Là, ça se complique. Tout d’abord, parce que l’enquête de l’OVE ne permet pas d’affirmer « toujours aussi nombreux » : le périmètre de l’enquête de l’OVE ayant changé depuis 2010, les comparaisons (d’ailleurs David Pujadas ne cherche pas à étayer par des chiffres ici) sont plus difficiles. Le développement des stages obligatoires tend néanmoins, dans la durée, à faire croitre au fur et à mesure le nombre d’étudiants « qui ont une activité rémunérée ».
Ensuite, et techniquement, David Pujadas commet l’erreur classique consistant à entendre « travail étudiant » au sens large du terme, alors qu’il convient d’en distinguer au moins deux types :
– les « jobs étudiants » exercés en plus des études, parfois concurrents avec eux
– le travail étudiant intégré aux études : stages, gardes, alternance etc. La précision est de taille, car cette catégorie représente ainsi 46% des activités rémunérées des étudiants … Et ne pose pas du tout les mêmes contraintes aux étudiants, puisque s’agissant d’activités intégrées aux études et insérées dans les emplois du temps. Il n’y a ici a priori pas de concurrence avec le suivi des cours
Or, tout le reportage va être illustré par le cas d’étudiantes exerçant des activités rémunérées de type « petits boulots », soit des activités relevant du premier type.
L’OVE précise d’ailleurs dans sa brochure : « Près d’un étudiant sur deux travaille pendant l’année universitaire (46 %). L’intensité de l’activité rémunérée et son lien avec les études sont deux informations utilisées pour déterminer si l’activité rémunérée entre, ou non, en concurrence avec les études. On distingue ainsi : les stages et alternance (29 % des étudiants qui travaillent), l’activité rémunérée liée aux études (17 %), les jobs étudiants (35 %), les activités rémunérées concurrentes des études (6 %) et très concurrentes des études (13 %). Un étudiant sur deux qui exerce une activité fortement concurrentielle à ses études estime que celle-ci a un impact négatif sur ses études. C’est dans les filières universitaires de lettres-SHS que les étudiants exercent le plus souvent une activité fortement concurrentielle aux études (24 %) tandis que les stages rémunérés et les formations en alternance sont dominants en écoles d’ingénieurs (60 %). »
Au sens où l’entend David Pujadas, il n’y a donc pas 46% d’étudiants salariés (sous-entendu : d’étudiants qui « bossent en dehors de leur cursus ») mais, selon l’OVE, plutôt 25%. Un chiffre donc inférieur presque du double de ce qui était initialement affirmé. Sans parler du fait qu’il convient de distinguer ces activités en fonction de leur impact sur le temps d’études des étudiants : travailler 2h par mois n’est pas la même chose que 20h par semaine.
Vous direz que je pinaille avec les chiffres, mais le « salariat étudiant » est un sujet suffisamment complexe et important, pour qu’on évite de faire dire n’importe quoi aux chiffres. C’est pourtant une habitude récurrente en France.
Le reportage se poursuit au travers du cas de deux étudiantes, ayant chacune « 20 heures de cours hebdomadaires ». L’information a son importance, car plus un cursus est chargé en cours (ou en stages et gardes), plus le cumul avec un job étudiant est difficile. Une approche que l’OVE intègre également dans son guide « Repères ».

Extrait de la brochure « Repères » de l’OVE – 2013 – Emploi du temps des étudiants selon les filières
La première étudiante (Lara) rencontrée étudie à « la faculté de la Sorbonne Nouvelle ». On imagine qu’il s’agit plutôt de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, le terme « faculté » n’existant plus dans le code de l’Education depuis la loi Faure (1968) même si de nombreuses composantes universitaires s’en attribuent souvent le nom dans leurs statuts.
Le cas de cette étudiante est intéressant : travaillant 12 heures par semaine comme serveuse dans une cafétéria du CROUS, elle explique être contrainte de sacrifier sa participation à certains cours pour assurer son service. De là, il aurait été intéressant de creuser deux questions :
– quels aménagements l’Université propose-t-elle à cette étudiante pour faciliter sa situation (dispenses d’assiduité et tolérances d’absence, report d’examens etc.) ;
– le CROUS (établissement public) s’inquiète-t-il de voir certains des étudiants qu’il emploie devoir sacrifier leurs cours ? Question importante quand on sait que de nombreux commentateurs souhaitent voir les universités développer des politiques plus ambitieuses de « jobs étudiants ». Autant alors y associer le CROUS quant à l’articulation de ces jobs avec les cursus.
Avec 12h par semaine, Lara exerce un job étudiant à moins d’un mi-temps hebdomadaire : au sens des études de l’OVE, son job n’est a priori que peu concurrent avec ses études (même si chacun conviendra que 12h c’est déjà beaucoup). On voit pourtant qu’il lui faut sacrifier certains cours. La raison tient au fait que la « limite » du mi-temps hebdomadaire souvent employée par l’OVE est une moyenne : c’est bien la situation de chaque étudiant qu’il faut considérer (positionnement de ses cours et volumes horaires, temps de trajets etc.) pour juger du niveau de concurrence entre études et job étudiant.
Deuxième exemple avec Claire, qui travaille chez Décathlon (toujours amusant d’ailleurs de voir les efforts pour faire semblant de masquer les marques dans les reportages).
Claire travaille 20h par semaine : elle rentre a priori plutôt dans la catégorie des jobs étudiants très concurrents avec ses études, mais semble pourtant bien le vivre. Voici là une nouvelle illustration du fait que la notion de « concurrence avec les études » relève aussi de l’appréciation par l’étudiant de sa situation globale, en intégrant sa motivation, car il est toujours bon de rappeler que des étudiants travaillent aussi par choix comme Claire. Pour sa part, c’est la recherche d’une première expérience professionnelle qui l’y a poussé. Etudiante en 4ème année (on ne sait pas dans quelle filière), Claire n’a-t-elle pas eu de stage à réaliser durant sa troisième année de Licence ?
Cette dernière question n’est pas innocente de ma part : je fais ici allusion aux travaux de Nicolas Charles (dont notamment sa thèse) et au recul que ce dernier a pu prendre sur la notion de « jobs étudiants ». Venu intervenir dans le cadre d’une conférence organisée par le Conseil de la Vie Etudiante du Grand Nancy, Nicolas nous avait notamment expliqué que certains systèmes étrangers d’Enseignement Supérieur concevaient autrement la part d’activité professionnelle dans les études, tant et si bien que les stages et les « petits boulots » n’y prenaient pas le même sens. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez revoir son intervention ici.
En tous cas, le reportage précise par la suite que Claire habite encore chez sa mère : elle est donc cohabitante, ce qui lui permet de dégager davantage de temps et de facilités pour « se salarier ».
Le reportage se poursuit : « la moitié des étudiants français qui travaillent le fait par nécessité. »
Le problème que pose cette affirmation, c’est la notion de « nécessité ». Notion que l’OVE a tenté d’appréhender au travers du tableau ci-dessous
A noter bien entendu que les questions ont été posées de manière cumulative. On relève néanmoins bien que 51% des étudiants concernés répondent que leur activité leur est indispensable pour vivre. Il serait bon de croiser ce résultat avec la situation financière de ces étudiants, et notamment la structure de leurs revenus (aides des parents et bourses notamment).
Je m’arrête ici : mon objectif était d’une part de relever les nombreuses imprécisions que ces reportages peuvent comporter, d’autre part de vous inviter à nouveau à nous interroger sur ce qu’est « le salariat étudiant ». Sujet complexe que l’OVE va davantage étudier dans les semaines à venir, et c’est heureux.
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