Lorsque l’on demanda à Lee Kuan Yew en 2000 quelles compétences un travailleur devait-il posséder il répondit que celles-ci étaient désormais très différentes de l’époque de la production industrielle où les compétences pouvaient se résumer à la capacité d’effectuer des tâches répétitives. Désormais la compétence principale d’un travailleur est d’être en permanence en capacité de s’adapter par lui-même. Autrement dit chaque travailleur doit être en mesure d’avoir son propre système de contrôle de ses qualités et qu’il soit capable d’en prendre la responsabilité pour qu’elles soient en permanence à niveau. Dit avec les mots du fondateur de Singapour « les travailleurs doivent être suffisamment disciplinés pour penser par eux-mêmes et rechercher l’excellence dans leur compétence sans attendre que quelqu’un souffle dans leur cou ». En d’autres termes tout un chacun doit prendre la responsabilité de ses compétences, les mettre à jour régulièrement et ne pas attendre que l’état le fasse pour eux. Il complète en précisant que désormais tout un chacun doit être « entrepreneur et innovant et en permanence en train de rechercher de nouvelles façons de faire son travail de créer de la valeur ». Lee Kuan Yew prend l’exemple de l’anglais qui selon lui n’est plus une compétence clef puisque qu’elle est une compétence basique que tout le monde possède ou doit posséder.
Si l’on reconnaît le caractère dirigiste de l’homme fort de Singapour, l’application récente de l’actualisation des compétences a quelque peu varié puisque le gouvernement à lui-même pris les choses en main à travers l’opération SkillsFuture. L’objectif de ce mouvement national est de fournir à l’ensemble des singapouriens les moyens de se développer tout au long de leur vie. Convaincu que l’investissement dans l’humain à travers l’éducation est au cœur du progrès de Singapour il s’agit à travers ce programme de sécuriser pour les habitants de l’île « un meilleur travail, des revenus plus élevés, un meilleur standard de vie ».
L’esprit de Lee Kuan Yew n’est cependant pas très éloigné car l’une des premières mesures phares de SkillsFuture est d’offir à l’ensemble des singapouriens de plus de 25 ans un premier crédit de 500$. Celui-ci est destiné à être utilisé selon les choix de chacun en fonction des compétences qu’il est important selon son envie, selon ses propres compétences de développer. Comme l’a annoncé le Deputy Prime Minister Tharman Shanmugaratnam : « nous devons devenir une méritocratie de compétences, pas une hiérarchie de grades gagné au début de la vie ».
D’ici 2020, c’est plus d’un milliard de dollars qui sera consacré à ce projet avec quatre axes précis sous la gouverne du SkillsFuture Council établi pour l’occasion :
- Aider les individus à être mieux informé des choix en éducation, apprentissage et développement de carrière.
- Développer un système d’éducation qui soit en permanence actualisé permettant de répondre clairement aux besoins du marché.
- Promouvoir la reconnaissance auprès des employeurs des développements de carrières fondé sur les compétences.
- Encourager une culture qui supporte et reconnaît l’apprentissage toute la vie.
Les organisations éducatives n’ont pas loupé l’opportunité d’inciter les habitants de Singapour à se former, à tout (et parfois n’importe quoi). On retrouve ainsi les universités qui mettent en place des programmes de formations classiques en finance, marketing, droit, innovation, ressources humaines par exemple ; des laboratoires de recherches qui forment également à des techniques et technologies plus avancées comme le blockchain, l’intelligence artificielle ou le pilotage de drones ; mais aussi des organismes qui proposent des formations dont on peut douter de l’intérêt pour développer sur le long terme ses compétences comme savoir être un bon DJ, réussir à faire un joli bouquet de fleurs ou devenir groom pour chiens et chats…
Fidèle à son ADN, Singapour se distingue encore dans ce projet dans un positionnement singulier : « Etat-nanny et responsabilité individuelle ». A la fois faire confiance à ses habitants tout en les incitant fortement, en les dirigeant doucement à agir selon ce qui semble être le bon chemin à suivre. Est-ce dans ce cas une mauvaise chose ? qui n’a pas été forcé, au moins une fois dans sa vie, pour se rendre à l’école…