Le constat est sans appel concernant les inégalités liées à l’accès aux études supérieures en France, et ce malgré les réformes successives du ministère de l’Éducation Nationale et les différents dispositifs mis en place depuis plusieurs années. Selon l’Observatoire des inégalités, on retrouve près de 3 fois plus d’enfants de cadres que d’enfants d’ouvriers dans l’enseignement supérieur alors qu’ils sont deux fois moins nombreux dans la population totale. Ces chiffres sont confirmés dans la répartition des filières du supérieur où par exemple les enfants d’ouvriers ne représentent que 7% des effectifs en classe préparatoire aux grandes écoles.
Une situation plus sensible en France que dans les autres pays européens mais un effet en trompe l’oeil
La situation est particulièrement sensible en France car selon une étude récente de l’OCDE, il faut en moyenne six générations à des personnes issues de familles modestes pour s’élever socialement, contre en moyenne quatre générations et demi dans les autres pays. L’accès à l’éducation, et plus particulièrement à l’enseignement supérieur, est donc considéré comme l’un des facteurs les plus importants pour réduire les inégalités en termes de revenus et faire fonctionner le fameux « ascenseur social » si souvent évoqué dans les médias et considéré comme « en panne » depuis plusieurs années. Pour autant, les chiffres de l’INSEE montrent que la stratification des emplois s’est déplacée fortement vers les cadres et fonctions assimilées, ainsi que les professions intermédiaires. Il y a donc une évolution structurelle vers des emplois plus qualifiés.
Ce phénomène est amplifié par la très forte croissance du nombre de bacheliers depuis plusieurs années, ce qui a aussi eu pour conséquence de générer un niveau de diplôme de plus en plus élevé, conduisant à faire que le niveau Bac+5 devienne presque une norme. Ainsi selon une étude du MESR, entre 1960 et 2020, le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur a été multiplié par plus de 3 sachant que 57% des étudiants sont inscrits à l’université en 2020. Bien que certains facteurs explicatifs soient structurels (croissance démographique selon les périodes, création du baccalauréat technologique, accroissement du nombre d’étudiants étrangers), il n’en demeure pas moins que des disparités subsistent entre les filières du supérieur selon les catégories sociales. Par exemple, la part des bacheliers issue des catégories sociales les plus favorisées est très forte dans les CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles) et les filières santé.
Une orientation dans les filières sélectives déportée beaucoup plus en amont dans le parcours scolaire avec des stratégies de contournement
Bien que les chiffres montrent une situation plus contrastée et sans doute plus favorable à beaucoup d’étudiants, une peur irrationnelle d’une forme de déclassement et de stagnation sociale s’est installée chez de nombreux individus. Outre les facteurs classiques explicatifs (conditions d’emplois, rémunération, prestige de la profession), cela peut être lié aussi avec l’accès à un nombre de plus en plus important de bacheliers à l’enseignement supérieur. Ce phénomène peut se retrouver aussi amplifié en partie par la diversification des voies d’accès à certaines filières sélectives comme les grandes écoles de management et d’ingénieurs (développement des admissions parallèles, de l’alternance, création de fondations, de bourses internes, etc.).
Ces évolutions focalisent beaucoup l’attention sur les dispositifs d’accès et de succès dans l’enseignement supérieur, mais on a tendance à oublier que c’est le dernier sas avant de trouver un premier emploi. En effet, il existe un parcours scolaire en amont qui est déterminant dans l’accès aux filières sélectives, mais aussi dans l’acquisition des codes sociaux requis et dans l’élaboration d’une véritable stratégie d’accès à certaines filières (choix des langues, des spécialités au lycée et de leur combinaison avec un objectif de formation dans l’enseignement supérieur, etc.). Ainsi, la réussite et l’ascension sociale se trouvent aussi fortement dépendantes des choix réalisés avant l’entrée dans l’enseignement supérieur. La sélection et l’orientation se sont déplacés plus en amont du parcours scolaire où les familles favorisées maitrisent beaucoup mieux les stratégies et les informations utiles (par exemple le classement des meilleurs lycées par ville et par académie, etc.).
Il ressort ainsi d’une étude du CNRS que les choix de filières dans l’enseignement supérieur pour les familles favorisées sont pensés très en amont et les signaux actuels laissent à penser que ce phénomène risque de s’accentuer dans les prochaines années (classement des collèges, études à l’étranger, développement des écoles maternelles bilingues, etc.), phénomène accentué aussi par la gentrification. L’élaboration de « stratégies » pour accéder à l’enseignement supérieur et aux filières sélectives est également liée au contexte socio culturel des étudiants qui, selon leur réseau (discussion sur l’orientation avec les parents ou la famille, accès à des coachs d’orientation, organismes de préparation aux concours, etc.), sont plus à même de faire le tri entre les informations, de connaître les voies d’accès, les labels nationaux et internationaux, etc. On peut d’ailleurs le voir par exemple dans certains articles consacrés à la plateforme Parcoursup qui peut s’avérer complexe dans son utilisation pour certains bacheliers et leur famille.
Dans la période actuelle où de nombreuses évolutions sont en cours pour accéder à l’enseignement supérieur (plateforme Parcoursup, réforme du bac, place des mathématiques, etc.), il convient de s’interroger sur les moyens à déployer et l’accès aux dispositifs d’orientation pour l’ensemble des étudiants et des familles beaucoup plus en amont et en ne confondant pas l’orientation et information sur les filières.