Quand l’Etat détourne les meilleurs bacheliers des universités

Ok, le titre est un peu provoc…

Comme chaque année, impossible d’échapper au (non)débat estival sur les pratiques sélectives des universités. Ayant déjà écrit un article à ce sujet il y a quelques années (Le marronnier des pratiques illégales des méchantes universités), l’objet de ce nouvel article ne sera pas d’y redire les mêmes choses.

J’ai cette fois envie de réagir à cet article paru sur le site du journal le Monde le 21 juillet : Bac 2015, les nouveaux horizons des « bacheliers méritants »

Suite aux assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de 2012 et à la loi de l’été 2013 (dite « loi Fioraso »), l’Etat a mis en place un dispositif visant à permettre aux meilleurs bacheliers (10% d’entre eux dans chaque lycée) d’accéder à des formations sélectives.

A ce sujet, voir :

Seulement voilà, ce dispositif pose une question de fond quant à la conception de l’Enseignement Supérieur qu’il sous-tend. Si l’idée mise en avant consiste à soutenir la dimension « méritocratique » (terme commode puisque tout le monde peut s’en réclamer en dépit de sa dimension polysémique) de l’accès aux études supérieures et des cursus, il n’en reste pas moins que ses modalités invitent à quelques interrogations.

Tout d’abord, notons que permettre aux 10% des meilleurs bacheliers des lycées d’accéder à une filière sélective relève d’une approche faisant abstraction de l’origine sociale de ces futurs étudiants. Or, on sait que le déterminisme social fait déjà son oeuvre bien en amont dans le système éducatif, phénomène qui s’est d’ailleurs accentué ces dernières années. Autrement dit : ceux qui étaient déjà excellents pourront continuer à l’être en accédant plus facilement aux filières sélectives. Tant mieux pour eux. Et au passage, quid des autres bacheliers ? Que leur propose-t-on, en dehors de s’inscrire dans le privé ou dans la seule filière de premier cycle non sélective (la L1), dont les moyens et taux d’encadrement ne sont pas ceux d’un DUT ou d’une CPGE ?

Effet de bord : certains étudiants peuvent se voir détournés de la L1 universitaire pour aller en filière sélective. Or, c’est exactement le cas que décrit l’article du Monde cité plus haut :

« Après un cursus brillant en terminale ES au lycée Montaigne de Mulhouse, Dounyazad Douah, 17 ans, s’apprêtait début juillet à rejoindre la fac de psychologie de la même commune. La jeune femme s’était résolue à cette orientation un peu la mort dans l’âme, triste de ne pas découvrir une nouvelle ville, déçue de ne pas avoir été admise en prépa au lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg. Mais coup de théâtre mardi 14 juillet, le dispositif « bacheliers méritants » lui ouvre la porte que le système d’orientation APB (admission post-bac) lui avait fermée, son vœu de prépa est exaucé (…) Mieux encore, le lendemain, c’est Sciences Po Strasbourg qui l’invite à rejoindre ses bancs. »

Puis : « La folle semaine ne s’arrête pas là, la Mulhousienne est aussi conviée au ministère de l’éducation nationale pour être félicitée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem en personne. »

Conclusion :
il y a quelques jours, le gouvernement réaffirme son refus de la sélection à l’université
dans le même temps, l’Etat met en oeuvre un dispositif visant à envoyer les meilleurs bacheliers vers les filières sélectives. La Ministre invite à la rencontrer une jeune bachelière prometteuse que le dispositif a effectivement détourné de l’Université pour l’orienter vers Sciences Po.

Alors effectivement, personne n’a forcé cette future étudiante à s’orienter vers Sciences Po. Mais on peut s’interroger entre la compatibilité de ce dispositif, et les déclarations officielles affirmant vouloir soutenir l’Université et la remettre au coeur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche : le gouvernement est contre la sélection à l’université, mais envoie les meilleurs bacheliers vers les filières sélectives (dont certaines, comme les DUT, sont universitaires …).

Voilà qui interroge, non ?

Ayant lancé un débat hier sur mon compte facebook, voici quelques commentaires instructifs qui en ressortent :

  • pour Léonie, « ce qui est choquant c’est le décalage entre le discours et la réalité, le discours et les actes« 
  • Arnaud défend le dispositif en raison de sa conception du « mérite » : « Pourquoi ne pas être réaliste et se réjouir de ce dispositif cohérent avec la valorisation du mérite ? (…) Etre dans les 10% ayant le mieux réussi le bac, en l’occurrence. Et pour bénéficier de ce dispositif, ne pas avoir été recruté dans une filière élective. » – A ceci près que pour ma part, la notion de mérite doit également renvoyer à l’origine sociale
  • Marie écrit pour sa part : « Déjà, les bacheliers avec mention, c’est pas 10%, mais 48% des bacheliers. Si on garde les B et TB, on est à 20%. Je ne vois pas trop la valeur d’une catégorie d’excellence qui est quasiment la norme, mais passons. Ensuite, je ne vois pas pourquoi ces bacheliers, si tant est qu’ils soient méritants, devraient être privés de la filière d’excellence qu’est l’université 🙂« 
  • dans un autre commentaire, Marie écrit : « Non, mais sérieusement, on marche sur la tête. Tout cela est absurde. Le double discours ministériel qui poignarde dans le dos l’université est à vomir; L’attachement des français pour la prétendue excellence sélective des CPGE et GE est incroyable: voilà à un pays qui communie dans la joie et la bonne humeur sur les résultats d’un bac bradé, qui fait semblant de ne pas voir que l’on envoie à l’abattoir des gosses à qui ont fait croire qu’ils ont le niveau pour réussir dans l’ES. Voilà un pays qui dans une gignatesque poussée lénifiante se réjouit de l’absence totale de sélection pour le bac. Et qui réclame ensuite à corps et à cri une sélection sévère dans l’ES, à 18 ans, qui considère que si tu n’as pas été sélectionné sur tes notes de maths de 1ère, tu es un bon à rien. C’est dingue… (…) Et c’est lié ensuite à l’attachement dément, pendant toute la vie des gens, pour ce à quoi ils ont été sélectionnés à 18 ou 20 ans. Tu as fait partie des 30% d’étudiants sélectionnés de L1 à L2? on s’en fout! Tu as obtenu un master difiicile? on s’en fout, c’est l’université! Tu as un doctorat? On s’en fout, t’as pas fait une prépa à 20 ans.« 
  • François, qui est enseignant-chercheur dans une école d’ingénieurs universitaire, commente « C’est un combat à armes inégales… C’est amusant de constater que les écoles dont le but était de fournir une alternative égalitaire à la promotion par l’origine sociale ont fini par produire une nouvelle aristocratie…« 
  • enfin, « Mahster » réagit en confirmant bien la vision de l’université sous-tendue par un tel dispositif : « On parle tout de même d’étudiants qui auraient fait une L1 ou 2ans à vide pour préparer des concours d’école qui leur ont été refusées « sur dossier ». En plus ça touche une minorité, moi je trouve ça pas trop mal vu que l’Université c’est charmant mais c’est naze en termes d’attractivité « 

Ce dernier commentaire renvoie bien à l’idée que pour certains, il faut sortir les meilleurs bacheliers des griffes des horribles universités … Je vous invite toutefois à ne pas considérer cet article comme une attaque contre les filières sélectives, ou en leur faveur. Mais simplement comme une invitation à s’interroger quant à la cohérence globale du premier cycle des études supérieures, ainsi qu’à celle des politiques conduites à cet égard …

Pour finir, parce que c’est important : bonnes vacances à toutes et à tous (et bon courage à celles et ceux qui n’en prennent pas)

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Réforme du collège : pourquoi je suis mal à l’aise

Voilà un petit bout de temps que je n’ai pas publié sur ce blog, faute de temps et de sujet pertinent. Il paraît que ce qui est rare n’en est que plus cher (paraît-il …). Mais parfois, l’actualité donne envie de réagir …

Cela fait quelques jours que la France « bruisse » des contestations nées de la « réforme du collège » (d’ailleurs, « du » ou « des » ? C’est en fait tout le débat …). Et pour ma part, je suis très mal à l’aise avec ça, et j’ai envie de vous en faire l’aveu. 

Tout d’abord, premier réflexe (qui me semble partagé par beaucoup des observateurs et commentateurs) : je me réfère à mon cas personnel. C’est vrai, j’ai fait toute ma scolarité dans le public, de la maternelle jusqu’à l’université (dont chacun sait que je suis un fervent défenseur, trop diraient certains). Il se trouve que depuis la 6ème, j’ai fait de l’allemand. J’adorais ça, ma mère m’y avait poussé, et je ne l’ai jamais regretté : elle me disait d’une part qu’elle-même avait rêvé de l’enseigner quand elle était jeune, et d’autre part que les classes d’allemand étaient de meilleur niveau. J’ai continué jusqu’au Bac, après avoir rejoint une section européenne en seconde.

Dès le collège, j’ai aussi commencé le latin. Tous mes frères et soeurs en avaient fait, mes parents aussi. Quoi de plus logique que de m’y mettre aussi. Là encore, même si à l’époque j’en mesurais mal la portée, je ne le regrette nullement : j’en ai retenu de nombreuses choses enrichissantes aussi bien quant à l’histoire des civilisations antiques, que quant à la grammaire, la linguistique etc.

Je m’estime chanceux d’avoir pu faire ce parcours. J’aimerais que tous les enfants puissent avoir cette même chance, c’est le sens du projet Républicain.

Et en même temps, je me souviens fort bien du fait que, systématiquement, l’un des arguments qui prévalaient dans ces choix qui n’étaient pas que les miens mais aussi ceux de mes parents, c’était l’idée de me permettre d’intégrer des classes de meilleur niveau, ou un lycée de centre ville. Je ne pouvais qu’en être d’accord, et ça m’a sans doute beaucoup aidé dans ma trajectoire scolaire.

Mais du coup, comment puis-je aujourd’hui défendre la nécessité de mixité sociale dans et entre les établissements scolaires, alors que j’ai moi-même cherché à l’esquiver ? Ne serai-je pas tenté, une fois parent, de pousser également mes enfants à faire de même ?

Quelle horreur : les lignes précédentes sont inspirées de ma seule expérience personnelle. Comme ancien matheux , je ne peux que rejeter le fait d’utiliser mon exemple personnel pour en faire une démonstration. A ceci près que là, il n’est pas question de démonstration, mais d’exemplarité et d’inclusion dans un effort collectif en faveur du pacte républicain (que de gros mots !). En tant que parents et que citoyens, que sommes-nous prêts à faire pour y participer, au delà de nos bons sentiments ?

A lire ces lignes, vous en déduirez peut-être que je suis favorable au projet porté par le gouvernement. Il n’en reste pas moins que les choses sont plus complexes.

Je ne peux que soutenir l’idée que l’enseignement en histoire des idées humanistes puis de la période des Lumières doit faire partie des impératifs, tant elles sont constitutives des valeurs républicaines.

Je ne peux que soutenir l’idée que l’enseignement de l’allemand doit être renforcé, et pas pour maintenir à flot des classes ou des postes d’enseignants mais bien parce que c’est un enjeu socio-économique fondamental pour la France, l’Allemagne, et l’Europe (en particulier dans le quart Nord Est).

Je ne peux qu’être choqué par un texte honteux tel que celui-ci, intitulé «  La franco-marocaine Belkacem impose ses idées à l’école de la République », qui prétend traiter de « l’école de la République » en même temps qu’il porte en lui une stigmatisation des origines d’une ministre de cette même République. Tout en omettant le « Vallaud » de son nom de famille pour mieux insister … Qu’on soit ou non en accord avec la politique de Najat Vallaud-Belkacem, on ne peut se satisfaire de la voir attaquée au prétexte de ses origines, pratique qui devient récurrente et est aussi lamentable qu’inquiétante. 

Comment avoir un vrai débat, serein et constructif, quand les arguments sont tronqués, caricaturaux, fondés sur l’expérience personnelle et partielle des observateurs, et détournés par des idéologues qui sont davantage obsédés par les origines d’une Ministre que par la conduite d’une réforme qui serve le projet Républicain par l’éducation ?

Bref, je suis mal à l’aise avec cette réforme dont je partage l’ambition, mais souhaite néanmoins en discuter les modalités par préoccupation d’une vraie exigence pour la qualité de l’éducation dans notre pays qui soit néanmoins accessible au plus grand nombre, mais crains de ne pouvoir le faire sereinement vu le climat socio-démocratique du pays.

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L’Université est Charlie

Chacune et chacun d’entre nous suit depuis hier avec stupeur et émotion les suites de l’attaque du siège de Charlie Hebdo.

Nombreux ont été les témoignages de soutien aux valeurs de Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité que défendait (et nous l’espérons : défendra) la rédaction du journal. Et parce que ces valeurs sont aussi celles de la République, les forces de l’ordre aussi ont payé un lourd tribut depuis hier pour les défendre.

Le monde universitaire est également très largement mobilisé pour revendiquer ces mêmes valeurs républicaines, avec la conviction qu’elles participent du vivre-ensemble, de la tolérance par l’émancipation des individus, du développement de leur esprit critique, de son affirmation par l’exercice de la liberté d’expression.

Pour toutes ces raisons, elle aussi, l’Université est Charlie.

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Universités, recherche, et territoires comme objets de recherche : interview de Jérôme Aust

Plusieurs chercheurs ont fait du monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) leur « terrain de recherche », et livrent à cet égard un regard intéressant car réflexif et distancié quant aux grandes transformations de se secteur.

C’est notamment le cas au Centre de Sociologie des Organisations (fondé par Michel Crozier dans les années 60) qui en a fait un axe de recherche, dont je souhaite vous faire découvrir les travaux de l’un des chercheurs : Jérôme Aust (son CV sur le site du CSO).

Jérôme Aust

Les propos qui vont suivre sont issus d’une rencontre avec lui, (sympathique de surcroît) le 14 octobre 2014.

Comment définiriez-vous votre champ de recherche ?

Le premier de mes axes de recherche poursuit mes travaux doctoraux, qui portaient sur la gestion des politiques d’implantation universitaire. J’essayais d’analyser, sur un temps relativement long pour retrouver une perspective historique, les restructurations des relations entre l’Etat, les collectivités locales, et les universités, en partant des politique d’implantation universitaires et en regardant comment elles étaient gouvernées depuis les années 1960. L’idée de la thèse était de comparer le gouvernement de ces politiques dans les années 1960, et dans les années 1990, au moment où les plans Université 2000 et Université du 3e millénaire étaient lancés.  

Qu’en aviez-vous conclu ?

D’une part, le constat que le pouvoir étatique ne disparaissait pas, loin de là, dans les années 90. De manière plus inattendue, il y avait même une forme de stabilité des répertoires d’actions utilisées par l’Etat depuis les années 60 pour intervenir dans ce secteur : davantage un pouvoir de contrôle que d’initiation

D’autre part, l’influence des collectivités locales restait contenue : elles finançaient beaucoup mais pesaient finalement assez peu. 

Enfin, les reconfigurations du pouvoir universitaire se traduisaient par une montée en puissance très nette des Présidents d’universités, faisant ainsi écho au travaux de Christine Musselin. On assistait également au développement de relations horizontales entre universités d’un même site, avec l’émergence d’une capacité d’action collective des Présidents d’universités, entre eux, qui réussissaient ensemble à définir un agenda, et à l’imposer à d’autres. C’était sans doute, vis à vis des années 60, le changement le plus important. 

Cela amenait donc à réfléchir sur les reconfigurations territoriales du pouvoir universitaire, en mettant l’accent sur cette capacité d’action collective avec une stratégie par sites, avec une capacité assez forte à résister aux injonctions et objectifs des élus locaux. Ces acteurs développaient leurs coopérations aussi pour leur résister, par anticipation face à la crainte d’un interventionnisme croissant des élus locaux. Ils faisaient le pari qu’en se mettant d’accord entre eux, il serait d’autant plus difficile pour les élus locaux d’aller contre les stratégies des exécutifs universitaires. 

Ce premier axe de recherche a ensuite trouvé un prolongement par des études qui concernaient la mise en place des PRES, mettant notamment en exergue l’institutionnalisation, par l’action ministérielle, de ces relations locales et horizontales qui étaient auparavant davantage informelles. On retrouvait les élus locaux qui soutenaient la démarche, la finançaient aussi, mais qui étaient néanmoins maintenus soigneusement « à la porte » de la définition des objectifs, les Présidents et Directeurs de grandes écoles s’arrangeant pour que la définition des PRES reste dans les mains académiques. 

Ces travaux trouvent encore une certaine actualité si on repense aux « politiques d’excellence ». Rétrospectivement, l’analyse que nous avons ensuite réalisée sur les DRRT prolonge ces travaux. Ces DRRT illustrent encore ces processus : leurs trajectoires nous renseignent sur les difficultés d’un service déconcentré du Ministère à rentrer, lui aussi, dans la définition des stratégies académiques qui restaient, au moment de l’opération « Campus », définies dans un cercle restreint d’exécutifs académiques et très largement pilotés entre le centre ministériel et les exécutifs des établissements. 

C’est un axe de recherche que je continue à développer avec Ch. Musselin, en étudiant notamment le Programme des investissements d’avenir et la manière dont les réponses aux IDEX ont été formalisées. Nous continuons à nous intéresser à la manière dont le pouvoir universitaire en France trouve une forme d’assise locale. 

Et votre deuxième axe ?

C’est un axe qui est davantage en cours : il s’agit du gouvernement des politiques scientifiques, dans le cadre d’un projet ANR que je coordonne, intitulé « Gouverner la Science » qui arrive dans sa dernière année. Le projet repose sur deux questionnements principaux. 

La première question peut se résumer par « qui gouverne ? ». L’idée est d’avoir une réflexion sur les acteurs qui participent au gouvernement des affaires scientifiques, en étudiant l’évolution historique de leurs relations, et les restructurations qui marquent le profil de cette population. La question sous-jacente est de voir dans quelle mesure les injonctions croissantes à « une science plus utile » trouvent un écho dans les acteurs qui gouvernent ces politiques. Il y a donc une réflexion sur l’évolution historique des caractéristiques de ces acteurs. L’objectif est aussi de comprendre ce qu’a changé la mise en place des agences à « l’élite scientifique » (profils biographiques, carrières …) si on la définit comme étant celle qui participe aux décisions, à l’allocations de fonds et à l’attribution de postes etc.

La deuxième question porte sur le financement sur projets ou le financement sur contrats comme on l’appelait dans les années 1960 et 1970. Les dénominations ont changé mais ces instruments d’allocations de fonds reposent sur une philosophie largement identique : susciter le développement de projets de recherche et les financer de manière temporaire. Notre idée est de réaliser un suivi longitudinal de l’utilisation par les pouvoirs publics de ces dispositifs : nous faisons le pari que c’est un bon observatoire qui permet de répondre à la question non pas de « qui gouverne la science », mais « comment on la gouverne ». 

N’y-a-t-il pas un paradoxe dans le fait d’avoir récemment voulu conforter l’autonomie de gestion des universités au début des années 2000, en même temps qu’apparaissent des appels à projets nationaux type « Campus » ou les « Investissements d’avenir » qui guident les politiques universitaires ?

Si, bien sûr, il y a une forme de tension et un paradoxe. Les acteurs s’en plaignent d’ailleurs, de cette « autonomie tronquée ». Ce n’est cependant pas propre à la France.

Si on regarde du côté allemand, ou britannique, on retrouve cette tension entre l’autonomie des établissements et le développement d’outils, qui sont différents de ceux utilisés en France, mais qui participent aussi de formes de pilotage à distance par le contrôle, l’évaluation ex post ou l’allocation différentielle des ressources. On retrouve cette tension entre autonomie et contrôle même si la portée du contrôle et les formes qu’il prend changent d’un pays à l’autre.

 J’en reviens aux politiques universitaires locales : qu’est-ce qui a permis, selon vous, aux universitaires de maintenir les élus locaux à distance ?

Il y a plusieurs processus qui s’additionnent les uns aux autres.

D’abord, tous les élus locaux ne sont pas désireux d’intervenir dans la définition de la stratégie universitaire. Pour certains, il y a un discours qui consiste à dire : « vous vous arrangez, vous nous présentez quelque chose qui soit cohérent, avec une stratégie, une vision de long terme, et nous on suit ». Ce qu’ils attendent des universités, c’est surtout de limiter les guerres intestines, d’avoir de la cohérence, un projet. A partir du moment où c’est fait, ils ne sont pas forcément plus désireux que cela de rentrer davantage dans la « cuisine interne » des établissements, ce qui évite par ailleurs de prendre parti. 

Ensuite, quand ils souhaitent intervenir, les élus locaux n’ont pas tant de leviers que cela. Il faut rappeler qu’ils n’ont pas vraiment de compétence juridique. Les universitaires et les représentants de l’Etat leur rappellent parfois dans les négociations. Les élus locaux ont ensuite du mal à conditionner leur intervention et leur soutien financier à des critères. L’enseignement supérieur et la recherche ont pris une telle part dans les stratégies de développement territorial, qu’il est difficile pour un élu de ne pas intervenir du tout dans ces domaines, ou de n’intervenir qu’à des conditions très limitatives. C’est tout à fait possible dans les années 1960, c’est beaucoup plus difficile à partir des années 1990 à un moment où l’université est considérée comme un facteur clé du développement local. Les élus sont aussi pris dans des relations de compétition avec leurs homologues, et il est parfois difficile pour eux de faire front commun sur le dossier universitaire comme sur d’autres dossiers.  Enfin, il y a aussi le fait que dans ces collectivités, ceux qui sont en charge de ces questions sont souvent des élus qui ont ou ont eu une carrière universitaire ou académique. Ils savent qu’il ne « faut » pas prendre les universitaires de front. Ils adhérent aussi souvent « en valeur » à l’idée d’une autonomie universitaire qui doit être forte. 

Un autre élément tient aux dispositifs qui sont développés par l’Etat pour encadrer les négociations avec les collectivités locales. Ces dispositifs reposent souvent sur le principe du cofinancement, ce qui fait que si une collectivité locale ne met pas d’argent sur un projet, il risque de ne pas aboutir. C’est une forme de mise en compétition implicite des collectivités locales et un moyen pour l’Etat d’attirer les fonds locaux tout en conservant une forme de maîtrise du pilotage du secteur. 

Dans les cas que j’ai étudiés, la capacité de résistance des universitaires tenait aussi à leur capacité à « jouer collectif » pour refuser les interventions des élus locaux. C’est un facteur déterminant. Sur les terrains de mes enquêtes, les présidents d’université et les directeurs des grandes écoles considéraient que l’université n’avait pas rien à gagner à ce qu’une collectivité devienne interventionniste de manière plus permanente. Même s’ils pouvaient y perdre ponctuellement, ils refusaient souvent en bloc l’interventionnisme local et préféraient « jouer collectif » et s’attacher à définir une stratégie commune aux établissements. 

Dans le contexte actuel dans lequel les dotations des collectivités vont baisser et où les montants affectés aux prochains CPER sont annoncés en grande diminution, quel impact en attendre sur les relations entre collectivités et universités ? On peut imaginer soit que les collectivités vont se recentrer sur leurs « coeurs de compétences », soit qu’elles vont chercher à maintenir leur soutien tout en étant plus exigeantes quant à leur implication dans l’utilisation faite de leurs aides.

Oui, c’est une vraie question. Les collectivités doivent en effet faire face au rétrécissement de leur marge de manœuvre financière. Je ne sais pas cependant si cela se traduira par un recul de l’intervention locale ou par une pression plus forte quant à la destination des fonds locaux. Les mois qui viennent vont être de ce point de vue intéressants à observer. Mais les collectivités sont sur une ligne de crête. D’une part, elles ont fait de l’enseignement supérieur et de la recherche l’une des clefs de leur stratégie territoriale, et donc les élus sont généralement désireux d’intervenir. D’autre part, les capacités d’intervention locale ne sont pas si importantes que cela, dans un contexte où l’Etat les met aussi de plus en plus souvent en concurrence.

Dans les périodes récentes, les associations de collectivités ont plaidé pour obtenir des sièges « de droit » dans les conseils d’administration des universités. Qu’en penser ? 

Si on consulte les travaux qui portent sur le gouvernement des universités post-LRU, comme ceux de Christine Musselin et Stéphanie Mignot-Gérard (voir ici ou ici), on est en tous cas invités à relativiser le rôle des Conseils d’Administration. Les décisions qui sont discutées en CA sont bien sûr importantes mais elles ont aussi fait souvent l’objet d’un intense travail préparatoire notamment par les équipes présidentielles. Ce travail préparatoire « cadre » en amont les décisions. En CA,  il est parfois difficile de réfléchir à des alternatives aux options qui sont proposées par la direction de l’établissement. 

 Je ne dis pas qu’un CA ne sert à rien et qu’on n’y discute pas. Et il est évidement important que les collectivités locales y soient. Mais la présence à un CA ne suffit sans doute pas pour peser réellement sur la politique d’un établissement.

 Cela dit, quand on compare la situation actuelle avec celle des années 60, la position des collectivités locales vis-à-vis de l’enseignement supérieur a tout de même beaucoup bougé. A part en quelques endroits, les collectivités locales et leurs représentants n’étaient pas du tout présents dans les années 1960. C’est long la conquête d’une compétence et d’une légitimité dans un tel domaine, qui est un domaine, dominé par une profession spécifique et où les relations avec l’Etat sont très ancrées.

Dernière question : avez-vous le sentiment que vos travaux inspirent des inflexions dans des politiques publiques ?

(Rire)

Je ne vais parler que des miens, pas de ceux de mes « chers collègues », mais en tous cas je suis peut être lu parfois, pour certains travaux. J’ai également été parfois invité à discuter, dans une période qui touchait l’actualité quand nous avions travaillé sur les PRES.

Mais je n’aurais pas la prétention de dire que cela influe sur les décisions qui sont prises, où la manière dont les politiques publiques sont gouvernées en France. Je n’ai pas cette prétention, et ça n’est d’ailleurs pas mon objectif. On n’est pas dans cette tradition, là, en France.

N’hésitez pas à suivre les travaux de Jérôme Aust, qui vient d’ailleurs de publier l’ouvrage « La recherche en réformes: Les politiques de recherche entre Etat, marché et profession » avec Cécile Crespy.

Merci encore à lui pour son accueil et le temps qu’il m’a consacré.  

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Une association pour les doctorants CIFRE en SHS

Addict à Twitter (toujours ouvert dans un coin de mon écran), j’y ai découvert pendant l’été l’existence, récente, d’une association dédiée aux doctorants CIFRE en SHS : « ADCIFRESHS ».

Son compte twitter

Son blog

La création de l’association a même fait l’objet d’une publication au Journal Officiel durant l’été.

Présidée par Elodie Jimenez (Doctorante à l’université de Rennes, en CIFRE auprès du Conseil Général des Côtes-d’Armor – Présentation de ses travaux sur theses.fr), l’association s’adresse à un public très spécifique, croisant :

– les problématiques propres à la préparation d’une thèse de doctorat en convention CIFRE, un dispositif encore trop méconnu des entreprises (et parfois, des laboratoires). Pour rappel, les Conventions Industrielles de Formation par la Recherche (CIFRE) sont un dispositif géré par l’ANRT (Association Nationale de la Recherche et la Technologie) permettent à de jeunes chercheurs de préparer leur thèse de doctorat au sein d’une entreprise ou d’une organisation publique, en contre-partie d’une subvention annuelle de l’Etat pendant trois ans (par ailleurs éligible au Crédit Impôt Recherche)

– les problématiques propres au secteur des Sciences Humaines et Sociales

Oui : on peut faire une thèse « CIFRE » en SHS au sein d’une entreprise … (C’est mon cas avec Adoc Mètis).

Il s’agit ainsi d’accompagner les doctorants et futurs doctorants dans la préparation et la conduite de leurs projets : comment prospecter et négocier avec une entreprise d’accueil ? Comment rédiger son projet scientifique ? Quelles démarches effectuer ? Quels documents rédiger ? etc.

Encore jeune, l’association a néanmoins préparé une présentation de ses activités (cliquez ici pour la télécharger).

Présentation ADCIFRESHS

N’hésitez pas à faire circuler l’information auprès de vos contacts qui peuvent être concernés.

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Barèmes, modalités et montants des bourses sur critères sociaux pour 2014

Comme chaque année, le Ministère vient de publier au Journal Officiel le détail des modalités et montants relatifs aux Bourses sur Critères Sociaux (BCS) gérées par les CROUS.

Le document comportant les plafonds de ressources ouvrant droit à l’attribution des différents échelons de bourses est accessible ici.

Celui comportant les montants des différentes bourses attribuées est accessible ici.

Cette publication intervient quelques jours après l’habituelle polémique-marronnier de pré-rentrée entre syndicats étudiants (« Coût de la vie étudiante : la guerre des chiffres entre l’UNEF et la FAGE ») quant au « coût de la rentrée » (voir le regard du blog « Les décodeurs »).

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Etudiants et territoire(s) : enquête

En octobre 2013, je vous proposais un billet sur le rôle des agences d’urbanisme dans la connaissance mutuelle des acteurs de l’ESR. J’y annonçais le lancement d’une enquête, confiée à l’ADUAN (Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Aire urbaine Nancéienne), relative aux effectifs et flux étudiants en Lorraine.

Cette enquête vient justement d’être publiée, et est disponible ici ou ici.

Mené conjointement par l’ADUAN et son homologue messine (l’AGURAM), ce travail intitulé « Observatoire Lorrain de l’Enseignement Supérieur et de la Vie Etudiante » a bénéficié de l’appui et des données de l’Université de Lorraine et du CROUS. Il s’articule en 3 parties :

– la première, « Rayonnement et spécificités », permet de positionner la Lorraine dans le contexte régional et national (voire transfrontalier)

Carte ADUAN Lorraine

– la seconde, « Une attractivité fondée sur deux agglomérations », permet d’apprécier et de caractériser les deux principaux pôles lorrains que sont Metz et Nancy en matière d’Enseignement Supérieur : effectifs, organisation urbaine des campus, formations présentes, perspectives de développement …

– la troisième, « Vie étudiante et logement », offre un focus sur quelques uns des aspects relatifs aux conditions de vie des étudiants : origine sociale, part des boursiers, jobs étudiants, et logement étudiant

Etudiants logement Lorraine ADUAN

Fondamentalement, si les données qui figurent dans cette publication étaient pour la plupart déjà connues, le principal mérite d’une telle démarche réside dans son caractère partenarial : ce travail permet ainsi aux acteurs (collectivités, université, CROUS) de disposer d’un document de référence, partagé car co-élaboré, recensant données et perspectives relatives aux étudiants et à l’Enseignement Supérieur.

Bref, un bel outil de médiation entre les acteurs.

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Interview pour « Chercheurs d’actu » : « des personnels débordés »

Bonjour à toutes et à tous

Cela fait quelques semaines que je n’ai pas pris le temps de poster ici, et vous prie de bien vouloir m’en excuser.

Mon projet de doctorat sous convention CIFRE vient de se concrétiser, puisque l’ANRT a confirmé fin avril son accord pour soutenir mon projet de recherche portant sur l’instrumentation de gestion des ressources humaines dans les universités françaises, dans le cas des personnels BIATSS. Je développerai donc mes travaux au sein du cabinet de conseil Adoc Mètis (sa page Facebook, son compte Twitter, et le blog Docteo « Le lapin blanc de l’ESR ») et de l’Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris Est.

A ce titre, j’ai eu la chance d’être associé à l’enquête menée par Educpros et l’Express (via son blog « Chercheurs d’actu« , à suivre aussi sur Facebook et Twitter), en lien avec le journaliste Olivier Monod (son compte twitter) : le baromètre du moral des personnels de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

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Je vous invite à consulter :

le dossier d’Educpros

– les 3 interviews réalisées par Chercheurs d’actu

Interview à retrouver ici : « L’Enseignement Supérieur français est il au bord de l’explosion ? »

  • celle de Laetitia Gérard (que j’ai pu croiser à l’Université de Lorraine), que vous pouvez retrouver sur Twitter. Elle s’est penchée sur les doctorants et post doctorants

Interview à retrouver ici : « Recherche : les jeunes scientifiques ne vont pas bien »

  • la mienne, dans laquelle j’ai considéré la population des personnels BIATSS

Interview à retrouver ici : « Enseignement Supérieur et Recherche : des personnels débordés »

N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques et commentaires !

Pour ce qui est de ce blog, je continuerai bien sûr à y publier des éléments relatifs à la vie étudiante et aux relations universités-territoires.

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Financer la Recherche et l’Enseignement Supérieur : quelle place à l’avenir pour les collectivités ?

Parmi les évolutions majeures du paysage institutionnel français de ces 30 dernières années, les réformes de « décentralisation » sont parmi celles qui ont le plus marqué le champ de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Et logiquement, son financement.

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L’AERES adopte un nouveau référentiel d’évaluation des établissements

La loi « relative à l’Enseignement Supérieure et à la Recherche » du 22 juillet 2013 a réformé l’actuelle Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AÉRES), à laquelle doit succéder prochainement le « Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur » (HCERES, moins simple à prononcer). En attendant que cette mesure soit effective, l’Etat a donné mandat à l’AERES pour poursuivre ses activités : l’agence vient notamment de publier une nouvelle version de son « référentiel d’évaluation externe » des établissements.

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