Archives de mots clés: enseignement

Le marché du travail des jeunes diplômés du supérieur en 2030 : vers le plein emploi ?

De nombreux articles dans les médias soulignent les difficultés de recrutement dans de nombreux pays et secteurs d’activité. Selon la dernière étude de la DARES, près de 372 000 emplois étaient « vacants » fin 2022. Selon une autre étude de la DARES, fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut, avec près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. Ce taux de démission est élevé mais pas inédit et dépend fortement des secteurs d’activité, ce qui tend à relativiser les craintes d’un phénomène globale de « grande démission » comme on peut le lire parfois dans la presse.

Une évolution démographique favorable aux futurs jeunes diplômés mais avec des disparités selon les régions

Les prévisions de l’INSEE montrent que la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus progressera fortement jusqu’en 2040 : à cette date, environ un habitant sur quatre aura 65 ans ou plus (contre 18 % en 2013). En conséquence, de 2019 à 2030, sur les 800 000 postes à pourvoir chaque année entre 2019 et 2030, près de neuf sur dix le seront du fait d’un départ en fin de carrière. Entre 2010 et 2030, la population active au sens du recensement augmenterait quant à elle de 6,5 %. Même si avec la réforme des retraites, l’âge de cotisation et donc le maintien dans l’emploi serait prolongé, on observe un taux d’emploi relativement faible par rapport à nos voisins européens qui s’explique par différentes raisons (chômage, invalidité, allocataire d’un minimum social, etc.).

Néanmoins, si la démographie sera bénéfique aux futurs jeunes diplômés (même si les calculs peuvent varier selon les hypothèses en termes de fécondité, solde migratoire, etc.), les évolutions en termes de comportements et les migrations interrégionales, notamment en début de carrière, aboutissent à des disparités de projection selon les régions en France. On observe par exemple une forte augmentation des besoins en ressources humaines dans le Sud et à l’Ouest, tandis que dans la moitié Nord, seule la population active en Ile de France augmenterait de manière significative. La mobilité associée à un niveau de qualification dans le supérieur serait la combinaison gagnante d’une forte employabilité des futurs diplômés pour les prochaines années. Le développement du télétravail va sans doute aussi accroitre la dissociation sur certains métiers entre le lieu de travail et le lieu d’habitation. Ce phénomène sera à suivre de près pour mesurer l’impact de localisation des individus selon leur métier et le type d’organisation.

De nouveaux métiers nécessitant de plus en plus un haut niveau de qualification

 Une étude de la Dares et de France Stratégie prévoit 1 million de créations d’emplois d’ici à 2030, sous l’effet des remplacements de départs en retraite des précédentes générations et de nouveaux postes dans les entreprises. Ces nouveaux emplois seraient notamment concentrés dans les services numériques et dans les entreprises (+ 600 000 emplois), dans les services à la collectivité ou à la personne avec le vieillissement de la population (+ 450 000 emplois), ainsi que le secteur de la construction, portée en partie par la rénovation des bâtiments (+190 000 emplois).

Ces nouveaux postes seront plus ou moins difficiles à pourvoir selon les prévisions dans l’étude car les entrées des jeunes diplômés ne sera pas suffisante pour combler l’ensemble des besoins. Il faut tenir compte d’un double effet : d’une part les postes liés à des départs à la retraite qui représenteront 90% des emplois qui seront proposés chaque année d’ici 2030, d’autre part des nouveaux métiers qui vont apparaître avec des métiers en expansion. Cette croissance des postes pour les diplômés du supérieur s’explique en grande partie par le dynamisme des activités informatiques, de la santé, de la R&D et des activités juridiques, comptables et de gestion.

En conséquence, 1,8 million d’emplois créés d’ici à 2030 seront occupés par des diplômés du supérieur, alors que les emplois de ceux qui n’ont pas dépassé le niveau du baccalauréat diminueraient de près de 800000. Les créations d’emplois seront donc très favorables aux plus diplômés : 46 % de la population active sera diplômé du supérieur en 2030 contre 41% en 2022.

Le paradoxe français : mathématiques « je t’aime moi non plus »

De nombreux articles sont publiés autour de l’enseignement et de la place des mathématiques en France, avec une cristallisation sur la réforme du bac et son impact quant au nombre de lycéens qui conservent l’option maths en terminale. A cela s’ajoute une disparité encore plus grande entre les filles et les garçons avec un écart de niveau qui se creuse dès le CP. Le HCERES a d’ailleurs recommandé dans la synthèse nationale et de prospective sur les mathématiques rendue publique en novembre 2022 aux assises nationales des mathématiques de « mettre en place un programme français pour les mathématiques à horizon 2030 ».

Au-delà du débat éternel sur les moyens consacrés par la France au dispositif d’enseignement qui prend chaque année la lumière avec le fameux classement PISA (la France se classait en 26eme position dans les mathématiques sur 79 pays classés), on peut s’alarmer du décalage entre un discours politique qui met en avant des enjeux stratégiques de réindustrialisation, de positionnement sur de nouvelles technologies, de transition énergétique et un manque à venir important de compétences et de « culture scientifique » dans la population active.

Un constat accablant sur la désaffection des mathématiques, et plus particulièrement marqué chez les filles.

La dernière enquête du Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse montre que 52 % des filles et 31 % des garçons choisissent d’arrêter les mathématiques en enseignement de spécialité au lycée. Rien qu’entre 2020 et 2021 on peut observer un net recul des mathématiques de plus de 3 points et qui confirment une tendance amorcée depuis quelques années.

Dans l’enquête on peut lire que 64 % des élèves de première générale faisaient des mathématiques en enseignement de spécialité à la rentrée 2020. Ils ne sont plus que 37 % en terminale. On peut se consoler en se disant que 18 % des élèves de terminale choisissent de continuer d’étudier les mathématiques en choisissant l’enseignement optionnel « mathématiques complémentaires » mais cela amoindri le niveau moyen in fine dans la population globale des lycéens quant à la maitrise d’un socle solide en mathématiques.

A cela s’ajoute un effet pervers, à savoir que la baisse du nombre de filles étudiant les sciences au lycée général est particulièrement visible en mathématiques, selon les données de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp). En 2021–2022, 55000 lycéennes de terminale faisaient six heures ou plus de maths par semaine, via l’EDS, soit 42% de moins que deux ans plus tôt, via la terminale S. Ce constat a été confirmé récemment par une étude du collectif Maths&Sciences qui a fait un raisonnement « toute chose égale par ailleurs » étant donné la complexité des changements induits par la réforme du bac en quelques années. Un élève de terminale avec un profil scientifique est un élève de terminale S en 2019, puis après la réforme suivant une doublette scientifique avec le système actuel (Mathématiques, NSI, Physique-Chimie, Sciences de l’Ingénieur, Sciences de la Vie et de la Terre).

Faire de la France une grande nation scientifique et industrielle : va-t-on vers une impasse ?

Le CNRS s’est penché sur la question du rôle des mathématiques dans l’économie. En 2019, en France, les mathématiques avaient déjà un impact direct sur 13 % des emplois salariés et près de 18 % du Produit intérieur brut (PIB), contre 15 % en 2015. Autrement dit, cela représentait déjà 3,3 millions d’emplois et 381 milliards d’euros de valeur ajoutée, avec une inégale répartition selon les régions.

Le rapport souligne, au-delà des compétences très recherchées en analyse de données, en programmation informatique, etc. « qu’une certaine culture scientifique est jugée indispensable pour les salariés des milieux techniques comme non techniques ». La directrice de l’AMIES (Agence pour les Mathématiques en Interaction avec les Entreprises et la Société) illustrait parfaitement ce point « être capable de mettre des chiffres derrière des faits, de détecter une anomalie et d’anticiper les problèmes sont des compétences valorisées ».

La France doit faire face à des problématiques socio-économiques de plus en plus complexes et elles ne peuvent être résolues qu’avec des compétences scientifiques pointues et une culture scientifique dans une grande partie de la population. L’exemple récent de la pandémie a montré le rôle fondamental des mathématiques dans la modélisation de la propagation du virus et la réticence d’une partie de la population sur la vaccination d’un manque de culture scientifique au sens large. A cela s’ajoute le fait que le développement de certaines avancées technologiques et scientifiques (IA, cybersécurité, informatique quantique, nanotechnologies, Web 3, etc.) repose également sur une approche interdisciplinaire et que le dialogue ne peut se faire qu’à partir du moment où l’ensemble des acteurs parlent un « même langage » et mettent les mêmes définitions sur les mots. Or, les mathématiques constituent un langage commun et universel.

Enfin, et c’est un problème majeur, le fait d’avoir de moins en moins de femmes dans des études scientifiques peut entraîner des effets de biais significatifs dans la conception des innovations et de nouvelles technologies. De nombreux exemples ont été publiés dans les médias, notamment sur les initiatives de mobiliser de l’IA sur les réseaux sociaux, etc. Certains acteurs préconisent ainsi de recruter des femmes dans les équipes techniques, voire même d’imposer un %, encore faut-il avoir suffisamment de candidates !