Voici une expression et un sujet que beaucoup ont désormais à la bouche : le « Sentiment d’Appartenance ». Je m’y étais déjà intéressé lorsque j’étais VP Etudiant de l’Université Henri Poincaré, j’y reviens quelques années plus tard avec un regard un peu différent que je souhaite ici proposer au lecteur, en deux chroniques dont voici la première.
Ce qui m’a toujours fasciné avec ce concept, c’est son caractère un peu mythique, voire mystique, sorte « d’eldorado » de l’identité que tout le monde appelle de ses voeux sans toujours savoir s’il est un but ou un moyen, ou la manifestation / résultante d’un ensemble d’activités. Bref, un concept polysémique que chacun revendique, mais qui mérite que l’on s’y attarde quelque peu …
Et d’ailleurs, pourquoi s’y attarder ? Plusieurs éléments contextuels méritent d’être posés en préalable, je vous propose d’en retenir trois principaux :
1 – la convergence des politiques publiques de Recherche et d’Enseignement Supérieur (« isomorphisme institutionnel« ) dans le Monde et, ce faisant, la référence aux pratiques (benchmarkées) et identités à l’œuvre dans les établissements « leaders » (et donc faisant référence) des classements internationaux, notamment anglo-saxons. Je pense ici au déploiement de « boutiques » d’objets promotionnels (et les fameux « sweats »), ou encore au retour des cérémonies en toges doctorales solennelles (j’en profite pour rappeler au passage que ces pratiques ont existé en France mais ont disparu depuis plusieurs décennies)
2 – la mise en concurrence de l’Enseignement Supérieur (public / privé), en lien avec celle des territoires, dans le contexte d’une internationalisation des activités d’ESR
3 – les évolutions institutionnelles et organisationnelles observées en France, en corollaire des évolutions pré-citées. Je vous invite, comme souvent, à vous reporter aux travaux de l’équipe de Christine Musselin au CSO. Je fais ici allusion à des évolutions telles que décrites par C.Musselin comme le glissement de la « République des facultés » vers « Le temps des universités », pour reprendre les intitulés de chapitres employés dans son célèbre ouvrage « La longue marche des universités françaises » (2001)
Le développement d’un « sentiment d’appartenance » est, dans ce contexte, revendiqué comme un objectif croissant des organisations universitaires. En témoigne par exemple ce rapport conjoint de la Caisse des Dépôts et de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), qui consacre un chapitre à ce sujet avant de conclure : « Ce sujet du sentiment d’appartenance quoique difficile mérite d’être traité. Toutefois il ne se décrète pas. Il ne peut se résumer à la publication d’un annuaire des anciens par exemple. En revanche il renvoie ou fait écho à une image de l’université. Il résulte donc d’une politique globale et cohérente sur les conditions d’accueil et les conditions d’études des étudiants notamment dans les premières années ainsi que sur une politique de communication. » On reste un peu sur sa faim, mais j’y reviendrai dans la prochaine chronique.
Au passage, le texte précédent rappelle utilement une évidence : une condition nécessaire (mais est-elle suffisante ?) au déploiement d’une identité forte à l’égard d’un établissement, réside dans le fait de tout faire pour que l’étudiant « en garde un bon souvenir ». Comme attendre d’un étudiant qu’il s’identifie à une organisation qu’il rejette ?
Revenons sur ce concept de « sentiment d’appartenance », qui m’intrigue depuis longtemps. Suffisamment longtemps pour pouvoir collecter de nombreux avis et perceptions sur le sujet. Si chacun en a sa définition, quatre questions majeures ressortent systématiquement :
– le lien éventuel existant entre « sentiment d’appartenance » et taille de la formation, partant du constat que les petites structures facilitent l’identification des étudiants à « leur » identité : on pense naturellement aux écoles d’ingénieurs par exemple
– le lien éventuel existant avec le caractère sélectif ou non de la formation : outre l’exemple pré-cité des écoles, on peut également penser aux études médicales, où on relève par ailleurs que la vie associative est souvent très riche, dense, festive
– la question de l’échelle : le sentiment d’appartenance s’exerce-t-il à l’échelle d’une composante ? D’un département ? D’une université ? D’un de ses campus ? D’une ville universitaire ? etc. Si le lecteur se dira naturellement que c’est davantage à l’échelle de la proximité (donc plutôt de la composante) que ce sentiment se forme, il convient de relever que les organisations universitaires souhaitent s’approprier de plus en plus leur image et la manière dont elles sont perçues par leurs étudiants. Une situation pas tout à fait neutre qui rejoint la problématique centre-composantes posée de plus en plus depuis quelques décennies en France. C’est d’ailleurs pour cela que je faisais allusion auparavant à la fin de la « République des facultés »
– ce que revêt le concept « d’appartenance » : peut-on dire que l’étudiant « doit se sentir appartenir » à une organisation, ou plutôt qu’il faut l’aider à se l’approprier ? Une question qui rejoint celle de la différence entre identité et « appartenance »
Il me semble par ailleurs que les deux premières observations, empiriques, se rejoignent. Car le lien entre « taille » et « sélection » est implicite : il s’agit, plus généralement, du rapport qu’entretiennent les étudiants avec une formation qu’ils sont peu à avoir rejoint au regard du potentiel.
Pour autant, que dire des étudiants d’un campus « multi-composantes » comme un campus « Lettres et Sciences Humaines » ou « Sciences » comportant une grande variété de disciplines et de composantes ? S’identifient-ils aux « UFR » ? Pas toujours, si je pense aux campus nancéiens par exemple. Ne serait-ce que parce que le sigle UFR parle à bien peu de monde …
Je me rappelle également de l’affaire des « limaces », suite à la parution d’un article et d’une photo dans l’Est Républicain, évoquant « l’oisiveté » apparente (et toute relative) des étudiants du Campus LSH de Nancy en 2010. Un article qui avait suscité une vaste réaction de protestation de l’ensemble des étudiants du campus (comme celle exprimée ici). Une illustration du fait que l’adversité est aussi génératrice de réactions intéressantes …
Vaste sujet donc que ce fameux « sentiment d’appartenance », qui intéresse également de plus en plus les collectivités et les villes universitaires, notamment au titre du marketing territorial. Un marketing qui pose de nombreuses questions similaires, à commencer par celle du périmètre. A Nancy par exemple, faut-il uniquement promouvoir les activités culturelles et de loisirs de la seule agglomération ou un cadre plus large, par exemple dans la perspective du « Sillon Lorrain » (de Thionville à Epinal en passant par Metz et Nancy) ? Les étudiants semblent en tous cas en demande d’un élargissement de leur lisibilité/visibilité sur les pratiques accessibles au delà de la seule agglomération (aller skier dans les Vosges, par exemple, en autant de temps qu’il ne le faudrait pour traverser Paris).
Dans la prochaine chronique sur ce sujet, je m’efforcerai de proposer un regard plus « opérationnel » et factuel sur le concept de « sentiment d’appartenance ».
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