Totalement dépourvu de ressources naturelles et d’exploitations agricoles, Singapour n’a pas eu d’autres choix que d’axer sa singularité et valeur ajoutée sur l’excellence et le service. Ces deux piliers fondateurs de la ville-état représentent la marque de fabrique de Singapour depuis plus de cinquante ans que ce soit dans l’éducation, les services financiers ou plus récemment à travers les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Singapour a toujours dû faire preuve d’esprit pionnier, être à l’avant-poste de l’économie tertiaire pour comprendre l’évolution des besoins des citoyens et formuler en conséquence des réponses adéquates. Un exemple très récent illustre parfaitement ce contexte si particulier de la ville-jardin.
La jeune start-up The Migraine Buddy part du constat simple qu’un grand nombre de personnes dans le monde souffrent de migraines régulières et que la prise de médicaments contenant du paracétamol ou de l’aspirine se fait trop tard quand les maux de tête sont déjà présents, bien installés et enfin que leur efficacité pour ce type de douleur est très relative. Autrement dit la meilleure façon de ne pas avoir de crise migraineuse est de prévenir celle-ci pour l’éviter. L’application qui a été lancée par l’entreprise singapourienne propose un suivi personnalisé de ces crises. Il s’agit tout d’abord d’analyser pendant plusieurs semaines les dizaines de facteurs qui peuvent être à l’origine de la crise. Il est connu que la prise de chocolat est une cause de migraine par exemple, tout comme un sommeil interrompu ou des douleurs au niveau des trapèzes ou encore la respiration d’une odeur forte, la période de menstruation, etc. A l’issue de l’analyse un rapport précis est constitué et destiné au médecin généraliste de l’utilisateur afin de comprendre véritablement quel traitement est le plus efficace ou encore quels comportements adopter pour éviter ces crises. Dans cette dernière situation l’application se charge de vous envoyer les bons conseils lorsqu’une crise peut survenir, à cause d’un changement barométrique par exemple, autre cause régulière de migraine, ou encore les exercices physiques pouvant être efficaces en fonction de l’origine de la douleur.
On ne peut s’empêcher de penser que la médecine traditionnelle chinoise – toujours très présente à Singapour – n’est pas sous-jacente à ce genre de proposition. En effet, celle-ci a pour principe de maintenir le patient en bonne santé, et donc de prévenir plutôt que guérir. D’ailleurs dans la Chine ancienne, le médecin était payé quand son patient était en bonne santé, et s’il tombait malade, le médecin n’était plus payé jusqu’à ce qu’il le guérisse.
Le service et l’excellence sont les cadres de références du système de santé à Singapour et la ville est ainsi classée 6e au monde par l’Organisation Mondiale de la Santé et il n’est pas rare de voir des habitants des pays voisins qui viennent se faire soigner sur place. L’ancien dirigeant de Singapour, Lee Kuan Yew, a toujours considéré la question de la santé publique comme un élément indispensable au bon développement de son pays et en a fait l’une de ses priorités. C’est pourquoi, comme à son habitude le pays veille à assurer à ses citoyens le meilleur sans pour autant les assister, car paradoxalement l’Etat n’y consacre que 4% de son PIB. Cela s’explique par le fait que les citoyens contribuent pour les deux tiers à leurs dépenses de santé, le reste c’est l’état. Pour se faire chaque Singapourien est détenteur d’un compte d’état rémunéré (Central Provident Fund), abondé par lui-même et son employeur. Ce très réputé CPF mis en place par Lee Kuan Yew permet de financer un emprunt immobilier, payer sa retraite et donc aussi financer son assurance santé. C’est une forme de Sécurité sociale (appelée Medisave) à laquelle s’ajoute une assurance santé payante non obligatoire (MediShield). Si vous n’avez pas les moyens de vous payer cet équivalent de mutuel et que vous devez faire face à des frais importants d’hospitalisation, un fonds spécial d’assistance est disponible, une sorte de CMU (Medifund). Si le système n’est pas parfait car les maladies chroniques et bénignes sont particulièrement mal couvertes, l’espérance de vie des citoyens de Singapour est parmi l’une des plus élevée au monde, un peu plus de 82 ans, comme en France – même si dans l’hexagone celle-ci tend à diminuer -.
Comme en médecine, c’est une alchimie qui permet de viser l’excellence dans le domaine de la santé, c’est à la fois l’implication de l’état, la responsabilité des citoyens et les initiatives de ces derniers. The Migraine Buddy est ainsi le symbole parfait de la responsabilité partagée autour du service, de l’excellence et de l’innovation : c’est à la fois prendre sa santé en main et la comprendre, contribuer à l’améliorer et impliquer les experts pour en retirer le meilleur. Dans un état résolument tourné vers le pragmatisme devait-on s’attendre à autre chose, même pour prendre soin de sa santé ?