Est-ce qu’avec un salaire de près de 3 millions de dollars par an un premier ministre est moins corrompu que celui qui ne touche que 5% de cette somme ? C’est le pari qu’a fait Singapour en rémunérant de manière abusivement élevé le chef du gouvernement. C’est d’ailleurs aussi le cas de l’ensemble des ministres dont la rémunération est souvent supérieure à celle des plus importants chefs d’entreprises. Il semble que cela fonctionne puisque Singapour arrive généralement en 7ème position dans la liste des pays les moins corrompus au monde (Indice de Perception de Corruption) et très largement premier pour ce qui concerne l’Asie du sud-est. Il est donc important de comprendre pourquoi Singapour a fait de la lutte contre la corruption un axe prioritaire.
Sans aucune ressource le fondateur Lee Kuan Yew avait bien compris que le pays devait réussir à attirer des investissements importants. Or la concurrence agressive de la zone de la part des 3 autres célèbres « dragons » – Corée du sud, Taïwan, Hong Kong – nécessitait de trouver des avantages concurrentiels forts. Outre l’innovation et l’éducation, l’absence de corruption pour attirer les capitaux étrangers fut une caractéristique déterminante. C’est particulièrement dans les années 80 que l’ancien Premier Ministre justifie l’amélioration substantielle des salaires des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires affirmant que ceux-ci doivent être payés avec des salaires importants afin d’assurer un gouvernement transparent et honnête. Si les sanctions sont importantes – amendes conséquentes et prison ferme – c’est le système anti-corruption qui est à souligner. La principale loi, the Prevention of Corruption Act, est révisé régulièrement pour s’assurer que celle-ci soit en permanence adaptée aux situations nouvelles – monnaie électronique, transaction désintermédiée -. Il existe une agence d’état exclusivement consacrée à l’exécution de cette loi : le Corrupt Practices Investigation Bureau, elle est la seule habilitée à enquêter sur les soupçons de corruption. Enfin le système judiciaire lui-même affichant une volonté de transparence, de justice et d’équité a pour priorité de traiter les cas de corruption en étant attentif à donner l’image d’une bonne gouvernance et d’une administration efficace.
Cette image que Singapour veut donner d’elle-même ne se résume pas à la lutte contre la corruption. Les valeurs de Singapour autour de la méritocratie, de la transparence et du pragmatisme sont les racines de cette lutte et celles-ci se retrouvent dans toutes les domaines : la politique évidemment mais également l’éducation, et le travail dans les entreprises. La corruption n’est que l’effet d’un comportement, n’est qu’une conséquence d’un état d’esprit. Si l’on ne souhaite pas corrompre ou être corrompu c’est parce que l’on pense que l’on peut réussir en étant honnête, c’est parce que l’on considère que la transparence vis à vis des siens est une valeur importante. Comment pourrait-on imaginer un candidat à une élection présidentiel corrompu ? Dissimuler, jouer avec les règles de la loi, quand bien même cela puisse être légal n’est ni honnête ni transparent. Et c’est exactement ce contre lequel Singapour souhaite lutter. Autrement dit si Singapour a un niveau de corruption faible, c’est certainement davantage grâce ses valeurs que grâce au niveau de salaire offert aux fonctionnaires. D’ailleurs le pays étant le moins de corruption au monde est celui ou le chef du gouvernement est parmi les moins bien payé, le Danemark, avec une rémunération de 200000€ par an. De manière plus anecdotique on remarque qu’en Uruguay le président Pepe Mujica qui a renoncé à son salaire est pourtant à la tête d’un pays classé 21ème, c’est à dire dans le premier tiers des nations les moins corrompues – la France est 23ème… –
Il ne fait aucun doute que la stratégie qui a été adoptée par Singapour dans les années 60, jusqu’aux années 90 pour lutter contre la corruption et faire de cette caractéristique un avantage compétitif fut pertinente. Elle a permis d’attirer les capitaux étrangers dans le pays, d’apparaître comme un état exemplaire dans la région. Mais alors que la crise économique n’épargne pas la cité-état et ses habitants aujourd’hui, est-ce que l’exemplarité du gouvernement ne devrait pas être, forte de ces valeurs ancrées et immuables, dans une rémunération plus décente ?