Dans une ville où la propreté se dispute la sécurité nous pouvons être surpris par la possibilité de dessiner sur les murs ou de voir apparaître une sculpture à l’angle d’une rue. C’est pourtant le cas à Singapour et cela depuis le 19ème siècle. Et même après l’indépendance, Singapour a toujours été un lieu où l’expression artistique tient une place importante et il n’est pas rare de déambuler au milieu d’œuvres de Chern Lian Shan, de Cavalieri Rodolfo Nolli ou même de Roy Lichtenstein. Cependant l’art est une chose avec laquelle Singapour ne plaisante pas et la présence d’arts dans la rue doit se faire dans le cadre offert par les autorités.
Pour la cité-état l’art est une source de savoir et un développement de soi, quiconque avec une bombe de peinture entre les mains ne peut pas s’improviser artiste. Toute tentative de dessins, de graffitis ou de pochoirs n’est pas nécessairement de l’art, en conséquence s’est créée le National Art Council (NAC). Le but du NAC est de développer les arts et faire en sorte que ce soit au profit de tous les singapouriens, que rendre l’art accessible à l’ensemble de la population. Ce Council s’est donné comme mission que tout un chacun puisse apprendre à travers l’art, à réfléchir par soi-même et également s’exprimer que ce soit pour divertir ou enrichir, pour inspirer Singapour comme le reste du monde.
Plutôt que de condamner spontanément la politique artistique de la ville de Singapour, peut-être faut-il la mettre en perspective avec la philosophie de l’américain John Dewey pour qui la pire des choses était l’élitisme de l’art. Pour lui l’art se doit d’être abordable, accessible, pour qu’il agisse de façon la plus populaire possible : « Nos musées et nos galeries d’expositions dans lesquels sont entreposées les œuvres d’art illustrent quelques-unes des raisons qui ont conduit à une ségrégation de l’art au lieu de l’intégrer au temple, au forum et autres formes de la vie collective. »
Certes parler de « National Art » fait débat : qu’est-ce que l’art ? Qui décide de ce qu’est l’art ? Et surtout faut-il interdire l’art ou le cadrer ? Mais là ne sont pas forcément les bonnes questions. Car d’une part les « street-artistes » ne sont pas moins interdits en France, ils sont cependant plus audacieux pour exister et la justice plus laxiste pour les tolérer. Mais surtout les « street-artistes » de Singapour ont toutes possibilités dès lorsqu’ils restent dans un cadre défini et ils sont aidés par la ville notamment par la mise à disposition de lieux d’expressions, d’expositions. Car au bout du compte ce qui importe à la politique de la ville et plus particulièrement au NAC ce n’est pas tant le débat sur l’essence même de l’art, la création ou la dégradation, le droit, la loi ou la liberté. Ce qui importe c’est d’une part étant donné que tout n’est pas art, s’assurer que ce qui est montré en relève même au risque de passer à côté de certains travaux pertinents. D’autre part il faut avoir l’assurance sur les principes de John Dewey, que l’art existe, qu’il se développe dans la ville aux yeux et aux bénéfices de tous et non seulement dans les musées.
Si l’on peut donc comprendre le positionnement de la ville vis à vis de l’art, on ne s’empêcher de penser que Singapour passe à côté de ses EZKstreetart, Petitepoissone, Spaceinvaders, Miss tic, Hopare ou encore C215 locaux, et dans une ville où la créativité fait souvent défaut, peut-être que sortir du cadre pourrait aider à redessiner non pas simplement les murs, mais aussi les esprits.