Éducation et innovation en direct de l'Asie

Le Prof qui valait un million de dollars… de salaire.

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Antony Folk est un Professeur d’économie des plus ordinaires à Singapour, il est titulaire d’un Bachelor à Nanyang Technological University et d’un Master à Monash University en Australie. Il enseigne dans une école publique tout à fait classique quand au bout de quatre ans il se rend compte de la popularité de ses cours. Ceux-ci sont si appréciés que ses élèves lui en demandent encore et toujours plus et que les parents commencent à réclamer des cours particuliers. Il décide alors de quitter l’enseignement classique pour fonder sa propre école (entreprise ?), JC Economics où chaque élève doit alors débourser environ 500$ par mois pour assister à ses cours (http://anthonyfok.com). La demande dépasse largement la petite quarantaine de places initialement prévues et la surenchère ne se pas faite attendre dans un pays où les parents sont prêts à débourser jusqu’à 30 000$ pour obtenir une place face à Mr Folk. En fin stratège ce dernier veille bien à ne pas ouvrir de classes en plus ni à déléguer certains cours, il préfère les assurer tous lui-même, la surenchère n’est pas prête de s’arrêter… Si Anthony Fok est un pionnier dans cet enseignement d’élite, il n’est plus le seul, Janice Chuah a dupliqué exactement le même (business) modèle pour les mathématiques, après avoir enseigné pendant sept années dans le système public (http://www.conceptmath.com). Au bout de deux ans, elle reconnaît avoir atteint son premier million de dollar.

Les deux Profs millionnaires sont devenus de réelles stars et cours de plateaux TV en  interviews pour les journaux et magazines de la Chine à l’Australie, ce qui ne fait qu’entretenir la haute demande pour assister à leur cours.

Si la demande de Profs stars n’a rien de nouveau ni d’exceptionnel, aux Etats-Unis les Clayton Christensen, Peter Drucker et autres Philip Kotler réclament plusieurs centaines de milliers d’euros pour une simple conférence, cela est plus étonnant pour un Professeur qui n’apporte pas de théories nouvelles et qui n’est pas associé à une université prestigieuse. Et il est encore plus étonnant de constater que ce phénomène prend de l’ampleur à une époque où fleurissent MOOC, SPOC et autres cours online provenant de toutes les universités du monde. Le moindre cours de mathématiques et d’économie ainsi que Mme Chuah et Mr Fok les dispensent sont très facilement disponibles sur les plateformes telles que Coursera ou Khan Academy. Qu’est-ce qui peut donc faire le succès d’une salle de classe classique avec un enseignant normalement formé offrant un programme disponible partout ? La réponse se trouve certainement dans les témoignages des participants. Si tous saluent les cours comme très accessibles, vivants, intéressants, les participants soulignent surtout la grande disponibilité de Mr Fok en dehors des cours. Car souvent les difficultés ne surviennent pas dans la salle de classe mais chez soi, seul face à  l’exercice et souvent c’est un point de détail qui empêche la résolution de problème. Mr Fok a décidé de répondre en permanence aux questions de ses étudiants par SMS et What’sApp car il considère que souvent un simple échange de SMS peut aider à résoudre rapidement et facilement les problèmes.

L’avenir de l’éducation doit-il en passer par cette forme d’enseignement en continu ? Après le travail en continu, l’information en continu, la prochaine étape serait l’enseignement en continu ? Et dans quel but ? On peut légitimement se demander où sont les velléités de Mr Fok : transmettre le savoir et diffuser la discipline économie ou est-ce profiter de qualité de pédagogue et d’une haute demande pour faire fructifier économiquement son portefeuille ? Car finalement sa pédagogie était tout aussi performante au sein de l’école publique et sa disponibilité n’était pas moins nécessaire auprès des étudiants à ce moment-là. Au contraire n’était-il pas plus utile pour le bien commun que de faire bénéficier à tous – et non seulement à ceux qui peuvent payer – de ses qualités d’enseignant, y compris à ses collègues qui auraient certainement appréciés de partager ses techniques de pédagogue. C’est finalement l’appât du gain qui a pris le dessus. Que doivent en penser les étudiants ? Qu’il est mieux de payer une école privée (d’élite financière ?) que de continuer à suivre des cours dans l’école publique ? Quel message sous-jacent leur est-il délivré ? Dans une société singapourienne où la méritocratie est élevée au même rang que la recherche du bien commun n’est-il pas évident de se retrouver avec de telles contradictions. Le philosophe chinois Tchouang-Tseu disait que « ce sont les professeurs qui ont mis le désordre dans le monde ». Il n’a pas dit tous les Professeurs, mais au moins certains.

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