En 2000, l’Union européenne voulait, à travers la « stratégie de Lisbonne », devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique ». A ce moment le nombre de publications scientifiques plaçait l’Allemagne au quatrième rang, la France au cinquième rang, l’Italie et l’Espagne respectivement au septième et dixième rangs. En quinze ans tous ont régressé et seuls trois pays ont véritablement progressé pendant cette période, trois pays asiatiques : légèrement la Corée, fortement l’Inde (qui dépasse la France) et de manière impressionnante la Chine qui désormais talonne les États-Unis. L’image résumée par la Reine rouge d’Alice au pays des merveilles est connue dans le monde de la publication (comme de l’innovation). Tout le monde court de plus en plus vite, pour simplement conserver sa place, en produisant de plus en plus de connaissances scientifiques.
Dans les années 80 la Chine pesait seulement 1% des publications scientifiques. En effet, avant Mao la Chine avait été vidée de ses scientifiques et envahie par des puissances étrangères et l’époque Mao avec sa Révolution culturelle avait ruiné tout espoir d’un développement de l’enseignement supérieur. Depuis la Chine s’est mise en ordre de marche : des dépenses en R&D supérieures à n’importe quel autre pays, des échanges internationaux et dans tous les secteurs : génétique, astrophysique, médecine, biologie, science de l’ingénieur, management, etc. Si désormais la Chine est deuxième mondiale juste après les États-Unis, il faut souligner qu’un grand nombre de publications sont certes sous « nationalités » américaines mais bien souvent réalisées par des chercheurs d’origine chinoise (ou même indienne).
L’important n’est finalement pas la question du nombre de publications, de citations (où les chinois sont moins représentés) que les conséquences de ces travaux et investissements. La Chine, après les années Mao a été considérée comme l’usine du monde. Les produits imaginés par les européens et les américains ont été produit par les chinois – le coût de la main d’œuvre aidant -. Les innovations de l’empire du milieu se sont alors « contentés » d’être incrémentales, de légères améliorations étaient réalisées sur les produits d’inspiration occidentale qu’ils produisaient dans leurs usines. Autrement dit ces dernières décennies la Chine a toujours été dépendante de l’innovation des autres. En investissant de manière massive dans la recherche scientifique, en recherche et développement, c’est bien aux innovations radicales que l’empire céleste veut s’attaquer. A titre d’exemple entre 2007 et 2015 la Chine est passée n°1 mondial (devant les États-Unis) en termes d’investissement en R&D. Dès lors, il ne fait aucun doute que les grandes innovations de ruptures des prochaines décennies viendront de Chine.
Ces fortes positions prises par l’Empire du milieu vont redistribuer les cartes géographiques de l’innovation et certainement de l’économie mondiale à moyens termes. La Chine semble vouloir devenir à la fois la tête pensante et les petites mains car en se focalisant sur des produits innovants à fortes valeur ajoutées il y a fort à parier qu’elle va en parallèle demeurer le pays usine du monde. A moins que d’autres forces montent en puissance comme l’Afrique qui peut devenir demain ce que la Chine fut hier. Encore faut-il déterminer qui en Afrique sous quel régime politique, avec quels investissements ? Et dans ce contexte quelle sera l’ambition des États-Unis qui semblent les seuls à pouvoir véritablement lutter à armes égales avec le mastodonte asiatique ? Mais en tout état de cause, la volonté de voir émerger une Europe avec « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » semble compromise. Si les investissements en recherches restent solides ils sont épars, sans vision clair et surtout trop « nationaux ». Seule une politique européenne ambitieuse pourrait rivaliser avec les deux géants américains et chinois, l’heure n’est plus à une politique nationale mais à mettre sur pied un plan Marshal de la R&D !