Archive mensuelles: septembre 2022

L’enseignement supérieur privé et public : une coopétition plus qu’une réelle concurrence

L’enseignement supérieur privé, qui regroupe principalement plus d’une centaine d’écoles de management et d’ingénieurs en France, représente près de 25% du nombre total d’étudiants du supérieur en 2021 soit près de 736800 étudiants. Autrement dit près d’un étudiant sur quatre est dans un établissement d’enseignement supérieur privé. En 10 ans (2011-2021), les inscriptions dans le privé ont augmenté de 60% contre 16% dans le public. Le poids des établissements supérieurs privés est tel aujourd’hui que cela cristallise un certain nombre de tensions, notamment en faisant apparaître une opposition très manichéenne entre l’enseignement privé et public dans le supérieur. Certains articles de presse contre les écoles de management privées, comme celui dans The Guardian ou plus récemment dans le journal le Monde, ont d’ailleurs suscité un buzz médiatique et des réactions dans la communauté académique, et contribuer à une vision très réductrice du débat.

Revenons aux fondamentaux : la démographie de la population étudiante et la réussite au ba

Le baccalauréat a été créé en France en 1808 et a connu un développement limité jusqu’à la seconde guerre mondiale. Au milieu du XXème siècle, on ne dénombrait encore que 5% de bacheliers. La forte augmentation s’est réalisée entre les années 1960 et la fin des années 1980 avec l’allongement de la scolarité à 16 ans en 1959 et surtout la forte volonté du gouvernement d’amener 80% des étudiants au baccalauréat. L’afflux massif d’étudiants dans le supérieur est également lié à la diversité des baccalauréats et à un taux de réussite de plus en plus élevé (le dernier exemple est le taux de réussite du bac 2022 est de 91,1% pour 729 400 candidats).

Mécaniquement et notamment depuis les années 2000 on observe une très forte croissance des effectifs dans l’enseignement supérieur. Cela est lié au statut du baccalauréat qui est désormais considéré de plus en plus comme un passeport vers des études dans le supérieur et non un diplôme à vocation professionnalisante et une finalité en termes de cursus scolaire. On peut ainsi considérer que la très forte demande a nécessité l’apparition d’une offre plus riche et diversifiée de formations dans l’enseignement supérieur et que cela explique l’apparition d’établissements privés. Les gouvernements successifs ont d’ailleurs pris en compte la création de cette nouvelle offre et ont mis en place une régulation via l’obtention de labels pour permettre aux parents et aux étudiants de se repérer dans le paysage des écoles (Visa, grade de Licence et grade de Master pour les écoles de management, habilitation de la CTI pour les écoles d’ingénieurs, etc.).

Le développement de l’offre de l’enseignement supérieur privé correspond donc à une évolution de la demande, avec une transformation des mentalités dans les classes les plus aisées et/ou celles disposant d’un fort capital social qui considèrent l’accès à certains types de formation comme un véritable investissement dans la préservation d’un statut économique et social pour leurs enfants. Autrement dit, les mentalités se déplacent progressivement vers une considération de l’enseignement supérieur comme un investissement et non plus un coût à supporter, d’autant que les parents de la génération 2000 ont pour certains connu des établissements privés dans leur formation. Néanmoins, il convient aussi de souligner que les établissements supérieurs privés ont aussi fortement développer des parcours de formation en alternance qui permettent de recruter des étudiants disposant de moins de ressources financières et ont mis en place de nombreux dispositifs pour permettre aux jeunes disposant de moins de ressources de faire des études (bourses internes, fondation, etc.).

L’enseignement supérieur privé et public : deux mondes qui se rejoignent plus que l’on ne le pense

Il est erroné de penser que l’enseignement supérieur privé et public représentent deux mondes distincts et concurrents. En effet, la trajectoire des étudiants dans l’enseignement supérieur n’est pas linéaire et comporte souvent, pour aller jusqu’au bac+5 qui devient une véritable norme, des changements d’établissements et de formations : un des parcours de plus en plus fréquents est l’obtention d’un niveau licence dans une filière universitaire puis l’entrée dans une écoles de management ou d’ingénieurs en alternance par exemple. Mais on peut également observer des doubles inscriptions pour un même niveau d’étude (des étudiants peuvent être inscrits en dernière année d’une école de management et à l’université par exemple), voire des stratégies de spécialisation dans certains domaines avec le développement de l’offre de MSc ou de MS de certaines écoles de la CGE. Les passerelles se multiplient donc entre les établissements privés et publics, conduisant à une diversité des parcours pour les étudiants et à de véritables stratégies d’orientation dans les cursus. Le cas le plus emblématique est celui des admissions parallèles (étudiants titulaires d’un BTS, d’un DUT, d’une licence professionnelle, etc.) dans certaines écoles de management qui représentent plus de 50% des effectifs d’une même promotion.

Enfin, il ne faut pas oublier que les établissements supérieurs privés qui offrent des diplômes bac+5 constituent de plus en plus une voie pour alimenter les écoles doctorales qui souffrent d’une désaffection des parcours recherche à l’université. La dernière enquête de la CGE, qui regroupe des écoles de management et d’ingénieur privées et publics, montre ainsi que plus de 4% des étudiants poursuivent leurs études en thèse, chiffre encore très faible et plutôt stable depuis plusieurs années. A la rentrée 2020, on dénombrait 70700 doctorants contre plus de 81000 en 2009/2010, ce qui représente une baisse des effectifs de 15% en 10 ans. Il n’existe pas d’études concernant l’origine précise par type d’établissement des doctorants mais on peut constater que de plus en plus d’étudiants diplômés d’écoles de management ou d’ingénieurs choisissent de faire une thèse bien que leur inscription soit parfois compliquée selon les règles en cours dans les écoles doctorales. Une piste de travail serait là aussi d’articuler et de généraliser un dispositif facilitant le passage des étudiants issus des établissements supérieurs privés dans les écoles doctorales (possibilité de suivre les parcours recherche au niveau Master dans les universités, accueil des enseignants-chercheurs des écoles privées au sein des écoles doctorales pour l’encadrement de doctorants, etc.).