Lee Hsien Loong, le premier ministre de Singapour, a récemment prononcé un discours sur l’avenir de son pays, plus exactement il a annoncé le plan à suivre pour les prochaines 50 années. L’objectif affiché est de « bâtir une cité à taille humaine où il fait bon vivre avec des identités locales ». Si on reconnaît bien là les valeurs propre à Singapour, la nouveauté réside dans le fait qu’il s’agit là d’atteindre cet objectif grâce à l’ usage intensif des technologies. Singapour affiche l’ambition d’être la première smart city au monde, dans une démarche inclusive afin de préserver son héritage historique, culturelle et sa multiculturalité. Ainsi la complexité des enjeux encourage le gouvernement à faire appel à la méthode du design thinking, rappelant que « Singapore is a nation by design ».
Le design thinking est une méthode qui se veut une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive. Cette méthode s’appuie essentiellement sur un processus de co-créativité impliquant des retours permanents avec l’utilisateur final par itération. Ainsi le design thinking permet de détecter des besoins centrés sur les consommateurs ou usagers, et d’y répondre simplement grâce à un nouveau service, un produit etc. Le travail des adeptes du design thinking ne consiste donc pas à inventer une voiture plus rapide ou un clavier plus ergonomique mais il consiste à aider les gens à reformuler leurs besoins, dont ils ne sont souvent même pas conscients. Ce processus a été développé à Stanford dans les années 80 par Rolf Faste. Néanmoins sa popularité s’est faite dans les années 90 avec Tim Brown et David Kelley les fondateurs de l’entreprise IDEO, une des premières agences de design née en 1991 aux États-Unis.
Cette méthode, qui a fait ses preuves dans de nombreux cas complexes, correspond bien aux enjeux du projets de Singapour et l’exemple pris est celui du transport. Le transport et son réseau est en effet un aspect crucial dans la cité-état. Veillant à limiter le nombre de voitures individuelles pour cause de trafic intensif et de pollution, la réponse se trouve de fait dans une offre de transport public qui se doit d’être accessible et de grande qualité. Si a priori cette question semble être une question d’ingénierie urbaine (capacité, accessibilité, flexibilité…) elle est intimement liée aussi à des questions de coûts, d’opérateurs, d’usagers, c’est à dire au grand nombre de parties prenantes.
Le premier ministre affirme ainsi que de nombreux problèmes doivent être considérés de manière holistique pour décider de ce qu’il y a de mieux pour Singapour ; et le design thinking a finalement toujours été une méthode utilisée dans l’histoire du pays car : « rien d’aujourd’hui n’a été fait de manière naturelle ou apparu spontanément, ni notre croissance économique, ni notre standing international, ni notre harmonie entre les ethnies ni même notre statut de nation…Certes les pères fondateurs de Singapour n’appelaient pas cela design thinking mais ils savaient comprendre les enjeux, définir les problèmes, faire jaillir des idées créatives, développer des prototypes et de manière constante revoir les solutions testées. »
Lee Hsien Loong refait-il l’histoire de Singapour à la lecture du design thinking ou cette méthode est-elle finalement un nouveau nom pour d’anciennes manières de faire ? C’est une question finalement assez banale, si l’on associe les techniques de créativités, les fondamentaux du marketing et les méthodes d’innovations il ne fait pas de doute que nous retrouvons les piliers du design thinking. Depuis plusieurs années maintenant il y a clairement une « mode » du design thinking et il est mal vu de commencer un séminaire de créativité sans en passer par citer le concept combien même aucune de ces approches ne sera utilisées. C’est d’ailleurs bien là le risque. A force de banaliser des concepts, des méthodes, des approches, il y a un risque d’en perdre l’essence, la singularité et son unicité. Si le design thinking semble « facile » d’approche, il n’en est rien pour qui veut véritablement l’appliquer et en tirer les bénéfices. L’expérience, l’apprentissage, la connaissance sont clefs pour prétendre appliquer le design thinking à un projet de manière experte. Le temps est un facteur déterminant également, nous n’appliquons pas une problématique de design thinking en quelques heures ou quelques jours, cela demande des mois, cela réclame des itérations, cela demande des échecs sous un principe de test and learn. Il y a de grandes vertus au design thinking pour de multiples raisons et sa propagation a du bon et il est possible de sensibiliser à cette approche en quelques jours, à ce titre, nous ne pouvons qu’encourager ce genre d’approche, même – surtout – au niveau d’un gouvernement. Néanmoins, la méthode n’est pas miraculeuse et ne dispense pas de choix, décisions, tests, échecs, investissements, détermination, obstination, ce qui a réellement été la méthode pour construire Singapour.