Pour ce premier article de 2016 (au passage, tous mes voeux à celles et ceux à qui je n’ai pas encore eu l’occasion de les présenter), je souhaitais évoquer l’un des défis qui s’offre au monde éducatif en général, et universitaire en particulier : éduquer à l’humilité.
Cette idée d’article m’est venue après une succession d’expériences, et tout récemment la lecture de cet article sur le site du journal anglais « The Guardian » : Why people fall for pseudoscience (and how academics can fight back).
Cela fait de nombreux mois que je suis plus particulièrement marqué par la vitesse à laquelle se propagent rumeurs, hoax, théories complotistes (exemple hallucinant: les Chemtrails, présentés par ce site « exemplairement » complotiste …). Pensons également à ces personnes persuadées que les attentats de janvier 2015 ont été téléguidés par on-ne-sait quel service secret (d’ailleurs, si on ne le sait pas, c’est bien que c’est un complot, n’est-ce pas …).
Pensons également à la « Rumeur du 93 », sur laquelle revenait il y a quelques années le magazine « Envoyé Spécial »: les pouvoirs publics organiseraient sciemment le déplacement de populations étrangères dans certaines villes, dont les mairies (ou les maires, selon les versions) seraient « dédommagés » en conséquence. Inutile de préciser que l’extrême droite n’est pas la dernière à diffuser ce type de rumeurs (et surtout, à ne pas chercher à discerner le vrai du faux).
Malgré les nombreux démentis et tous les arguments rationnels déployés pour les contrer, on voit bien que ces rumeurs persistent. Elles se déploient et se développent d’autant plus facilement que l’espace numérique permet de les diffuser, à la vitesse d’un clic sur un réseau social. Ainsi en est-il également de ces artistes, décédés 3 ou 4 fois (pauvre Pierre Mondy) parce que des internautes à la mémoire courte repartagent des articles publiés il y a 5 ou 10 ans, en s’arrêtant à leurs titres et sans en chercher la date d’origine.
Je repense à ce cours de méthodologie universitaire que j’ai récemment donné à des étudiants de L1 : je leur avais distribué un texte hallucinant issu d’un site douteux, selon lequel la vaccination pouvait causer l’autisme. Après 15 minutes, premier échange avec les étudiants : tous finissent par me dire qu’ils vont y réfléchir à deux fois avant de se faire vacciner, reprenant les arguments de l’article dont le contenu était pourtant douteux. Mais pas un ne semblait douter de la validité du document qui était sous leurs yeux. Nous avons ensuite pris 30 minutes pour déconstruire ce texte, et mettre en évidence le procédé argumentatif employé pour manipuler le lecteur, ainsi que les arguments infondés dont il regorgeait. Mais en première lecture, ce n’est pas la démarche que ces étudiants, pourtant bacheliers, avaient entreprise (un enseignant qui distribue un texte faux, il ne manquerait plus que ça !).
Je repense aussi à un séminaire à l’Académie des Technologies, durant lequel avait été présentée une enquête du CREDOC sur le risque technologique : elle montrait que plus leur niveau d’études était élevé, plus les individus se méfiaient du progrès technologique. Ce qui m’avait interloqué, c’était la réaction de l’assistance, constituée de nombreux universitaires et chercheurs de haut niveau : « mais comment donc ? Un tel niveau de méfiance à l’égard des OGM de la part de Bac + 5 ? ». Plutôt que les résultats de l’enquête, c’est surtout cette réaction qui m’interpellait : sur le fond, il est logique qu’avec un niveau d’étude qui s’accroît, les gens « doutent » davantage. Mais jusqu’où douter ?
Au travers de ce dernier exemple comme des précédents, on voit que notre société est plus que jamais confrontée à la question du doute, dans un contexte où la population n’a jamais autant accédé à l’éducation, ainsi qu’à l’information. Or, l’accès à l’information ne signifie pas son appropriation éclairée : cela s’apprend, cela s’éduque.
Or, si on se réfère aux propos de Peter Gumbel dans Elite Academy, le système éducatif français enseigne davantage à trouver la bonne réponse plutôt qu’à déconstruire les mauvaises pour les comprendre (et capitaliser dessus). N’ayant pas de point de comparaison, je ne sais s’il faut lui donner tort ou raison. Quelques universitaires français tentent néanmoins d’expérimenter une démarche autour de la zététique, comme le collectif CORTECS dont Educpros s’était fait l’écho il y a quelques années, ainsi que le journal le Monde il y a un an. De même, le véritable enjeu de l’enseignement du code à l’école n’est-il pas de procurer aux jeunes une forme de réflexivité vis-à-vis des outils numériques (plutôt que prétendre former des enfants de 5 ans en vue de leur futur métier de programmeur, comme on peut l’entendre parfois …) ?
Le phénomène n’est pas neuf : la rumeur semble aussi vieille que l’humanité, mais ne s’est jamais diffusée aussi vite. Si certains parlementaires pensent qu’ils pourront régler le problème en interdisant les hoax, comment notre système éducatif peut-il prendre en compte la transformation numérique et sa capacité à générer et diffuser tout et n’importe quoi ? Dans le supérieur, la démarche zététique telle que développée à Grenoble n’aurait-elle pas vocation à essaimer ailleurs en France ?
Bref, plutôt que de former aux certitudes, n’est-il pas temps d’enseigner une humilité raisonnée ? Tiens, voilà qui ressemble au projet intellectuel de l’Université …
Nb :
– le Grand Nancy organisera en septembre 2016 un colloque sur « l’humanisme numérique », qui sera nécessairement l’occasion d’aborder la question éducative. Je tâcherai d’en donner des échos sur ce blog ;
– pour celles et ceux que cela amuserait, vous pouvez suivre cette page Facebook qui raille les « anti-vaccins ». Avec une limite : est-ce en moquant que l’on convainc ?
2 Responses to Complot, hoax, rumeurs … Éduquer à l’humilité à l’heure du numérique