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iMaginez Raffles à Montmartre, l’esprit des Lumières à la création de Singapour

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Il y a tout juste 200 ans, en juin 1817, Sir Thomas Raffles parcours Paris avec sa famille et s’arrête quelques heures en haut de la butte Montmartre. Francophone et francophile, dans l’esprit de Rastignac à quelques années et à quelques encablures d’où il se trouve, il s’apprête à prendre le large direction l’Asie du sud-est. Sa présence à Paris et dans ses faubourgs d’antan n’est en rien dû au hasard, habité par l’esprit des Lumières, Raffles est un intellectuel naturaliste-botaniste qui est autant intéressé par l’histoire de l’humanité que par son développement.

Six ans avant son passage dans la capitale française il est nommé gouverneur de Java et se concentre alors sur plusieurs réformes symboliques et nécessaires – franc-maçonnerie et esprit des Lumières obligent – : abolition de l’esclavage et du travail forcé, autonomie du gouvernement et restauration des monuments historiques. Il tirera de son expérience un ouvrage sur l’histoire de Java qui demeure une référence. De retour à Londres il revient à sa passion initiale qu’est la zoologie et créée le célèbre zoo de Londres avant que son esprit pionnier ne se rappelle à lui et qu’il reprenne le large.

C’est pour le compte de la Compagnie Britannique des Indes Orientales qu’il repart explorer l’Asie du Sud-Est. L’esprit pionnier de Raffles l’incite à signer un traité avec le sultan de Johor pour l’ouverture d’un poste de commerce à l’extrémité de la péninsule Malaise, dans l’île de Temasek. Ainsi commence la fondation de Singapour, officiellement créée le 6 février 1819. Dès le lendemain il repart vers Bencoolen en Indonésie où il est officiellement établi et laisse l’île aux mains de son Major William Farquhar.

La stratégie décidée par Raffles était claire, la situation géographique exceptionnelle – sur la route entre l’Europe et l’Inde puis le reste de l’Asie – doit permettre d’attirer la marine marchande du monde entier. Et pour cela il faut créer une zone portuaire non soumise au service des douanes et dans laquelle on peut décharger, manutentionner et réexpédier des marchandises librement. Ce port franc va permettre à la ville de se développer de manière fulgurante. Entre 1821 et 1825, la population atteint 5 000 puis 10 000 habitants, le commerce passe de 8 puis 22 millions de dollars. Cela dit le développement commercial ne signifie pas pour autant que celui-ci doit se faire à n’importe quel prix et lors de son passage en 1822 Raffles dénonce les licences de jeux et de vente d’opium que Farquhar avait autorisé.

 Avec une coloration plus moderne on peut facilement dire que le Singapour d’aujourd’hui a maintenu les apports pionniers de Raffles, le port franc existe et cohabite avec une faible taxation des entreprises dans la cité-état, la lutte contre les jeux d’argents et le trafic de drogue sont toujours d’actualité et le développement de la ville continue avec l’ambition affichée de devenir la première « smart city » du monde. Il semble qu’une forme d’esprit des Lumières continue de perdurer : on donne priorité à l’éducation, à l’engagement contre les oppressions religieuses, on vise le progrès qu’il concerne le savoir ou la technique. Bien sûr la pleine liberté d’expression n’est pas présente par exemple, et il reste d’anciennes traditions amenées par la politique britannique qu’il s’agirait de remettre en cause, comme la peine de mort par exemple.

C’est que l’esprit des Lumières doit continuer de se nourrir pour exister et survivre, il n’est pas figé dans le temps de sa création. Il doit vivre et s’adapter pour se développer. Raffles lui-même le dit en ces termes quand il déclare que « la nature humaine, si elle ne reçoit pas de conseils, elle est comme une plaine pierreuse sans herbe, ainsi les animaux ne s’en approchent pas, tous restent à distance de là. » La nature humaine ne peut croitre, se développer et survivre que si celle-ci est vivante, que si elle est nourrie par les hommes, pour les hommes. Esprit frondeur et humanisme, sont les valeurs de Montmartre, les valeurs perçues par Raffles sur la butte et qu’il a diffusé en Asie du sud-est, charge au Singapour d’aujourd’hui de préserver et de continuer de le développer.

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