L’équipe de mon ancien Master « Développement et Management des Universités » (sous la responsabilité conjointe de Stéphanie Mignot-Gérard et Patricia Pol) organise périodiquement des séminaires ouverts au public. Après une première conférence intitulée « What is a world-class university ?« , c’est un séminaire dédié à l’étude des palmarès universitaires et hospitaliers qui était proposé le 25 octobre.
Je n’ai pas pu en prendre de photos, mais je vous en propose quelques éléments saillants en guise de synthèse des présentations des chercheurs François Sarfati (sociologue qui fut par ailleurs mon responsable de Mémoire de Master. Educpros l’avait d’ailleurs interviewé il y a peu suite à une publication sur les « décrocheurs ») pour le volet « universitaire » (s’appuyant sur une étude portant sur un classement de masters re-baptisé « Super Masters », plutôt qu’un classement d’établissements) et Frédéric Pierru pour le volet hospitalier. Le tout était animé par Etienne Nouguez, chercheur au Centre de Sociologie des Organisations (UMR Sciences Po – CNRS).
Pour ce qui concerne l’étude portant sur « Super Masters », François Sarfati conclut des entretiens avec les étudiants rencontrés que ces derniers ont une idée déjà assez précise du type de master qu’ils veulent suivre, avant de consulter le classement. Ils s’en servent souvent pour exposer leurs motivations lors de l’entretien de recrutement de leur master « cible » (« j’ai vu que votre master était bien classé dans … »), ou encore pour justifier ensuite leurs prétentions salariales et professionnelles dans leur insertion professionnelle.
Les intervenants ont pu mettre en avant un grand nombre de points communs intéressants dans la manière dont se sont déployés et dont se déploient ces palmarès. En particulier :
– comme sociologues, ils se sont logiquement intéressés aux parcours et trajectoires de leurs concepteurs, qui peuvent se percevoir eux-même et/ou être perçus comme des « zorros » ou des « robins des bois » (sic) cherchant à bousculer des hiérarchies établies. Leurs motivations peuvent, au travers de leurs propres parcours, être interprétées comme une forme de « revanche sociale » vis à vis des hiérarchies qu’ils entendent bousculer. Les concepteurs de classements peuvent être vus comme des « prescripteurs de réputation », se proposant de « mettre en forme un marché », et pour certains de le perturber. Dans le cas de « Super Masters », les concepteurs ayant « monétisé » leur outil (c’est le sens de leur modèle économique) peuvent être même qualifiés comme étant des « entrepreneurs de réputation ». Dans le cas hospitalier, les journalistes à l’origine des palmarès sont souvent passés par la presse « consumériste » avant de rejoindre une presse « de vulgarisation »
– outre la sociologie des concepteurs, les intervenants suggèrent de s’intéresser à la sociologie des sources car les sources tendent à faire évoluer les classements. Par exemple, les critères retenus pour les classements hospitaliers ont évolué sous la pression progressive des procès intentés par certains médecins aux journaux suite à la parution de palmarès. Frédéric Pierru insiste donc sur une certaine conception des relations entre « l’univers classé » et le « classement », en inter-relation (« La charge critique des palmarès hospitaliers a été neutralisée par les univers classés »)
Les concepteurs et les sources peuvent donc, en ce sens, être considérés comme des marginaux sécants.
– finalement, les palmarès tendent à médiatiser des hiérarchies plutôt qu’à les perturber : des mécanismes de rétrocontrôle (comme les procès des médecins) freinent ou annulent leur caractère « perturbant » pour les hiérarchies ciblées. Pour le cas universitaire, on peut s’interroger sur ce qui structure la rationalité à l’œuvre chez les responsables de masters qui financent des publicités dans le guide du classement « Super Masters » et les évènements organisés autour. Une question sur laquelle nous sommes revenus durant le débat à l’issue de la conférence, Stéphanie Mignot-Gérard introduisant la notion de « risque » perçu par ces responsables quant au fait de ne plus figurer dans les formations classées
– les classements posent la question « du choix » : l’approche selon laquelle donner une information présentée comme « objectivée » permet de démocratiser l’accès aux études ou à des services de soins de meilleure qualité, néglige le coût que représente le choix d’un service plutôt qu’un autre. Dans le cas hospitalier, un marseillais faisant une attaque cardiaque ira-t-il se faire soigner à la Pitié-Salpétrière (à 800 km) au prétexte qu’il est premier du classement des services d’urgences ? De même, un étudiant toulousain peut-il toujours se permettre d’aller étudier à Paris, par exemple vu le coût du logement ou la distance d’avec sa « petite-amie » ? In fine, la « captivité » du public cible explique aussi en partie le peu d’effets observés pour l’heure sur les stratégies du grand public
Au final, les classements semblent nous inviter à nous interroger sur la confrontation entre deux logiques :
– la logique « démocratique », qui considère (dans une approche in fine assez « libérale ») les palmarès comme une manière de permettre à tout un chacun de faire un choix « en connaissance de causes ». A ceci près que chaque individu n’est pas également « outillé » pour s’approprier l’information (ce qui me fait habituellement dire que le vrai enjeu du XXIème siècle n’est pas la diffusion de l’information et de la connaissance mais bien leur appropriation)
– la logique « de marques », reposant sur l’organisation qui porte l’objet classé et sa réputation : dans le champ de l’Enseignement Supérieur par exemple, le très bon classement de masters portés par des « petits établissements » ne peut pas toujours suffire à compenser la « marque » et le prestige de certains établissements (ex : HEC, Sciences Po etc.). En quelques sortes, la logique « démocratique » ne prend le pas sur celle de marques que jusqu’à un certain seuil, une espèce de « plafond de verre » (terme employé par François Sarfati).
Une approche alternative peut consister à considérer ces classements comme un affrontement entre une logique « révolutionnaire » (visant à perturber les hiérarchies établies) et une logique « conservatrice » (le classement doit dans une certaine mesure rester fidèle aux hiérarchies des sources pour être considéré comme crédible). Les intervenants relèvent par ailleurs que le fait d’établir des palmarès et classements peut être vu comme une « violence sociale » faite à des acteurs qui n’ont pas pour habitude d’être mis sur le même plan que d’autres, comme comparer HEC et l’Université de Pau (contre laquelle je n’ai rien, bien entendu !). « On créé des équivalences là où on pensait que ça ne serait pas possible », comme l’a dit Etienne Nouguez pour conclure.
Une conférence très intéressante donc qui me permettra de considérer avec une autre approche la question des classements de villes étudiantes par exemple.
(Edit 31/10/2013 : un autre compte-rendu sur ce séminaire est accessible ici)
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