La pédagogie appelée « learning by doing » consiste à placer les étudiants dans une situation d’apprentissage par la pratique. A l’opposé de l’enseignement « classique » où le sachant – le Professeur, l’enseignant – développe un certain nombre de théories accompagnées d’illustrations et de démonstrations dans le but que l’apprenant – l’élève, l’étudiant, le participant – puisse acquérir un savoir, le learning by doing s’appuie avant tout sur les expériences de ces derniers. Cet apprentissage est très exigeant pour ceux qui l’expérimentent car s’il donne une grande autonomie, s’il casse les murs de la salle de cours et s’il redistribue la relation sachant-apprenant ; dans le même temps il met l’étudiant dons une position où il doit assumer ses responsabilités, priorités, décisions, mises en œuvre.
Cette méthode a été initiée pour les nouveaux étudiants du programme Grande Ecole à l’ESSEC Business School sur son campus de Singapour. Appliquée auprès d’étudiants « Admis sur titres », c’est à dire déjà diplômés – généralement d’un master (ingénieur, université en France ou à l’étranger) -, ces derniers se sont retrouvés dès le deuxième jour de leur nouvelle scolarité confrontés à des cas réels d’organisations sans avoir reçu la moindre heure de cours. Ce groupe de 25 étudiants répartis en 4 groupes avait pour tâche d’aider deux multinationales implantées à Singapour, pour l’une sur sa problématique de positionnement sur un nouveau marché et pour l’autre dans sa prise en compte des commentaires clients sur les réseaux sociaux. Au bout d’un mois, chaque groupe venait défendre ses positions, recommandations face à des cadres dirigeants des organisations respectives. Si aucun cours au sens strict du terme n’était dispensé chaque groupe avait un point de passage hebdomadaire avec le Professeur responsable de l’expérience qui veillait autant que possible à les conseiller, plus sur la méthode et l’organisation que sur le fond des sujets à traiter. Le reste de leur temps, les étudiants se devaient d’aller rechercher par eux-mêmes les informations nécessaires pour résoudre leurs problématiques que ce soit à la bibliothèque comme sur internet. Charge à eux de trouver les bons outils pour leur permettre d’établir des recommandations solides, charge à eux de se confronter à l’océan de savoirs pour trouver les bouées les plus adéquates pour cette situation.
Si à l’évidence de nombreuses faiblesses ont pu apparaître lors de la soutenance un mois plus tard, le résultat a été largement souligné comme d’une bonne qualité avec une certaine robustesse des recommandations.
En modifiant les groupes de travail le deuxième mois s’est attardé sur deux nouvelles organisations, cette fois à but non lucratif. L’une est située aux Philippines, l’autre au Cambodge. De la même manière qu’avec les entreprises les étudiants ont interagi avec les responsables des associations pour comprendre très exactement leurs besoins, leurs problématiques. Un mois plus tard les deux ONG étaient dans les locaux du campus pour écouter les recommandations.
L’ensemble des groupes a largement dépassé les attentes de leurs « commanditaires » en proposant des recommandations pertinentes, applicables, chiffrées, argumentées. L’intensité des relations nouées avec les associations a montré que la confiance qui leur a été accordé tant dans la pédagogie qu’avec leurs interlocuteurs externes a permis de délivrer un résultat tout à fait proche d’un étudiant qui serait déjà en deuxième ou troisième année.
La dernière phase de ce learning by doing s’attardait sur l’entreprenariat. Les groupes ont de nouveau été changés, les étudiants devaient d’ailleurs constituer eux-mêmes leur équipe contrairement aux phases précédentes. L’enjeu était de créer quelque chose sur le campus au bénéfice de tous (et non seulement pour ceux du programme dans lequel il se trouve). Ils devaient à la fois trouver l’idée et se mettre d’accord, trouver des fonds si nécessaires, contacter les interlocuteurs internes et externes s’ils avaient besoin d’aides spécifiques, etc. Les quatre groupes ont développé pour cette dernière semaine de cours du trimestre des propositions autant originales que différentes même si trois d’entre elles ont trait à un événement. Le premier groupe organise dès le lundi un événement autour de « la face caché des entrepreneurs » (des jeunes créateurs de start-ups viennent échanger sur les difficultés d’entreprendre) ; le second groupe a mis en place une table ronde pour le mardi soir avec un débat formel composés d’étudiants venus des différents programmes du campus ; le troisième organise une soirée « comprendre Singapour en deux heures » avec différents intervenants autour de la nourriture locale, de la religion, de la médecine alternative, etc. ; enfin le dernier groupe développe un mini-site internet destiné aux étudiants de l’école où l’on retrouve autant des informations officielles que des « trucs et astuces » entre étudiants. Il ne fait aucun doute qu’à 25, lors de cette dernière semaine de cette troisième phase, ils ont bouleversé l’écosystème du campus au bénéfice de tous.
Cette méthode n’a pas été sans dérouter les étudiants en premier lieu et beaucoup, si ce n’est tous, ont réclamé lors de la première phase avec les deux multinationales un cours de gestion de projet. Perdus face à la liberté qui leur était offerte, ils recherchaient un cadre, une méthode, ils réclamaient du « sachant » non pas qu’il montre seulement l’objectif mais aussi le chemin pour y accéder. La résistance ne fut pas aisée et il faut se rendre compte qu’un étudiant de 22 ans a derrière lui presque 20 années d’apprentissage cadré, structuré, organisé, avec un sachant-autorité et un apprenant-soumis. On peut comprendre que l’on soit dérouté. En conséquence le Professeur responsable de l’expérience doit être extrêmement disponible et proche des étudiants avec les méthodes et outils adaptés, pour être concret c’est être disponible non seulement à l’occasion du point de passage, mais tous les jours, presque toutes les heures avec presque tous les outils disponibles aujourd’hui: email certes mais aussi Whatsapp, Facebook, etc.
Au bout de trois mois, sans connaître au préalable l’Asie encore moins Singapour, sans connaître l’école ni leur homologue et sans un seul cours de gestion ou de management, les étudiants ont tous réussis à acquérir et à développer un savoir dans un grand nombre de domaines : marketing, gestion de projet, management, finance, ressources humaines… Ce n’est évidemment ni du bon sens ni de l’intuition car ils ont d’une part été encadré académiquement par un Professeur garantissant l’environnement de savoirs et d’autre part ils se sont plongés dans les livres, les références, les « classiques » permettant d’aller rechercher l’information la plus pertinente. Il ne s’agit pas non plus de dire qu’ils ont acquis un savoir plein et entier, structuré et définitif, loin de là. L’apprentissage du learning by doing est un dispositif d’apprentissage, il n’est pas une fin en soi. C’est en quelque sorte une nouvelle façon d’apprendre que nous avons essayé d’inculquer ici et qui sera sans aucun doute absolument bénéfique pour le reste de leur scolarité dès lors que les étudiants recevront des enseignements sous un format plus classique. Autrement dit, il y a fort à parier que l’apprentissage des futures disciplines se fera d’autant mieux que le « formatage » fut autour de l’autonomie et de la responsabilité d’apprendre. C’est peut-être La voie qui peut réussir à articuler la pensée d’Aristote pour qui « apprendre c’est faire, on apprend en faisant » et Confucius qui défend que « apprendre sans réfléchir est vain. Réfléchir sans apprendre est dangereux ». Le territoire singapourien est certainement idéal pour agencer la confrontation de ces pensées.
PS: Ce post relate de manière brute l’expérience learning by doing sur le campus de l’ESSEC à Singapour qui eut lieu entre septembre et décembre 2016 avec les étudiants du programme Grande Ecole ayant décidé de débuter leur scolarité en Asie. Un article académique plus conséquent, détaillé, reprenant notamment le retour des étudiants sera disponible dans les prochains mois.
Ps: Les travaux des étudiants en détail lors de leur dernière étape: Plaquette JCE3