Le gouvernement de soi et des autres
Nicoclès, alors souverain de Chypre déclarait être fidèle à sa femme car, étant roi et devant gouverner ses sujets, il devait dès lors montrer qu’il était capable de se gouverner lui-même : « Exerce ton autorité sur toi-même autant que sur les autres et considère que la conduite la plus digne d’un roi est de n’être l’esclave d’aucun plaisir et de commander à ses désirs plus encore qu’à ses compatriotes. » Avec cette déclaration le souverain cherchait à prouver sa maîtrise de lui-même car le gouvernement de soi permet celui des autres. Il semble que celui que l’on peut considérer comme le souverain de Singapour, Lee Kuan Yew ait fait de cette idée sa ligne de conduite. Outre qu’il n’y ait jamais eu la moindre incartade conjugale à son sujet, ce dernier a continuellement montré la façon avec laquelle il se gouvernait. Il est en effet réputé pour s’être imposé une discipline de fer : il pratiquait régulièrement du sport (cf la photo ci-dessus), se nourrissait de façon saine et équilibrée, il ne buvait que très modérément de l’alcool, s’était arrêter de fumer lorsqu’il s’aperçut que la cigarette d’une part le rendait dépendant et d’autre part qu’elle affectait sa voix.
Sa vie était réglée comme du papier à musique et il travaillait en harmonie avec son métabolisme qu’il connaissait et respectait. C’est pourquoi il travaillait très tard la nuit mais commençait sa journée le matin vers huit heures, il prenait son petit déjeuner sans que personne ne lui parle pour lire consciencieusement la presse. Puis à dix heures du matin il entrait dans son bureau et concentrait toutes ses décisions pendant une heure et demi. A treize heures trente, il déjeunait dans son bureau avec un invité ou un collaborateur simplement pendant quelques minutes, pas d’alcool, seulement du thé qu’il consommait d’ailleurs tout au long de la journée. A seize heures il faisait neuf trous de golf avant de rentrer chez lui vers dix-huit heures. Obsédé par sa forme physique lorsqu’il comprit que courir était plus efficace pour sa ligne et sa forme que le golf il finit par ranger définitivement ses clubs.
C’est certainement cette maitrise de soi qui a convaincu Lee Kuan Yew de forcer ses citoyens à agir de la même manière : faire du sport, apprendre et travailler dur. Mais cette force de gouvernement de soi est celle qu’il a également appliquée à la ville de Singapour, ville qu’il a voulu forger d’une part à son image – propre, sécurisée, moderne – mais également à son idée, c’est à dire une ville faite pour réussir : un équilibre des religions, un équilibre des origines, un comportement de respect mutuel, etc. C’est ce qui explique ke discours dur qui suit : « Je suis souvent accusé de m’ingérer dans la vie privée des citoyens. Oui, si je ne l’avais pas fait, nous n’en serions pas arrivés là où nous en sommes aujourd’hui. Et je le dis sans le moindre remords : nous n’aurions pas accompli nos progrès économiques si nous n’étions pas intervenus sur des questions très personnelles – qui est votre voisin ? Comment vivez-vous ? Le bruit que vous faites, comment vous crachez, ou quelle langue vous utilisez. Nous décidons de ce qui est juste. Peu importe ce que les gens en pensent ».
Michel Foucault dans ces cours au Collège de France avait bien repéré que dès l’Antiquité le gouvernement de soi et le gouvernement des autres étaient intimement lié. Rien n’a changé et aujourd’hui l’actuel Premier Ministre de Singapour, n’hésite pas rappeler l’importance de faire du sport, de se nourrir correctement, d’apprendre continuellement. Mr Lee se met d’ailleurs régulièrement en scène sur les réseaux sociaux pour rappeler les bonnes pratiques à suivre pour se gouverner, mais aussi l’être.