier la nécessité d’importer du sable. Le même technocrate, aujourd’hui parachuté dans les Satt, avec un « A » comme « accélération » et « T » comme « transfert », crie au scandale de l’embouteillage, les deux pieds enfoncés sur la pédale de frein !

Attention, dans une telle ambiance, la sagesse Shadock va finir un jour par triompher ! Mais à vrai dire, elle gagne d’ores et déjà du terrain. Dépêche de l’AEF : un parlementaire se déclare surpris de « l’élan et du dynamisme » suscités par les investissements d’avenir. Cet élu se voit répondre en substance que la mobilisation et l’enthousiasme sont au rendez-vous dans la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pourtant, n’avez-vous pas aussi rencontré, dans votre entourage, de ces collègues qui partent à la pêche aux investissements d’avenir animés du même état d’esprit que ces malheureux volatiles extraterrestres, avec le même soupir désabusé au coin du bec : « mieux vaut pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire si on ne pompe pas » ?

Article du on vendredi, juin 10th, 2011 at 19:44 dans la rubrique Enseignement supérieur. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

Un commentaire “Bon sens, suspends ton vol !”

  1. Portail automatique dit:

    merci pour cet article 😀

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