C’est l’été ! Saison de la chaleur, de la plage (pour certains), de la montagne (pour d’autres, dont j’espère être), des glaces … et des marronniers estivaux. Et ainsi, comme chaque année, l’UNEF publie son habituel classement des universités pratiquant des facturations de frais considérés comme illégaux. Et cette année, ce sont 36 établissements que l’organisation étudiante entend bien épingler. L’occasion d’un débat ?
Un préalable : je n’ai rien, sur le principe, contre le fait que les syndicats étudiants fassent la chasse aux pratiques illégales (si elles sont avérées) de certains établissements :
– d’une part, c’est constitutif de leur rôle de représentation et de défense des étudiants
– d’autre part, la loi doit être appliquée par tous, et en particulier par les opérateurs publics et ce avec d’autant plus d’exemplarité d’ailleurs
Néanmoins, quelques bémols :
– les informations qui apparaissent chaque année dans cette publication sont sujettes à caution. Les données dont dispose l’UNEF (issues à ma connaissance des remontées de ses élus et des sites internet d’établissements) ne lui permettent pas toujours de retranscrire parfaitement la réalité des situations, et la conduisent parfois à pointer du doigt des pratiques qui ne sont en fait pas illégales
– certains raisonnements sont caricaturaux et partiels (un comble pour des étudiants formés à une certaine rigueur universitaire et scientifique …) : dans le dossier complet, on constate en étudiant plus finement les chiffres que les auteurs commettent l’erreur (classique …) de ne considérer que les données hors IUT (résumant en fait ainsi les universités aux seules formations Licence Master Doctorat). En réalité, une étude statistique plus pertinente devrait se baser par exemple sur les statistiques du RERS, car bien plus détaillées en rendant compte d’évolutions plus fines. Car s’il est vrai que les formations privées ont vu leurs effectifs s’accroitre (de manière certes très importante) dans les dernières décennies, c’est également le cas d’autres formations pourtant publiques … et sélectives … (CPGE, DUT, écoles sous tutelles d’autres ministères etc.). On constate par exemple que, de 2005 à 2011, les effectifs des classes préparatoires publiques ont augmenté de 6% alors que la population étudiante générale augmentait de 2,8%. De la même manière et sur la même période, les effectifs des écoles publiques d’ingénieurs se sont accrus de près de 16%. Les « stratégies » des jeunes (et, disons-le également, de leurs familles …) sont complexes (rappelons le : corrélation n’est pas causalité …) et ne peuvent être résumées par quelques chiffres par ailleurs mal maitrisés …
– la guerre aux pratiques illégales n’est cependant pas dénuée d’effets pervers, comme le décrit par exemple un article du blog « UNEF – Veritas » (dont je sais que le contenu agacera mes lecteurs issus de l’UNEF). En particulier, elle relève d’une forme de criminalisation, des universités, de reproches injustes pour la grande majorité d’entre elles et dont elles n’ont vraiment pas besoin
– le dossier pose néanmoins la question du caractère suffisant ou non des moyens publics dont les établissements disposent, alors que ces derniers ont acquis l’autonomie budgétaire avec la loi « Libertés et Responsabilités des Université » (LRU) en 2007 sans pour autant que l’Etat ne transfère l’intégralité des moyens afférents (une habitude que l’on retrouve à d’autres moments dans l’histoire de la décentralisation française, quel que soit la coloration politique du gouvernement alors en place …). La loi « Fioraso », qui vient d’être adoptée, n’apporte d’ailleurs aucune solution à ce sujet (si ce n’est un livre blanc, cependant utile pour aider à la programmation), et ce d’autant moins que l’on connait le contexte difficile de nos finances publiques (on demande même aux universités d’assumer à moyens constants des réformes qu’elles n’ont pas décidées)
– outre la question des moyens, le dossier aborde également celle de la sélection au travers d’un exemple parfaitement emblématique des limites de notre système : la mise en place, dans certaines universités, d’un tirage au sort pour l’accès des néo-bacheliers à la filières STAPS. En effet, d’une part certaines universités ont des capacités d’accueil insuffisantes (notamment car ces filières nécessitent des infrastructures lourdes : il ne suffit pas de les doter de salles de TD) au regard de la demande, d’autre part elles n’ont pas le droit de mettre en place une sélection sur critère académique à l’entrée de la Licence, puisque l’accès à la Licence est (selon le code de l’éducation) libre à tout bachelier dans les limites des capacités d’accueil. Pas d’autre choix donc, que de pratiquer un tirage au sort. Une pratique que les jeunes apprécient diversement lorsqu’elle les touche
Farouchement opposée à la sélection, l’UNEF réalise-t-elle à quelle point l’idée d’un enseignement supérieur non-sélectif est susceptible de relever d’une approche « libérale » (pourtant honnie par ses membres) reposant sur l’illusion de « l’égalité » des jeunes devant leurs choix ? Pourquoi alors avoir soutenu une loi qui introduit des quotas de bacheliers professionnels et généraux dans les DUT et STS (ce qui, à mon sens, n’est pas en soi une mauvaise chose) ?
Je rejoins enfin l’idée selon laquelle la guerre aux pratiques illégales, si elle est justifiée dans l’absolu, contribue à occulter différents débats de fond (et de fonds, pardon pour ce jeu de mot facile). À trop longtemps maintenir comme taboues les questions de sélection et de droits d’inscription (et plus largement, de financement des études), les acteurs et la population générale finissent par en oublier ce qui fondait le système actuellement en vigueur, faute d’appropriation démocratique par le débat public. Or l’Université c’est aussi le débat, la construction des idées par leur confrontation, par la contradiction, le libre arbitre, et surtout pas par la caricature ou les réponses « qui s’imposent d’elles-mêmes » faute de courage politique et démocratique. Entendons-nous bien : rien n’exclut qu’à l’issue de tels débats, le constat ne soit de tout maintenir dans l’état actuel. Mais au moins, chacun saura pourquoi.
Ré-interrogons donc, tant au regard du projet Républicain que des valeurs universitaires, ce qui fonde encore la manière dont les étudiants sont aujourd’hui sélectionnés (car ils le sont tous … Je vous invite par ailleurs à lire cette chronique de Jean-Luc Vayssière, Président de l’Université de Versailles Saint Quentin) et comment eux-mêmes, leurs familles, et la collectivité financent la Recherche et l’Enseignement Supérieur. Des questions qui ne sauraient souffrir d’aucun raccourci et méritent un débat assumant leur part de complexité. Car être universitaire implique autant de ne pas avoir peur des questions nouvelles que de les traiter avec éthique et intégrité.
Dernière remarque : le lecteur sait sans doute qu’il y a quelques années, j’ai participé à la création de l’Université de Lorraine, sous statut de Grand Etablissement. A l’époque, on nous avait reproché d’opter pour ce statut dans le but de sélectionner et d’accroître nos droits d’inscription. J’observe (pour ma part sans étonnement) que, conformément à nos réponses à ces mauvais procès d’intentions de l’époque, il n’en est rien aujourd’hui …
La saison des marronniers n’est pas finie : donnons-nous dès à présent rendez-vous fin août pour aborder les batailles de chiffres autour du coût de la rentrée … J’espère en tous cas que cet article vous aura donné envie de vous ré-approprier ce débat.
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