Un nombre considérable de dirigeants, intellectuels, universitaires, ont régulièrement cherché à percer le mystère de l’incroyable réussite économique et social de Singapour en l’espace de cinquante ans ce qu’aucun pays dans le monde n’a réussi à faire. Est-ce lié à une position géographique avantageuse ? Au leadership d’un despote éclairé ? A un investissement prioritaire sur l’éducation ? A une lutte permanente contre la corruption ? A un talent pour les négociations avec ses voisins de la zone Asie-Pacifique ? Chacun apporte son point de vue et si toutes ces options sont pleinement pertinentes, il y a une seule raison qui vaille selon Singapour, cette raison n’est pas secrète, elle est même martelée en permanence : c’est parce que le pays est géré avec un parti politique unique.
Seulement cette raison est gênante car elle n’est pas celle que les grandes démocraties veulent entendre. Donc on cherche d’autres raisons, plus consensuelles, acceptables, plus politiquement correctes, et pourtant ces mêmes raisons sont toutes liées à la même réponse. Le Ministre de l’éducation de Singapour Ong Ye Kung l’a encore rappelé à l’occasion de son intervention à l’Institut d’Etudes Politiques et Perspectives de Singapour. Ces mots ne peuvent pas être plus explicites : « imaginez si nous avions eu un système de multi partis en 1965, aurions-nous été si loin si rapidement ? ». Gardons à l’esprit qu’à Singapour l’existence d’un parti unique est le résultat d’élections et c’est toujours le cas aujourd’hui, l’opposition existe bel et bien même si son droit de s’exprimer est particulièrement restreint à certaines périodes et est soumis à sous certaines conditions.
La volonté de maintenir un système de parti unique est fondée sur la volonté affichée de développer Singapour au profit de tous ses citoyens et le travail quotidien du People’s Action Party est de s’assurer que la croissance économique et le bien-être social sont au rendez-vous. Considérant ainsi que ces objectifs ne peuvent pas être atteints avec du clientélisme et de la complaisance, avec des mesures destinées à ne satisfaire qu’une partie de la population. Diriger un pays oblige à prendre des décisions qui ne sont pas toujours populaires, même si elles sont nécessaires pour une large majorité ou si elles sont essentielles à long terme. Donner la possibilité d’alterner les orientations politiques a pour conséquence de se perdre dans les priorités, d’investir de manière dispersée, d’encourager la recherche de pouvoir pour cette seule fin et d’encourager les discours populistes qui servent plus les intérêts individuels que les intérêts collectifs. Et s’il est un inconvénient de ne pas avoir d’opposition, avoir un acteur politique dominant est sans conteste un avantage affirmait le Deputy Prime Minister Tharman Shanmugaratnam en 2015. L’actuel Premier Ministre Lee Hsien Loong justifiait également en 2011 le fait d’avoir ce système par le manque de talent dans la cité-état. Autrement dit les meilleurs – par le système méritocratique mis en place – travaillent tous pour le PAP et compte tenu de la taille de Singapour il n’est pas possible d’avoir deux partis avec des individus aussi brillants.
Le gouvernement singapourien n’hésite évidemment pas à prendre des exemples du monde occidental pour justifier cette politique. Tout d’abord avec des illustrations positives tel que le Massachussetts, un état qui a très long été dirigé par les Démocrates et qui a rencontré un certain succès tant sur le plan économique et social qu’en matière d’éducation. Mais aussi en dénonçant les systèmes qui font et défont des mesures sans réelles préoccupations pour la population ni à court terme ni à long terme. Et les ministres de la cité du lion de citer les actions de Donald Trump qui dès ses premiers jours à la Maison Blanche n’a cessé de défaire ce que Barrack Obama avait construit pendant des années de négociations sur le plan de la santé, de l’environnement ou encore le partenariat commercial Trans-Pacific Partnership.
Le gouvernement dominant n’est pas naïf et il est tout à fait possible qu’il perde de futures élections. Car si le système est fait de telle manière à ce qu’il soit plutôt aidant à la reconduction du PAP les élections restent elles parfaitement libres. Et c’est cette pression sur les épaules que les ministres semblent apprécier, ils sont condamnés à réussir.