Immigration et compétitivité les sources du développement économique à Singapour
Pour le fondateur de Singapour, le principal facteur critique au 21e siècle en termes de croissance et de sécurité n’est pas la démocratie mais la démographie.[1] Selon Lee Kuan Yew les pays qui accueillent le plus les migrants ont clairement un avantage économique, même s’il n’hésite pas à dire que l’ouverture totale à l’immigration est empreinte de risques, des personnes peuvent arriver et être « ethniquement différentes, moins éduquées et moins qualifiées ». Dans un contexte où Singapour est le seul de sa zone à avoir réussi à passer d’un pays du tiers monde à l’un des pays les plus développés de la planète, nécessairement il attire un grand nombre de migrants souhaitent bénéficier de cette croissance. En conséquence, la cité-état n’a jamais caché pratiquer l’immigration choisie.
Sans industrie, sans ressource, sans agriculture, Singapour est fondé uniquement sur la qualité de la main d’œuvre et sa valeur ajoutée ne peut être qu’intellectuelle et selon des critères qui sont « l’entreprenariat, l’innovation, la compétitivité et le travail d’équipe »[2]. Plus exactement, Lee Kuan Yew qui a géré sa ville comme une entreprise, aimait rappeler que les trois attributs nécessaires dans une compétition mondiale sont premièrement l’entreprenariat et chercher en permanence de nouvelles opportunités et prendre des risques calculés. Deuxièmement l’innovation : créer de nouveau produits, de nouveaux « process » avec une valeur ajoutée claire. Enfin un bon management qui permet de faire croitre les organisations et ouvrir de nouveaux marchés, créer de nouveaux canaux de distribution. Ces trois critères montrent que la ressource humaine est clef dans ce dispositif et selon l’architecte du pays les personnes adéquates sont des individus capables d’utiliser leurs cerveaux « non pas en étudiant des grands livres, des textes classiques et la poésie, mais en acquérant de nouveaux savoirs, développer des compétences en marketing dans les systèmes financiers. En étudiant ces dimensions, ils pourront devenir innovateurs, venture capitalists et entrepreneurs, ils doivent apporter de nouveaux produits et services sur le marché pour améliorer la vie des citoyens »[3].
Avec de telles convictions si la question de l’origine ethnique d’un migrant peut être un enjeu pour son intégration, l’un des critères majeurs est sa qualification. Singapour aime dire qu’il souhaite attirer « dans son équipe », les individus les plus talentueux de Chine, d’Inde, et de tous les pays développés au monde. Pour appuyer son propos Lee Kuan Yew n’hésitait pas à citer le cas des américains qui ont recruté un européen pour mettre au point la bombe atomique ou encore l’allemand Wernher von Braun que les américains ont naturalisé en 1955 qui a joué un rôle déterminant dans le développement des fusées. Autrement dit si avec plusieurs centaines de millions d’habitants les américains ont eu besoin d’aller chercher des talents à l’extérieur, que dire d’un pays qui ne comporte que cinq millions de citoyens.
Toute la politique de Singapour a donc toujours été de se tourner vers les meilleurs (la méritocratie est l’un des piliers fondamentaux du pays), qu’ils soient ici ou ailleurs. Pour les habitants la pression de la compétition est sans relâche et le patron de Singapour répétait à l’envie que les travailleurs, en l’occurrence les singapouriens, devaient en permanence se remettre en cause, améliorer leurs propres connaissances et leurs techniques. Ils sont chacun responsable de leur remise à niveau permanente et tout un chacun doit être suffisamment discipliné pour décider de viser l’excellence pour ne pas sentir le souffle du concurrent dans leur cou[4]. Cette façon de penser date de l’origine de Singapour en 1965 et trouve écho aujourd’hui, dans le programme du gouvernement Future Skills qui permet à tout singapourien de se former tout au long de sa vie avec subvention. Également dans les prestigieuses universités telles que NUS qui proposent à l’ensemble de ses anciens diplômés de revenir régulièrement pour suivre des modules de remise à niveau pendant un à trois jours. Cette initiative est un véritable succès, l’été dernier l’université a ouvert 404 places pour 79 modules, ils ont reçu plus de 8000 demandes… un signe du succès du longlife learning à Singapour depuis 53 ans…
[1] LKY, « Laissez-Faire Procreation, » Foreign Policy, August 30, 2005.
[2] LKY, « Attributes for Success », speech given at the 1999 Enterprise 50 Gala Dinner and Award Ceremony, Singapore, November 25, 1999.
[3] LKY, « Eastern and Western Cultures and Modernization », speech given at the China Scientists Forum on Humanities, Beijing, April 21, 2004.
[4] LKY, « Productivity : Every Individual Makes the Difference » speech given at the inauguration of the 1999 Productivity Campaign, Singapore, April 9, 1999.