Entracte

Pour la communauté universitaire, la césure estivale n’aura sans doute jamais mieux mérité son nom de « trêve », dont le sens premier, rappelons-le,  est « suspension temporaire des hostilités ».

« Hostilités »… Le mot est trop fort, sans doute.  Pourtant, n’a-t-on pas assisté, dans l’année écoulée à une espèce de lutte généralisée, à ciel ouvert et sans merci entre confrères, entre unités, entre établissements, entre sites ? Des vainqueurs et des vaincus n’ont-ils pas été désignés ? N’avons-nous pas croisé ici et là des troupes s’élançant vers le front, la fleur au fusil, musique en tête et sous le regard martial et bienveillant des généraux ?

N’avons-nous pas vu ensuite, marchant vers l’arrière, les rangs clairsemés des lutteurs recrus de fatigue, de retour d’hasardeuses confrontations, certains découragés, d’autre écumant d’une ardeur de vengeance ? Et n’y a-t-il pas eu, dans ces épisodes, des phases qui ressemblaient à des grandes manœuvres en rase campagne et d’autres semblables à d’interminables face-à-face au travers des barbelés, avec les tirs d’artillerie et les patrouilles à heures fixes, histoire de bien faire savoir à l’adversaire qu’on ne cèdera pas de terrain ?

Une trêve sert d’abord à se reposer et à refaire des forces. Et pardi, nous en avons tous bien besoin, soumis que nous fûmes, des mois durant, au rythme effréné du Programme Investissements d’Avenir et de ses organes exécuteurs. Alors oui, chers collègues, prenons sans autre forme de culpabilité de VRAIES et de LONGUES vacances ! Ne nous laissons pas impressionner par ceux qui ne lâcheront ni le fusil ni la carte d’Etat-Major durant l’été. Ne craignons pas leur regard réprobateur. N’imaginons pas qu’ils prendront sur nous un réel avantage. Considérons plutôt qu’ils feront un mauvais calcul. A l’évidence, il faudra, à la rentrée, des troupes fraîches et reposées au grand soleil, non pas des piliers de forteresse nourris tout l’été de rations moisies et imprégnés d’obscurité.

Une trêve permet aussi de digérer les événements passés, d’en tirer des enseignements « à tête reposée », de prendre du recul et d’envisager de nouveaux angles tactiques.

Pour les chefs d’établissement, un des devoirs de vacances va consister à imaginer des approches innovantes pour démêler certains casse-têtes administratifs et institutionnels résultant des Equipex, Labex, IEED et autres IRT. Le cahier des charges de ces instruments est pour nous assez clair et s’énonce en trois points. Ils doivent ainsi:

  1. être rendus simples d’emploi pour les équipes scientifiques concernées, faute de quoi celles-ci ne pourront pas utilement se les approprier
  2. préserver la cohésion des établissements de rattachement, condition sine qua non de leur performance opérationnelle
  3. être gérés conformément (et donc s’adapter) aux réglementations régissant les institutions publiques que nous sommes

J’ajoute que ces nouveaux dispositifs doivent représenter une valeur ajoutée indiscutable (et notablement supérieure aux efforts consentis pour les obtenir) pour l’excellence des équipes et des établissements qui en bénéficieront. Cette exigence est, en principe, un axiome fondateur des investissements d’avenir. Pour autant, elle n’a  sans doute pas la robustesse du postulat d’Euclide. Il importe donc que nous sachions reconnaître, parmi nos succès aux PIA, d’éventuelles situations qui s’avèreraient, en seconde analyse, des victoires à la Pyrrhus. Il faudrait alors en tirer les conséquences, pour les corriger et ne pas les réitérer.

Enfin, la trêve permet de se préparer mentalement à ce qui va inévitablement suivre, à savoir la reprise des hostilités. La seconde phase des IDEX va à l’évidence être la grande affaire de la rentrée. Les commentaires qui ont parcouru la première vague de sélection, 7 sites finalistes et 3 sites lauréats, avec à chaque étape son lot de surprises, réelles ou feintes,  esquissent à grand traits la stratégie des acteurs en présence.

Les candidats malchanceux à une épreuve ont un mode bien connu de réaction à l’échec : (i) ils sous-estiment leurs forces originales, les jugeant irrémédiablement insuffisantes pour obtenir le résultat escompté, (ii) ils consacrent trop peu de temps à analyser leurs faiblesses intrinsèques, (iii) ils s’efforcent de coller à tout prix aux qualités (supposées) des heureux lauréats, voire de les singer, (iv) ils cherchent à déduire, des résultats précédents, l’algorithme (supposé) suivi par le jury de sélection.

Résultat ? La plupart du temps, leur nouvelle présentation, standardisée et d’un conformisme contre-nature, a perdu sa fraîcheur et son originalité (si l’on veut savoir de quel processus auto-adaptatif je parle, lire le savoureux rapport de Mme Geneviève Pappalardo sur le concours d’entrée à l’ENA). Parallèlement, les défauts qui leur ont fermé la voie du succès n’ont été en rien corrigés. Conséquence : un nouvelle échec, par application de ce principe archi-connu selon lequel l’original est toujours préféré à la copie. Sauf si le jury tombe dans le panneau, soit parce qu’il est effectivement animé de l’état d’esprit qu’on lui supposait, soit par lassitude, soit pour des motifs « d’intérêt supérieur ». Aucun de ces cas de figure n’est totalement improbable, mais cela n’en rend pas moins tout à fait navrante la composition de façade du candidat.

Que s’agit-il de copier d’ailleurs ? Au motif que les trois lauréats IDEX actuels ont en commun une compacité institutionnelle ou culturelle, une taille réduite, une géographie simple et des projets circonscrits, faut-il pour autant conclure que ces paramètres sont nécessaires ou suffisants pour « décrocher un IDEX » et par là-même, gommer des projets IDEX à venir toute déviation de ces paramètres « idéaux » ? Le bon sens pousserait à écarter ce raisonnement simpliste et à considérer que, dans ces trois cas, nous sommes avant tout en présence de très bons projets dont le format, mesuré par les paramètres susdits, n’est que la traduction induite.

Hélas, ce ne serait pourtant pas la première occurrence, dans cette croisade pour l’excellence universitaire, d’inversion entre les causes et les conséquences. Il est donc à craindre que la rentrée ne s’ouvre sur un grand lifting des projets IDEX résiduels, à commencer par les plus massifs et les plus complexes. Il pourrait s’agir davantage de se lancer dans une chirurgie de projet pour l’adapter à une gouvernance « idéale » que d’imaginer une gouvernance innovante pour porter un projet authentique. Le risque d’un processus de contraction, donc d’exclusion, est réel. La montgolfière d’un IDEX, pour s’élever à tout prix, pourrait n’embarquer qu’un très petit nombre de passagers, quitte à transformer en lest certains membres de l’équipage…

Voilà qui pourrait perturber quelque peu nos journées de farniente et nos nuits réparatrices d’ici le mois de septembre. Mais non : à chaque jour suffit sa peine et aujourd’hui, le repos est une peine qu’il nous faut à tout prix nous imposer.

Alors : vacances d’excellence à toutes et à tous !

Article du on jeudi, juillet 14th, 2011 at 22:21 dans la rubrique Enseignement supérieur. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

Un commentaire “Entracte”

  1. Dubois dit:

    Le retraité que je suis a le bonheur d’être en vacances perpétuelles et de n’être impliqué dans aucun IDEX ou bidulex. Vaut-il la peine de vous investir dans l’IDEX 3 de Lyon Saint-Etienne ? J’en doute. Je doute que les intérêts du capital IDEX n’arrive jamais à leurs lauréats… ou trop tard.

    La situation de Strasbourg est ainsi fort paradoxale. « Strasbourg, gagnante ou perdante ? » http://blog.educpros.fr/pierredubois/2011/07/05/strasbourg-gagnante-ou-perdante/

    Vous êtes directeur d’une grande Ecole. Il va se passer des choses bien pires que les IDEX dans les licences universitaires, cf. mes dernières chroniques.

    Toujours autant de plaisir à lire vos chroniques décapantes. Je doute que vous puissiez prendre d’excellentes et reposantes vacances dans le contexte présent. Au moins, vous avez la volonté d’eesayer et je vous y encourage ! Cordialement

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