Voici un sujet difficile à aborder. Non pas parce que certains (dont je ne suis pas) le considèrent tabou, mais parce qu’il est réellement complexe.
Je signale tout d’abord la chronique très intéressante et engagée d’Emmanuel Davidenkoff (Directeur de la rédaction du magazine « L’Etudiant) au sujet du bizutage.
Rappelons tout d’abord comment la loi française définit le bizutage dans le cadre de son interdiction. Article 225-16-1 du Code Pénal : « Hors les cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 50 000 F d’amende. »
A noter également que l’article 3 dispose que « les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement » …
La définition proposée dans le cadre de la loi est habile parce qu’elle permet de prendre en compte une grande variété de situations, et notamment parce qu’elle intègre la pression sociale (« contre son gré ou non ») qui s’exerce parfois et protège ainsi les victimes même dans le cas où elles n’ont pas pu dire « non » dans l’instant mais où elles souhaitent porter plainte par la suite. En revanche, on peut se demander parfois où se trouve la limite avec ce qu’on observe dans les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon (si ce n’est que la loi restreint la définition au seul cadre éducatif) : nulle provocation de ma part dans ce propos, je rejoins ici le commentaire d’Emmanuel Davidenkoff qui, dans sa chronique, estime que « L’on est tenté de dire ici qu’à trop vouloir embrasser, la loi a mal étreint l’objet de son courroux ».
Parmi les cas récents, on a beaucoup parlé du bizutage survenu le week-end dernier en Belgique, dont une étudiante française a été victime. Il faut ici saluer la vigueur et la fermeté de la réaction du Recteur de l’Université de Liège, Bernard Rentier (je vous invite à suivre sa page facebook et/ou son compte twitter). Une affaire qui s’intègre aussi dans un environnement lié au folklore étudiant très présent en Belgique mais aussi en France (même s’il est plus divers en raison, en partie, de l’éclatement de notre système d’Enseignement Supérieur). Il convient néanmoins de rappeler que le folklore étudiant (que j’ai également fréquenté plusieurs années) n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante relative au « bizutage ».
Intéressant aussi est le titre de cet article du « Figaro Etudiant » : « Coma après un bizutage étudiant : l’Université pas pressée de sévir ». Intéressant parce que :
– ce titre illustre la recherche systématique d’implication et de réaction de la part de l’établissement (je l’ai moi même vécu en 2009, lorsque j’étais VP Etudiant) en cas de drame, car après tout « ce sont ses étudiants ». Les chefs d’établissements ne s’y attendent pas toujours (même si la Conférence des Présidents d’Université se préoccupe des questions de règlementation et de responsabilité quant aux évènements étudiants, à juste titre), notamment lorsque les évènements incriminés ont lieu en dehors de leurs campus. En l’occurrence, Bernard Rentier a choisi de répondre par la fermeté et il me semble que c’est clairement la bonne attitude à avoir
– cependant, le titre de l’article du Figaro semble reprocher à l’Université (« pas pressée ») de ne pas réagir assez vite, alors que l’article en lui-même évoque simplement le fait que l’ULg attend les conclusions de l’enquête pour prendre des mesures internes à l’égard des étudiants impliqués. Une prudence qui me semble pertinente puisque c’est la justice qui dispose des moyens et de la légitimité pour enquêter
Le cas de cet article du Figaro pose donc aussi la question du traitement médiatique que peut susciter la problématique du bizutage, marronnier de la rentrée (parmi d’autres …). Evidemment, à la décharge des médias, ce marronnier n’aurait plus de raison d’être s’il n’y avait plus de bizutage. Saluons par ailleurs la distance prise par le journaliste Patrick Tardit de l’Est Républicain dans son article paru aujourd’hui au sujet du bizutage, article pour lequel le Vice-Président Etudiant (son compte twitter : Aurélien Martin) de l’Université de Lorraine et moi avions été interviewés.
En Lorraine et dans le Grand Nancy, un lourd travail (plusieurs fois présenté sur ce blog) de prévention et d’accompagnement des évènements étudiants s’appuie sur une Charte « Manifestations Etudiantes Responsables », dont le lecteur remarquera que l’intitulé ne parle ni de soirées ni d’alcool. S’y intègrent donc aussi bien les questions relatives au bizutage que celles relatives à la mise en sécurité des tournois sportifs. Cette charte est commune à l’Université de Lorraine et au Grand Nancy et permet de parler d’une seule voix aux organisateurs, avec le soutien des pouvoirs publics, notamment de la Préfecture de Meurthe et Moselle dont le Directeur de Cabinet (par ailleurs en charge de la MILDT) vient de renouveler son soutien à la démarche.
Car pour les jeunes en phase d’acquisition d’autonomie que sont les étudiants, il faut expliquer (sans stigmatiser) que ce qui ne leur parait pas violent ou humiliant peut cependant l’être pour leurs congénères. Une sorte d’apprentissage de la prise en compte de l’autre, de l’écoute, participant de la socialisation de la population étudiante. Un apprentissage de l’écoute et de la prise en compte de l’autre qui sont intrinsèquement constitutifs de la formation universitaire. La boucle est bouclée.
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