Le multiculturalisme à Singapour est une conséquence des vagues migratoires qui ont poussé Malais, Indien, Chinois et quelques autres communautés à cohabiter. A son indépendance Lee Kuan Yew a bien conscience que si cette diversité peut être une force, elle peut surtout être un objet d’affrontements. Il va donc mettre en place plusieurs stratégies afin d’éviter tout conflit, tout d’abord en ce qui concerne la pratique de la religion telle que la répartition égale du nombre de jours fériés par exemple mais surtout il va prendre deux mesures très importantes qui sont la répartition du nombre d’habitants dans les logements en fonction de leur origine et l’apprentissage d’une langue commune.
Pour la répartition des habitants, le système est très simple :
Il y a 75% de chinois à Singapour et donc dans un quartier la limite maximale de cette population est de 84%, dans un même immeuble elle ne peut pas excéder 87%. Avec 13% de Malais, la limite dans un quartier est de 22%, dans un immeuble de 25%. Et les Indiens (et autres) sont 12% la limite ethnique est donc de 12% dans l’arrondissement et de 15% dans le logement. Notons que les résidents permanents sont aussi soumis à un quota, il ne peut y avoir plus de 5% de cette population dans un quartier et pas plus de 8% dans un immeuble.
Pour la langue il ne s’agissait pas simplement d’installer les individus en fonction de leur origine à l’aide de quotas mais de modifier profondément leur façon de penser, voir même leur culture en imposant une ouverture forcée sur l’occident. Car c’est la langue anglaise qui est obligée d’être apprise. Il y a plusieurs raisons à cela, la première est, fondée sur le pragmatisme, l’opportunité commerciale. Dès les années 1960 le fondateur de la nation avait parfaitement à l’esprit que l’anglais allait devenir la langue internationale du commerce et dans un souci d’offrir une nation adaptée aux investissements étrangers ses habitants devaient maîtriser la langue de Shakespeare que lui-même avait appris sur les bancs de Cambridge.
L’anglais présentait l’autre avantage fondamental d’être une langue neutre dans ce pays, elle n’est ni chinoise ni malaise ni issue de communautés indiennes. Dans un pays multiculturel avec des ethnies variées toutes sont logées à la même enseigne, il n’y a donc pas de populations privilégiées, toutes doivent apprendre une langue étrangère. Lee Kuan Yew semble parfaitement avoir saisi cette prophétie de Wittgenstein qui souligne que « les limites de ma langue sont les limites de mon univers ». Les populations singapouriennes doivent, chacune, au même titre, au même rang, élargir leur univers pour : trouver un travail, communiquer avec les autres, faire du commerce. La langue n’est pas qu’un moyen, elle est aussi une fin, celle de l’intégration.
Pour autant la valeur du multiculturalisme doit être respectée, encouragée et développée. Et c’est pourquoi si l’anglais est obligatoire, la langue maternelle d’origine aussi ! Un chinois doit apprendre le mandarin, celui qui est d’origine de la Malaisie doit savoir le malais, l’Indien l’hindi, etc. L’objectif est de réussir à maintenir une cohésion dans la communauté, que ses individus ne se sentent pas forcés d’abandonner leur langue et leur culture. L’enjeu est aussi de maintenir une diversité aussi réelle que forte, préserver un multiculturalisme qui, si il a été l’objet de tensions, est aussi un axe de singularité pour la cité-état.
A l’évidence, le nombre d’habitants venus de Chine et de Malaisie associé à l’anglais arrivée avec Sir Thomas Raffles au début du XIXe siècle ne pouvait que donner naissance à une langue très locale : le singlish. Dialecte basé sur l’anglais avec une grammaire simplifiée il intègre des mots malais, chinois dont le hokkien et le teochew. Le gouvernement singapourien essaye tant bien que mal d’éradiquer cette troisième langue du peuple et de la rue à travers les médias bien sûr qui se doivent de parler un anglais parfait, mais aussi à travers des manifestations comme le Speak Good English Movement. S’il se meurt en tant que langue car seuls les personnes les plus âgés l’utilisent véritablement comme langage, il n’empêche que le singlish demeure encore par l’usage de petits mots ou d’expression de la vie courant. Can lah !