Coût de la rentrée : un marronnier mais de vraies questions

J’évoquais dans un précédent article le « marronnier des pratiques illégales des méchantes universités« . Voici un nouveau marronnier, que j’annonçais d’ailleurs sans grand mérite compte-tenu de son caractère rituel : le coût de la rentrée.

Dessin de Chaunu

Dessin de Chaunu

Chaque année, les deux principaux syndicats étudiants (UNEF et FAGE) se disputent la place de celui qui publiera le premier ses chiffres et son enquête pour mettre en exergue la situation de précarité croissante des étudiants. Outre le fait que cette situation est une réalité perceptible par quiconque s’intéresse de près comme de loin aux étudiants, c’est aussi l’occasion pour chaque syndicat étudiant de faire un joli et rituel coup de pub.

De manière générale, et bien qu’étant il y a quelques années passé par le réseau de la FAGE, je me suis toujours interrogé sur la validité et la pertinence de la démarche. Je rejoins en cela l’avis et en partie plusieurs fois exprimé sur ce sujet par Pierre Dubois (comme dans cet article sur son blog) bien que je considère pour ma part qu’il est logique d’incorporer le coût du téléphone et d’internet dans un panier de dépenses à étudier (c’est désormais incontournable pour chaque étudiant, même si des postes informatiques sont à disposition sur les campus).

Cette année, c’est la FAGE qui a dégainé la première, à quelques heures près. Son dossier de presse est accessible ici.

Rappelons ici quelques effets pervers liés à ces enquêtes :

les enquêtes menées par la FAGE et l’UNEF reposent sur l’établissement de moyennes, dont les effets pervers sont connus. Elles masquent souvent la diversité et les disparités de situation entre étudiants, entre filières, entre zones géographiques. A la décharge de la FAGE, ses « fédérations de villes » et associations « mono-disciplinaires » vont prochainement décliner à leur tour cette enquête pour leur périmètre. Il n’en reste pas moins qu’une moyenne, prise « seule », n’a qu’un intérêt vite limité. Les frais engendrés par l’achat de matériel pédagogique peuvent, par exemple, varier considérablement d’une filière à une autre

– autre exemple : le cas du coût des transports. La méthodologie de la FAGE indique par exemple avoir « pris en compte le tarif d’un abonnement étudiant de transport en commun ». Mais dans le Grand Nancy par exemple, il existe un tarif spécial pour les jeunes, au sein même duquel se trouve un tarif réduit pour les étudiants boursiers. L’enquête ne permet pas de rendre compte de ces modalités pourtant significatives dans le quotidien des étudiants

– toujours au plan méthodologique, on pourra par exemple s’étonner également de voir figurer les frais relatifs aux agences immobilières, alors que d’une part le recours à ces agences est loin d’être systématique chez les étudiants (rappelons déjà que selon l’Observatoire de la Vie Etudiante, environ 30% vivent chez leurs parents et 10% résident en cité universitaire), d’autre part ces frais lorsqu’ils sont acquittés ne le sont qu’en début de bail et donc a priori pas chaque année

il eut été intéressant de considérer plus précisément la question des charges, et notamment du coût de l’énergie. La « fracture / facture » énergétique devenant de plus en plus importante pour les étudiants, avec la hausse des tarifs corollaire aux défis énergétiques qui concernent toute la population

– l’enquête de la FAGE s’intéresse largement à la problématique de la Santé, et mentionne à juste titre une donnée de l’OVE (voir ici) selon laquelle on estime à 12% la part des « renoncements aux soins » motivés par un manque de moyens des étudiants. Or, le discours des syndicats étudiants en matière de Santé est souvent exclusivement fondé sur la problématique des coûts et élude les autres motifs de renoncement aux soins (la gestion du temps relevant du « métier d’étudiant », la maitrise du parcours de soins etc.)

– le cas parisien est certes distingué des autres, mais il convient de se demander si le fait de vouloir lutter contre les coûts supérieurs constatés à Paris, n’est pas une façon indirecte de cautionner l’idée selon laquelle il faut « envoyer les meilleurs à Paris »

– comme chaque année, on discutera également le fait d’exprimer des variations a priori « importantes en pourcentage » mais finalement minimes en volume brut, comme par exemple la hausse de la contribution étudiante à la santé universitaire (passant de 5 à 5,10€, soit … 10 centimes de hausse).

Néanmoins, le mérite de l’infographie choisie par la FAGE réside dans le fait de montrer que « les petits ruisseaux font les grandes rivières », et que toutes ces petites augmentations finissent par se cumuler de manière conséquente, sur plusieurs années.

Enfin, aborder la question du « coût des études » ne prend en compte que la seule dimension des « coûts » … et donc en particulier sans la mettre au regard des aides sociales disponibles, sans interroger l’équité globale de notre dispositif d’aides sociales. Ainsi sont pris en compte dans les calculs de l’UNEF et de la FAGE les droits d’inscriptions, alors que près de 35% des étudiants en sont exonérés car boursiers. La fameuse « courbe en U » des aides sociales aux étudiants (montrant que les étudiants les plus aidés sont certes les plus défavorisés mais aussi les plus favorisés par le biais de la fiscalité) n’est donc ici pas abordée.

Pour conclure, j’aimerais qu’on ne se méprenne pas sur mon propos : il ne s’agit nullement de nier les situations difficiles que rencontrent de nombreux étudiants, et les syndicats étudiants sont tout à fait dans leur rôle en voulant interpeller l’opinion et le gouvernement quant à la problématique du coût des études. C’est, je le redis, un constat que nous pouvons toutes et tous faire (et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui a poussé le Conseil de la Vie Etudiante du Grand Nancy à soutenir l’épicerie sociale et solidaire des associations étudiantes (Agorae).

Il faut cependant s’interroger quant aux moyens de quantifier et de qualifier ce constat, sans éluder les vraies questions de fond et notamment un début plus global, quasiment « de société », sur le mode de financement des études (qui ne sont absolument as gratuites, contrairement à une phrase véhiculée dans la doxa) et intégrant aussi bien la question des droits d’inscription que les aides sociales au sens large (bourses, ALS et APL etc.) et bien sûr la fiscalité des jeunes … et de leurs familles.

Car outre la seule question du « coût des études », se pose plus largement un débat de société en matière de solidarité entre les différents milieux sociaux ainsi qu’entre les générations.

Edit : Pierre Dubois consacre également une chronique à ce sujet cette année, accessible ici

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