Parmi les évolutions majeures du paysage institutionnel français de ces 30 dernières années, les réformes de « décentralisation » sont parmi celles qui ont le plus marqué le champ de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Et logiquement, son financement.
On peut notamment penser à :
– la loi LRU, consistant à développer l’autonomie de gestion des universités (en leur transférant la gestion de leurs emplois et de leur masse salariale, dans un cadre défini par l’Etat)
– la montée en puissance des régions, qui se poursuit encore aujourd’hui avec un fort lobbying de l’Association des Régions de France. Un sujet dont les Assises de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, en 2011-2012, ont permis de montrer qu’il inquiète une communauté universitaire très attachée au fait que l’Etat reste le titulaire principal de cette compétence. Pour autant, la loi de l’été 2013 (dans son article 19) prévoit bien le développement de « Schémas régionaux », avec les régions à la proue sous l’angle de leur compétence de développement économique. Elles héritent par ailleurs du rôle de coordonnateur des « initiatives territoriales visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics, et participe à leur financement »
Ces mouvements ont été étudiés par différents chercheurs, dont notamment Jérôme Aust qui s’intéresse à ces questions. Je vous propose de consulter :
– plusieurs de ses articles comme « Quand l’université s’ancre au territoire » (sur le cas lyonnais), « Le sacre des Présidents d’université : Une analyse de l’application des plans Université 2000 et Université du 3ème millénaire en Rhône-Alpes » ou encore « Napoléon renversé » (s’intéressant à la mise en œuvre des PRES, avec Cécile Crespy).
– l’ouvrage Bâtir l’université – Gouverner les implantations universitaires à Lyon (1958-2004)
Par ailleurs, il interviendra jeudi lors « d’un petit déjeuner du CSO » de Sciences Po (les informations ici).
Dans ses travaux, Jérôme Aust s’est fréquemment référé aux plans « Université 2000 » (1990) puis « Université du 3ème millénaire » (U3M), élaborés pour moderniser les établissements en accompagnant la massification des effectifs. Ces plans sont évocateurs du rôle croissant des collectivités dans la Recherche et l’Enseignement Supérieur, et son financement. L’outil « roi » en étant notamment les CPER (Contrats de Projets Etat Région).
Cet investissement massif des collectivités s’est, par la suite, traduit aussi dans le souhait des collectivités d’être parties prenantes dans la gouvernance des établissements : depuis la loi de l’été 2013, les CA des universités comportent désormais « au moins deux représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements, dont au moins un représentant de la région » .
Toujours dans l’actualité récente, on peut signaler aussi le rôle des collectivités dans le financement du plan campus ou encore dans le Programme Investissements d’Avenir (PIA) : en témoigne cette interview d’Alain Rousset (Président de l’ARF) qui estimait en 2012 que » pour 1€ versé par les investissements d’avenir, 3 devront l’être par la laboratoire et les collectivités territoriales ».
Enfin, la création de l’Université de Lorraine constitue également un exemple de l’investissement « du politique » dans les coopérations universitaires : je pense au « Pacte territorial » signé par les collectivités concernées en 2011, venant par ailleurs à l’époque en appui de la réponse de la future université unique dans le cadre de l’appel à projets « Initiatives d’Excellence » (les « IDEX »).
Pour autant, quelques signaux récents invitent à se poser des questions, si on juge en tous cas par l’actualité en Lorraine :
– en parlant de l’opération Campus, le Conseil Général de Meurthe et Moselle a fait de sa participation au financement du plan campus un élément de négociation dans le bras de fer qui l’oppose à l’Etat quant à la dotation que ce dernier lui verse. Très concrètement, la convention partenariale de site qui règle les responsabilités des parties prenantes est plutôt explicite puisque la participation du CG54 à Campus est « sous réserve d’un accord national sur la répartition financière des transferts de compétences liées aux prestations sociales entre Etat et Départements français ». Une situation qui dure depuis 2010 et qui fait qu’à ce jour, le CG54 ne finance toujours pas l’opération Campus en Lorraine : les opérations touchées sont la rénovation d’une piscine universitaire, de logements étudiants, et la création d’un campus « Biologie Santé » (ce qui inquiète d’ailleurs beaucoup les étudiants en Santé à Nancy, qui craignent de ce fait « un campus au rabais » faute de financements suffisants)
– toujours dans l’actualité récente en Lorraine, le CG54 et la Région Lorraine souhaitent désormais, dans la perspective du prochain CPER, prioriser le financement de projets plutôt que des « actions immobilières » (article accessible ici). Concrètement, CG54 et Région veulent des projets, et surtout pas « de béton ». Sans pour autant dire qui va alors financer les bâtiments qui abriteront les projets … On imagine mal l’Etat en être capable compte-tenu de sa propre situation budgétaire
– en parlant de l’Etat, ce dernier annonce des baisses des dotations de fonctionnement des collectivités locales (jusqu’à -10 milliards d’euros !) : une perspective qui va inciter les collectivités à se recentrer sur leurs cœurs de compétences et risque de menacer le financement des projets universitaires. Sans parler bien sûr de la situation budgétaire des établissements, du réseau du CNOUS (voir cette prise de position de la FAGE) etc.
Pourtant il reste des chantiers universitaires et des engagements à honorer partout en France. Si les collectivités et les opérateurs de l’Etat voient leurs moyens diminuer, « qui va payer » ? La Recherche et l’Enseignement sont pourtant régulièrement réaffirmés comme étant les principaux ressorts du re-développement socio-économique de la Nation et des territoires …
Il est donc à craindre, si on pense à la baisse des dotations des collectivités, que l’Etat « charge ces dernières d’assumer » la baisse des moyens publics consacrés aux grands chantiers universitaires. Cette « double peine » issue de l’Etat annonce donc des années difficiles pour le financement de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur en France, au moment où notre pays en a pourtant le plus besoin …
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