Réflexions autour du « droit à l’excellence »

Publie par philippe.jamet le octobre 14th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  4 Commentaires

Le 11 octobre se tenait à l’Ecole Militaire un colloque organisé à l’initiative de l’association Réussir Aujourd’hui, de l’ESSEC, de l’ENA, de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne sur le thème « Les études d’excellence, un droit pour tous » (sous-titre : banlieues et diversité, comment le mettre en œuvre ?).

L’association Réussir Aujourd’hui s’est donnée pour mission de vaincre les freins qui s’opposent à l’accès de jeunes élèves talentueux issus de quartiers difficiles et de milieux socialement défavorisés, à l’enseignement supérieur dans ce qu’il a de plus excellent, en particulier les écoles et instituts prestigieux. Les freins fréquemment invoqués sont : 1) la méconnaissance de l’offre de ces établissements et des diverses voies pour y accéder, 2) les phénomènes d’autocensure affectant ces jeunes, 3) les épreuves d’accès par concours dont certains éléments, notamment de culture générale, sont souvent discriminants à leur égard.

Le travail réalisé par les associations comme Réussir Aujourd’hui (www.reussiraujourdhui.fr), en partenariat avec des établissements d’enseignement supérieur et des lycées de « zones sensibles » est remarquable et illustré par de très beaux parcours. Cependant, la problématique de l’accessibilité de publics défavorisés ou « issus de la diversité » à des parcours ambitieux dans l’enseignement supérieur ouvre plus largement sur deux questions : 1) que qualifions-nous « d’excellence », 2) cette problématique est-elle vraiment spécifique aux publics sensibles ou bien est-elle révélatrice de déficits plus profonds dans l’éducation « à la française » ?

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Entracte

Publie par philippe.jamet le juillet 14th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  1 Commentaire

Pour la communauté universitaire, la césure estivale n’aura sans doute jamais mieux mérité son nom de « trêve », dont le sens premier, rappelons-le,  est « suspension temporaire des hostilités ».

« Hostilités »… Le mot est trop fort, sans doute.  Pourtant, n’a-t-on pas assisté, dans l’année écoulée à une espèce de lutte généralisée, à ciel ouvert et sans merci entre confrères, entre unités, entre établissements, entre sites ? Des vainqueurs et des vaincus n’ont-ils pas été désignés ? N’avons-nous pas croisé ici et là des troupes s’élançant vers le front, la fleur au fusil, musique en tête et sous le regard martial et bienveillant des généraux ?

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Bon sens, suspends ton vol !

Publie par philippe.jamet le juin 10th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  1 Commentaire

Le paysage universitaire français est pour le moins mouvant, mais le référentiel du bon sens l’est au moins autant. On peut même se demander si un couplage ne serait pas en train de s’installer entre les deux. On pourrait alors redouter que la dérive du bon sens ne fasse un jour échouer nos universités sur de tristes rivages.

Je relis plusieurs fois le contenu d’une dépêche publiée le 8 juin par AEF (N°151223) pour m’assurer que je ne suis pas victime d’une hallucination. Mais non. C’est bien d’un éminent fonctionnaire de l’Etat qu’émanent ces propos surprenants : « Nous devons trouver des clés de lecture pour expliquer aux industriels concernés ce que sont concrètement les IRT, les IEED et les SATT. C’est un sujet sur lequel nous devons travailler ».

J’ai la faiblesse de penser qu’en toutes circonstances, c’est l’Etat qui parle par la bouche d’un haut fonctionnaire. Aussi, pour qui était convaincu que les dispositifs technologiques des investissements d’avenir avaient précisément pour cibles l’innovation, l’économie et les emplois et qu’ils devaient en conséquence être construits pour et avec les industriels, c’est la douche froide. Ainsi, nous nous serions livrés à un exercice de cryptologie ? Le monde de l’enseignement et de la recherche aurait envoyé aux industriels, au lieu d’un message en clair, une note codée et nous serions mis en demeure, par les mêmes commanditaires, de mettre maintenant la main, toutes affaires cessantes,  sur une clé de décodage ?

Dans le temps, on n’avait pas de tels scrupules. Lorsque le bûcheron de Perrault conduisait ses enfants mal-nourris à leur perte dans la forêt profonde, il ne glissait pas en douce une poignée de cailloux dans la poche du Petit Poucet, tout en lui susurrant à l’oreille d’en lâcher un de temps en temps sur le sentier. Et lorsque le même Poucet choisissait la fuite, ce n’était pas sur la pointe des pieds, mais sur la semelle des bottes de Sept-Lieues. Tel était le bon sens, jadis, jusque dans les contes, ce même bon sens qu’on désespère de rencontrer aujourd’hui, dans la vraie vie.

Dans la même dépêche AEF et dans cette autre (N°151287) relatant l’audition des responsables de l’ANR devant la Mission d’Evaluation et de Contrôle de l’Assemblée Nationale, je relève plusieurs fois le mot « complexité » traité sur un mode positif. « La gouvernance des investissements d’avenir peut apparaître complexe, mais je crois qu’elle est adaptée à l’enjeu » dit une autorité de l’ANR, « il ne faut pas avoir peur de la complexité » renchérit un fonctionnaire chargé de la compétitivité et du développement des PME (dont l’esprit entreprenant, comme chacun sait, n’est maintenu en éveil qu’à grand renfort de complexité).

Comme si, dans tout ce qui se passe, la complexité était davantage l’indicateur de la réussite qu’un symptôme d’inefficacité.  Comme si, de tout temps, la puissance publique n’avait pas eu pour missions suprêmes d’éclairer et non d’obscurcir, de mettre a priori en confiance plutôt que de désamorcer a posteriori les peurs. Comme si le monde de la recherche et de l’industrie, pour se développer, n’avaient pas avant tout besoin de messages et d’instruments simples…

Mais nous sommes actuellement dans un processus logique radicalement différent. L’enseignement supérieur et la recherche étaient complexes ? Illisibles ? Incompréhensibles ? Efforçons-nous donc à neutraliser cette complexité là par une autre, dans l’espoir que l’arithmétique de la complexité transforme, elle aussi, moins par moins en plus ou que la complexité obéisse, comme l’homéopathie, au traitement du mal par le mal !

Pourtant, là encore, une certaine sagesse populaire prétendait voilà peu que les situations complexes devaient trouver des solutions simples. Et une autre affirmait, sur un mode populiste cher à Coluche, qu’un technocrate parachuté au Sahara y trouverait le moyen d’y justifier la nécessité d’importer du sable. Le même technocrate, aujourd’hui parachuté dans les Satt, avec un « A » comme « accélération » et « T » comme « transfert », crie au scandale de l’embouteillage, les deux pieds enfoncés sur la pédale de frein !

Attention, dans une telle ambiance, la sagesse Shadock va finir un jour par triompher ! Mais à vrai dire, elle gagne d’ores et déjà du terrain. Dépêche de l’AEF : un parlementaire se déclare surpris de « l’élan et du dynamisme » suscités par les investissements d’avenir. Cet élu se voit répondre en substance que la mobilisation et l’enthousiasme sont au rendez-vous dans la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pourtant, n’avez-vous pas aussi rencontré, dans votre entourage, de ces collègues qui partent à la pêche aux investissements d’avenir animés du même état d’esprit que ces malheureux volatiles extraterrestres, avec le même soupir désabusé au coin du bec : « mieux vaut pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire si on ne pompe pas » ?

L’abus d’excellence peut nuire à la santé

Publie par philippe.jamet le juin 4th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  4 Commentaires

Quelle est votre réaction face à cette tendance qui consiste à assortir le commerce légal de substances addictives ou nuisibles de messages modérateurs à usage sanitaire ou moral ?

Je veux parler, par exemple, du désormais célèbre « fumer tue« , cet avertissement lapidaire joint à la délivrance ordinaire de tabac, sous le regard neutre du fisc et au désespoir du corps médical. Ou encore à cette mention, au bas de somptueuses affiches vantant les vertus mâles d’alcools divers et variés : « à consommer avec modération« … Ou enfin à ces sentences en forme de postludes pudiques sur fond noir ou blanc, couleurs de deuil ou d’hopital, qui concluent invariablement des clips télévisuels enjoués où s’étalent barres chocolatées, frites surgelées ou plats cuisinés : « pour votre santé, faites du sport » ou « consommez cinq fruits et légumes par jour » ?

La plupart du temps, nous gobons machinalement ces messages, avec cette résignation du passant envers l’ordre immuable des choses. Confrontés à la promotion généralisée des antidotes dans une société qui a renoncé à éradiquer les poisons, nous nous réfugions tous dans un mutisme réprobateur, forme moderne de l’art de Mithridate. Oh, bien sûr ! Nous éprouvons tous un certain malaise, nous concevons tous un peu de mépris pour ces stratégies de vente non assumées, et par ceux qui les déploient et par ceux qui les réglementent, ce mélange de cynisme et de fausse culpabilité qui accompagne le geste ou l’intention inavouable qu’on ne peut réprimer…

Mais il faut hélas se rendre à l’évidence. Dans une organisation sociale livrée aux forces supérieures de la concurrence et du profit, la différence entre l’ordre et le chaos tient à très peu de chose. Et chacun sait que le consentement des consommateurs est très versatile, qu’un rien peut le faire basculer : un scrupule, une rumeur et voilà les ventes qui s’effondrent. Aussi, l’administration continue de relaxants est-elle le corollaire quasi obligé des messages promotionnels à haute dose. Elle est un mal nécessaire.

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Les poncifs sur les grandes écoles ont la vie dure…

Publie par philippe.jamet le mai 12th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  5 Commentaires

Dans l’espace d’une semaine nous aurons encore eu droit à un feu nourri de stéréotypes sur les grandes écoles.

Ce fut d’abord Madame Eva Joly, qui semble découvrir les Ecoles comme naguère elle découvrait l’Ecologie, et qui propose, comme mesure phare de création de valeur dans l’enseignement supérieur, de les « supprimer » purement et simplement…

Cette conception à géométrie variable des bienfaits de la biodiversité ne laisse pas de me surprendre. Biodiversité, que de crimes (contre l’esprit) on commet en ton nom !  indispensable dans les écosystèmes naturels, te voici mal absolu dans les écosystèmes universitaires… Sérieusement : n’est-il pas navrant, le spectable de personnalités sympathiques et courageuses cédant à la tentation de diagnostics simplistes et faciles ? Comme si le courage et la lucidité politique ne consistaient pas, au contraire, à écarter par principe les clichés démagogues pour reconnaître la valeur et l’intérêt de la Nation là où ils se trouvent.

Beaucoup peuvent être saisis d’un frisson désagréable, en découvrant Madame Eva Joly, qu’ils ont jadis connue juriste rigoureuse, infatigable, admirable, soudain capable de se muer en Fouquier-Tinville au prétoire de l’enseignement supérieur, administrant des sentences sommaires et expéditives sur des bases aussi minces… En l’entendant vouer aux gémonies, sans autre forme de procès, des écoles qui forment des milliers d’ingénieurs et de cadres pour l’industrie, au motif que quelques « brebis galeuses », parmi leurs diplômés, administreraient des banques… En l’entendant affirmer, au mépris des statistiques, que les écoles sont des instruments d’exclusion.

Dans un autre ordre d’idées, j’extrais du récent ouvrage d’entretien cosigné par Monsieur Axel Kahn et Madame Valérie Pécresse (cf. dépêche AEF n°149892), cette autre affirmation à l’emporte-pièce : « le point fort des universités et que les grandes écoles ne donnent pas, à quelques exceptions près (…) c’est la formation par la recherche et à la recherche« . Il me semblait pourtant que les données publiées par un certain ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, attestaient de la part importante prise par les écoles dans les projets lauréats des investissements d’avenir. Cette observation se réconcilie assez mal avec le constat d’une recherche à caractère symbolique ou « exceptionnel » dans les dites écoles, sauf à donner un autre sens à « l’exception ».

Pour comble, entendons l’interlocuteur de madame la Ministre, qui n’a pas, lui, l’excuse d’un certain éloignement du terrain, « partager cet avis » et déplorer qu’ « alors que, dans le monde entier, le docteur d’université est le diplômé de plus haut rang recherché par les secteurs public et privé, les sociétés en France ont l’habitude de recruter en priorité, pour des fonctions de niveau élevé, des ingénieurs de grandes écoles« . Quel commentaire pour le moins surprenant ! Quand on sait par exemple que l’immense majorité de responsables des secteurs publics et privés aux USA détient uniquement un diplôme de bachelor, de master ou bien un MBA ! Et l’on fera en outre observer à notre collègue, qu’une sous-population non négligeable « d’ingénieurs de grandes écoles », ne lui en déplaise, détient aussi un diplôme de docteur (environ 10% dans mon école, soit une proportion voisine de la proportion nationale entre les flux de doctorats et les flux de masters).

Notre pays n’est-il pas en droit d’attendre, de la part de responsables qui briguent des fonctions éminentes ou les détiennent, des analyses et des propositions moins marquées par des représentations idéologiques ou des préjugés à la vie dure ? Les relayer ou les entretenir ne crée certainement pas le contexte serein et confiant, prélude indispensable à une coopération renforcée et respectueuse entre les universités et les grandes écoles que nous appelons tous de nos voeux.

Jury étrange(r)

Publie par philippe.jamet le avril 28th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  2 Commentaires

Le jury international en charge de l’audition des projets Idex est constitué pour l’essentiel de personnalités étrangères, auxquelles il faut ajouter deux collègues expatriés dont l’avis sur les moyens d’endiguer la fuite des cerveaux sera certainement précieux. Le choix d’une composition internationale de ce jury provoque en moi trois étonnements que l’on jugera probablement naïfs.

Premièrement, je n’ai pas l’impression (mais un « benchmarking » plus sérieux permettrait de le vérifier) que le recours à des jurys multinationaux (avec une minorité de nationaux) soit une pratique très répandue dans le monde dès lors qu’il s’agit d’éclairer des choix qui engagent l’avenir d’un pays dans des réformes en profondeur et d’orienter, de fait, l’allocation de moyens relevant de la souveraineté nationale.

Observation qui vaut ce qu’elle vaut : il ne me semble pas avoir rencontré, aux Etats-Unis, pléthore d’étrangers dans des comités chargés de recommander aux autorités gouvernementales certaines orientations stratégiques ou certains choix programmatiques intéressant les politiques scientifiques et universitaires. Et je doute par ailleurs que des pays comme la Chine aient l’imprudence d’exposer au regard d’experts étrangers les données, pour certaines relativement sensibles, qui permettent d’estimer le potentiel d’innovation d’une grande université de recherche. Ceci pour ne mentionner que deux grandes puissances scientifiques, l’une de fait, l’autre en devenir.

Deuxièmement, tout en étant fondamentalement convaincu des bienfaits de l’ouverture internationale, je déplore, comme beaucoup de collègues, cet espèce de préjugé démesurément favorable envers la communauté internationale des « experts ». Comme si, par principe, ces estimés personnages (indubitablement qualifiés, ce n’est pas la question) étaient statistiquement plus clairvoyants, plus fiables et, surtout, plus visionnaires que leurs pairs français.

N’y a-t-il pas une certaine incohérence entre, d’un côté, la composition (présumée) internationale d’un jury Idex dont les choix, s’ils provoquent les effets structurants escomptés, vont fortement conditionner la recomposition du paysage français d’enseignement supérieur et, de l’autre côté, celle, pour l’essentiel nationale, des comités d’audit AERES, dont les évaluations de l’état des lieux et des projets auront lourdement pesé dans la balance des investissements d’avenir ?

Troisièmement, sur le plan cette fois-ci de la géopolitique universitaire, quelle pourrait bien être la motivation profonde de nos collègues étrangers à nous accompagner dans de bons choix, si ces bons choix ont pour résultat d’augmenter la pression concurrentielle internationale ? En effet, si les investissements d’avenir, dont les Idex sont le parachèvement ont les effets prévus, il y aura de « nouveaux entrants » dans la compétition mondiale de la connaissance, à savoir les universités d’excellence françaises, aujourd’hui assez discrètes. Posons la question autrement : a-t-on jamais vu les instances d’orientation de grandes multinationales majoritairement composées de personnalités incarnant les intérêts de la concurrence ?

Alors, je veux bien faire à nos collègues étrangers le crédit de placer l’intérêt de la science devant leur réflexe national, mais pour ce qui est de leur intérêt d’universitaire, franchement, je n’en sais rien… Le dire n’est pas instruire à leur encontre un procès en probité et en impartialité : c’est juste faire une remarque de bon sens. Quelque chose me dit qu’à leur place (mais sans doute suis-je moins vertueux !), sans aller jusqu’à suggérer de mauvais conseils, je prodiguerais, à des concurrents potentiels, de prudentes recommandations et je soutiendrais des choix débouchant sur d’inoffensives innovations

Sommes-nous condamnés à d’impossibles gouvernances ?

Publie par philippe.jamet le avril 19th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  3 Commentaires

Voici que s’annonce la deuxième phase de la sélection des initiatives d’excellence (IdeX). Depuis l’origine, la question de la gouvernance apparaît comme un aspect essentiel de la qualité des projets présentés aux investissements d’avenir. Dans cette dernière ligne droite et pour plusieurs des sept projets présélectionnés, la gouvernance de l’Idex fera la différence.

La définition de gouvernances crédibles et transversales aux établissements n’était déjà pas un exercice simple dans le cas des Equipex et des Labex. Maintenant qu’il s’agit non plus d’équipements et de laboratoires, mais bien de politiques de sites, l’exercice prend un tour résolument plus institutionnel et se révèle d’un tout autre degré de complexité. La faiblesse de certains dossiers Idex sur ce plan n’est pas une marque de l’absence de vision ou de la mauvaise volonté des porteurs. Elle atteste plutôt de la difficulté à élaborer un schéma de gouvernance efficace et respectueux des identités. Elle illustre aussi les limites d’un cahier des charges exigeant, peu flexible et peu adapté à la réalité et aux capacités d’évolution à court terme du panorama national de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation.

Il reste que de nombreux établissements sont désormais face à un choix. Du moins certains responsables affectent de présenter ainsi la situation : être ou ne pas être de la gouvernance, qu’on l’appelle université fédérale ou confédérale, telle est la question. Sans doute ce choix binaire est-il pertinent dans quelques cas simples. Dans nombre d’autres cependant, il est réducteur et faible en sens. Et même dans certains cas, ce choix n’est pas seulement difficile, il est impossible.

Mieux qu’un long discours, un exemple (qui n’a pas valeur universelle, mais a le mérite d’exister) me permettra d’illustrer les paradoxes parfois insolubles qui entourent, dans les circonstances actuelles, les choix stratégiques que des établissements sont amenés à exercer.

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Petite anecdote sur Elitisme et Justice

Publie par philippe.jamet le avril 9th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

Les informations du jour ont relaté cet incident survenu dans un lycée de Pornic, où des étudiants du lycée Charles-de-Gaulle de Saint-Louis du Sénégal se sont vu refuser un visa pour un échange scolaire en France.

Les enseignants pornicais, indignés de la décision des autorités consulaires françaises ont heureusement fini, à force de réclamation, par inverser leur décision. Les élèves sénégalais sont parvenus à bon port. Fin de l’incident, illustration assez préoccupante toutefois d’une certaine dérive migratoire dans notre pays.

Toutefois, je relève un propos dérangeant dans l’interview faite par Radio France d’une des enseignantes mobilisées dans cette affaire regrettable. Cette personne respectable jugeait bon de faire ce commentaire : « ce sont en plus de très bons étudiants, de futurs cadres ». Alors-là je sursaute. Serait-ce qu’une injustice n’a pas un caractère absolu, mais devrait se juger relativement au niveau de réussite (scolaire en l’occurrence) de ceux qui en sont les victimes ?

Sans vouloir extrapoler le propos maladroit de cette collègue, sans doute explicable par l’émotion et aussi parce que cet argument a probablement fait mouche auprès des autorités compétentes, j’y vois là l’indice d’une autre dérive. Celle qui consiste à installer petit à petit dans l’esprit de la nation que l’excellence académique est le visa universel des sociétés modernes. Et que les voyageurs privilégiés seraient ceux qui auraient la chance de le détenir.

La France de la Diagonale

Publie par philippe.jamet le mars 30th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

Pour être généralement réservé quant aux croisements hâtifs ou périlleux entre politique universitaire et aménagement du territoire, je suis néanmoins de ceux qui réagissent avec une certaine surprise à l’analyse de la géographie qui ressort des résultats des programmes Equipex, Labex et Idex.

Me vient alors la question de savoir dans quelle mesure ces programmes destinés à structurer le paysage universitaire seront aussi à même d’irriguer nos territoires et d’y doper l’économie réelle. En posant cette question, je me fais l’écho de la volonté affichée du Commissariat Général aux Investissements, à savoir dynamiser l’économie et l’emploi à travers les investissements d’avenir et je rappelle en outre que l’urgence de la réindustrialisation des territoires a été fréquemment soulevée lors des Etats-Généraux de l’Industrie

Je propose donc à mes lecteurs quelques éléments de lecture d’une France coupée en deux par une diagonale Strasbourg-Bordeaux, en me limitant volontairement à la France des territoires métropolitains, c’est-à-dire la France continentale moins la région parisienne qui obéit à des logiques d’interactions territoriales radicalement différentes. Que mes amis des îles ne m’en veuillent pas, que les îles soient de France, de Beauté ou d’Outre-Mer…

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Question inspirée d’un jury de haut niveau

Publie par philippe.jamet le mars 18th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  5 Commentaires

J’extrais du compte-rendu ému d’une récente audition de projet IdeX (dépêche AEF n°147077) cette question posée par un membre demeuré anonyme du jury de haut niveau : « Quelle est la réaction du monde académique au recrutement de chercheurs payés 300 000 euros et en dehors des grilles ?».

 

Malheureusement, le compte-rendu nous laisse dans l’ignorance de la réaction des porteurs du projet auditionné. C’est bien dommage. Nos collègues sont-ils restés silencieux ? Se sont-ils contentés d’un sourire gêné ? Ont-ils cru à une boutade et éludé la question ?

 

Je crains malheureusement que, soumis à la pression de l’exercice, effrayés à la perspective de voir s’évanouir les milliards tant espérés, angoissés à l’idée de rester secs face à un impressionnant jury ou de s’afficher démontés par une question piège, ils ne se soient efforcés d’y répondre avec application et souci de plaire à leurs juges…  

 

Il eût pourtant été plus approprié de relever la question pour souligner son « haut niveau » dans l’ordre du mauvais goût et de la désinformation.

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Le pari « capital » (3/3)

Publie par philippe.jamet le mars 11th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

Après ces observations tirées de l’exemple américain sur « le facteur capital » comme promoteur de l’excellence universitaire, tant en termes de pertinence conceptuelle que de clairvoyance dans le choix des bénéficiaires, je voudrais maintenant conclure par quelques  réflexions libres sur la méthode de mise en œuvre et d’accompagnement, par la puissance publique, des investissements d’avenir.

Mon intention ici, n’est pas de discuter le bien-fondé des orientations décidées par nos autorités politiques. Elles détiennent, dans leur choix, une incontestable légitimité, comme mandataires d’une collectivité nationale qui, de fait, est « propriétaire » de notre patrimoine universitaire et dispensatrice quasi exclusive de ses moyens.

Plus modestement, je souhaite plutôt me faire l’interprète d’un ressenti, le mien, comme observateur et quelquefois acteur des grands chantiers en cours, mais aussi d’un certain nombre de collègues qui, parfois, s’interrogent sur la manière dont ils sont perçus par les décideurs et manifestent quelque réserve, dans la mise en place des réformes universitaires, à l’égard de certains postulats de travail. Il nous arrive de douter lorsque nous voyons, d’un côté, de grandes ambitions, de l’autre, une étrange frilosité dans leur application concrète. Et il nous vient, de temps à autre, lorsque s’imposent à nous des cahiers des charges dont le mot d’ordre semble être : « faites du neuf avec de l’ancien », des arrière-pensées de quadrature du cercle. Ce sont ces deux points que je voudrais maintenant développer.

Moins de Facultés, pour plus de facultés

Publie par philippe.jamet le février 25th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

Ce n’est pas moi qui le dit… mais le Prof. Dr. Ing. Jörg Steinbach, recteur de la Technische Universität Berlin, et orateur invité de la troisième convention européenne des doyens d’ingénierie (Paris, 24 et 25 février 2011), dont le thème portait sur la nouvelle gouvernance des écoles d’ingénierie (« Engineering Education for an Innovative Europe: The new Governance of Engineering Schools »).

Les propos de ce distingué collègue méritent d’être rapportés pour trois raisons au moins. D’abord parce qu’ils traduisent la vision d’une personnalité académique de premier plan sur la question de l’innovation, ensuite parce qu’ils donnent un éclairage de la réalité outre-Rhin qui relativise l’invocation habituelle de l’exemple allemand pour justifier les réformes universitaires en cours dans notre pays, enfin parce que ces propos me semblent conférer un crédit supplémentaire aux valeurs et aux modèles scientifiques pédagogiques promus par les écoles d’ingénieurs françaises (et notamment les Ecoles des Mines : qu’on me pardonne cette incursion chauviniste…).

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Le pari « capital » (2/3)

Publie par philippe.jamet le février 23rd, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

2)      Discussion

Plusieurs réserves s’imposent toutefois, dont cette première, de taille : corrélation statistique n’est pas causalité. Autrement dit : si le capital a des propriétés de prédicteur statistique du classement mondial des universités, en revanche ce classement n’est pas de manière certaine un effet produit par cette cause. Le capital universitaire n’est certainement pas une condition suffisante et sans doute pas une condition nécessaire de la renommée.

Un retour sur l’histoire des 44 universités américaines figurant dans le Top 100 du classement ARWU et disposant d’un capital supérieur à un milliard de dollars, suggère plutôt que leur patrimoine est une conséquence naturelle de leur renommée. Il vole au secours de la victoire et l’amplifie. Moins d’un quart (10) de ces universités appartient à la catégorie des « land-grant », initialement dotée en capital par la puissance publique, et qui compte 75 universités au total.

Il n’est pas inutile, dans le contexte actuel, de rappeler cette distinction entre statistique et causalité. On ressent en effet parfois l’impression étrange que les parties prenantes des grands investissements universitaires en cours, à commencer les institutions qui les sollicitent, entretiennent l’illusion que la conjonction d’une manne en capital et d’une gouvernance transposée des « meilleures pratiques », les propulsera de manière quasi automatique vers les sommets…

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Patience…

Publie par philippe.jamet le février 19th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  1 Commentaire

Que mes lecteurs (il y en a, voir le commentaire de « lecteur curieux ») qui s’étonnent de la teneur de mon  dernier billet et de la confusion qui semble s’en dégager entre corrélation et causalité, soient rassurés ! Je n’entretiens nullement cette confusion… Le titre annonçait pourtant que cette première livraison serait suivie de deux autres… et la dernière phrase du billet en préfigurait la teneur. Je les invite donc à la patience et à reconnaître que la logique simplifiée (et erronée), exposée dans cette première partie, sous-tend hélas bien des fantasmes nourris par certains inconditionnels du « big (and rich) is beautiful ».

Le pari « capital » (1/3)

Publie par philippe.jamet le février 14th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  2 Commentaires

Nul ne peut réellement déplorer, sur le fond, que l’Etat ait décidé d’investir massivement dans le renforcement des sites universitaires afin de leur permettre de tenir leur rang dans la compétition mondiale et de dynamiser l’économie nationale.

L’idée de doter en capital des lieux d’excellence académique est ancienne. Plusieurs lois fédérales passées entre 1862 et 1890, ont ainsi permis aux Etats-Unis d’établir de grandes universités à partir d’importantes dotations foncières. Ce processus volontariste, dans la majorité des cas ex-nihilo, a été couronné d’un certain succès puisqu’il a abouti à la constitution d’universités de rang mondial, telles l’Université de Californie, le MIT, l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign ou Cornell.

Mais que penser, au juste, de la réalité des liens entre capital universitaire et excellence ? Pour nous faire une idée, observons le cas des universités américaines.

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Pourquoi tant de haine, Monsieur P. ?

Publie par philippe.jamet le février 4th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  3 Commentaires

L’édition du journal « Les Echos » publie aujourd’hui un article, qui mériterait peut-être davantage le qualificatif de libelle, d’un haut responsable de l’enseignement supérieur sur la diversification des formations d’ingénieurs (http://www.lesechos.fr/competences/formation/0201127024952-diversification-des-formations-d-ingenieurs-la-position-de-jean-charles-pomerol.htm).

Directeur d’une école qui a fortement investi dans les nouvelles formations d’ingénieurs, notamment par la voie de l’alternance, je ne suis pas de ceux qui considèrent ce sujet comme tabou, bien au contraire. Ce n’est donc pas le fond, mais davantage la forme et la construction scientifique de l’argumentaire de ce distingué collègue qui me chagrine.

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Osons l’excellence

Publie par philippe.jamet le février 1st, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  2 Commentaires

Il est sans doute plus facile de dire ce que n’est pas l’excellence que de dire ce qu’elle est, quoique ces derniers temps beaucoup déploient des trésors d’imagination pour en donner des définitions et des illustrations.

L’excellence n’est pas une qualité absolue et rare, qui serait réservée à quelques « happy few ». C’est une qualité relative et accessible à tous les individus et toutes les organisations.

L’excellence n’est pas la perfection, mais l’aptitude au perfectionnement, qui suscite innovation et création de valeur.

Elle n’est pas une Appellation d’Origine Contrôlée, conquise de haute lutte et jalousement protégée. Pas davantage un label, sur lequel je ne sais quel Office aurait la charge de veiller. Lire la suite »

Rapprochement écoles d’ingénieurs-universités… conclusion : s’inspirer oui, décalquer non

Publie par philippe.jamet le janvier 25th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  1 Commentaire

Tout en étant conscient des progrès à faire en matière de gouvernance, il faut veiller à user prudemment des « standards » internationaux (notamment américains) d’organisation et de pilotage des ensembles universitaires. Lire la suite »

Rapprochement écoles d’ingénieurs-universités (3/3) : les diverses formes de visibilité

Publie par philippe.jamet le janvier 18th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  Pas de commentaires

Prenons une image : les écoles d’ingénieurs sont des PME. Nul ne contestera que l’économie a besoin d’acteurs de grande taille (les grands groupes) et de petite taille (les PMI/PME). Les avantages des PME sont connus et reconnus : réactivité, innovation, stratégies de niches. Ces qualités sont le résultat de la proximité des fonctions et de la capacité à se mobiliser sur des objectifs précis. Une PME n’a pas pour ambition de figurer dans le classement Fortune 500, mais plutôt d’être la première sur ses niches. Tel est son « business model » et la manière dont elle produit de la valeur ajoutée. Ce n’est pas autrement qu’une école d’ingénieurs conçoit sa performance et sa visibilité. Lire la suite »

Rapprochement écoles d’ingénieurs-universités (2/3) : la pluralité de la construction des connaissances

Publie par philippe.jamet le janvier 11th, 2011 dans la categorie Enseignement supérieur  •  1 Commentaire

La question du rapport entre les écoles d’ingénieurs et les universités est parcourue par la tentation d’opposer recherche fondamentale et recherche appliquée. Ce débat est visible dans les retours d’audit AERES[1] des écoles qui, d’un côté, reconnaissent à sa juste valeur l’intérêt d’une forte activité contractuelle de ces écoles avec l’industrie, de l’autre s’inquiètent de la part excessive que pourraient représenter des activités « alimentaires » et des possibles dérives qualitatives qu’elles risqueraient d’entraîner dans la production scientifique des établissements concernés. Lire la suite »