Voilà un peu plus d’un an, la question de l’ouverture sociale dans les Grandes Écoles (de management et d’ingénieur) faisait largement débat. Pour la Ministre Valérie Pécresse, « il n’y a pas assez d’ouverture sociale dans le recrutement des Grandes Écoles aujourd’hui » (MESR, 11 janvier 2010). La volonté affichée de l’État était alors d’ouvrir les Grandes Écoles, considérées comme trop « élitistes », à des profils plus divers. La solution des quotas, un temps évoquée, n’a pas été retenue. En revanche d’autres mesures ont été préconisées, telles qu’une évolution du contenu des concours, leur gratuité pour les étudiants boursiers ou encore la rédaction d’une charte de l’égalité des chances.
Si ces mesures vont dans le bon sens, deux éléments méritent néanmoins d’être soulignés :
• D’une part, ce débat a fait peu de cas de la réalité de nombreuses Grandes Écoles « de province » au sein desquelles le nombre de boursiers est déjà très significatif, souvent proche, voire au-delà des 30% évoqués à l’époque comme objectif.
• D’autre part, les propositions avancées ont laissé de côté la question du financement des études pour les étudiants boursiers.
La question du financement des études est en effet centrale. Parmi les dispositifs permettant à des étudiants boursiers de financer leurs études, l’apprentissage joue un rôle essentiel : il permet aux étudiants de ces écoles de faire financer tout ou partie de leurs frais de scolarité par une entreprise, de bénéficier d’une rémunération et d’afficher en outre un excellent taux d’emploi à la sortie du diplôme. De nombreuses Grandes Écoles, de management comme d’ingénieur, y ont recours.
Paradoxalement ce dispositif est aujourd’hui menacé, au moment même où l’État cherche à en renforcer l’attractivité.
La proposition de loi « pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée » déposée le 13 avril 2011 propose, entre autres dispositions, d’augmenter le nombre de salariés en alternance. Cette mesure est louable, mais elle présente un effet pervers. En augmentant le nombre d’apprentis, cette mesure risque de déséquilibrer un mécanisme de financement de l’apprentissage déjà fragile.
Dans la pratique, les entreprises doivent financer le coût complet de l’apprentissage (c’est-à-dire le coût réel de la formation). Cette disposition est toutefois restreinte car ce financement se fait « dans la limite du quota de taxe d’apprentissage disponible », le quota étant la fraction de la taxe d’apprentissage réservée au financement des établissements formant des apprentis. Cela revient pour certaines entreprises (et il ne s’agit pas de PME en l’occurrence) à financer dès à présent leurs apprentis à hauteur de 1 500 € pour un coût complet qui se situe généralement autour de 10 000 €. D’où un manque à gagner dans l’équilibre budgétaire qui est difficilement supportable par les institutions. Avec l’augmentation du nombre d’apprentis, l’enveloppe de taxe d’apprentissage disponible devra être répartie plus largement. Mes excuses pour cette présentation un peu technique, mais essentielle pour comprendre la complexité de la situation actuelle.
Au final, quel est le risque ? Celui de voir les Grandes Écoles réduire le nombre de places en apprentissage dans leurs programmes, faute de pouvoir assurer le coût réel de la formation. En réduisant le nombre de places en apprentissage, c’est la capacité d’offrir des parcours sécurisés à des élèves boursiers qui est remise en question. Ou comment une mesure visant à favoriser l’apprentissage risque d’aller à l’encontre du processus d’ouverture sociale dans les Grandes Écoles.
Pour en savoir plus :
• Grandes Écoles : Objectif de 30% de boursiers, MESR, 11 janvier 2010.
• Pierre Tapie (CGE) : « Si le projet de réforme de la taxe d’apprentissage se concrétise, cela conduira à asphyxier des formations », AEF, Dépêche n°147189, Lundi 21 mars 2011.
L’analyse synthétique est d’une grande justesse .Les nouvelles mesures mises en place par le gouvernement partent d’un principe indiscutable : favoriser l’emploi des jeunes . Malheureusement, construit par des hauts fonctionnaires qui refusent de remettre à plat totalement les mécanismes de financement de l’enseignement supérieur (quid du remboursement des études de Polytechniciens qui monnayent leurs talents à Wall Street alors que leurs études ont couté plus de 100.000 € aux contribuables), le système conduit à un paradoxe qui veut que soit les écoles non financées par l’état limitent le nombre d’apprenti à la portion congrue supportable , soit les scolarités des apprentis devront être payées par leurs collègues étudiants non apprentis.
Notons qu’en parallèle le système permet de faire financer les formations « publiques » par les entreprises et donc d’alléger les dépenses publiques, objectif hautement défendable.
Il faudrait simplement que notre gouvernement cessent de vouloir faire passer des vessies pour des lanternes : l’objectif principal de cette réforme est de détourner l’argent de la taxe d’apprentissage du privé / associatif vers le public pour réduire les dépenses de l’état.
Il est fort peu probable que les objectifs de 600.000 apprentis soient atteints rapidement , le seul effet de la réforme sera d’augmenter les apprentissages du « Public » au détriment des autres : pour un gouvernement soit-disant libéral réussir à nationaliser l’apprentissage ce sera quand même une belle figure de style !
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