Ce sont deux événements en apparence totalement indépendants, et pourtant non dénués de points communs. Alors que l’économie européenne traverse une crise économique et financière majeure, la parution récente de la nouvelle liste du CNRS (section 37) des revues académiques en économie et gestion appelle à réflexion.
L’évaluation des enseignants-chercheurs en gestion dans les Grandes Écoles comme à l’Université est aujourd’hui largement fondée sur la qualité des publications scientifiques. A ce titre, la catégorisation des revues par le CNRS joue un rôle important, en offrant « un langage commun à l’ensemble des membres et facilite à ce titre le travail d’évaluation de l’activité de recherche des chercheurs comme des unités ». Ce système d’évaluation n’est pas propre à la gestion. Il est toutefois dans cette discipline à l’origine d’un paradoxe.
Alors que les entreprises font face à une transformation radicale de leur environnement et de leurs pratiques managériales, les enseignants-chercheurs en gestion sont, à de rares exceptions, très peu présents dans ce débat public. En particulier, leurs travaux, qui pourraient éclairer les comportements des entreprises, font rarement l’objet d’une diffusion sous la forme de tribunes dans la presse généraliste ou économique. Cette absence est d’autant plus regrettable que :
• la Société est en quête de repères sur le monde économique, et en particulier sur les comportements des entreprises face à la crise ;
• les enseignants-chercheurs en gestion, en raison de la nature même de leurs recherches, largement connectées avec les pratiques des entreprises, ont une réelle capacité à éclairer ces comportements auprès du grand public.
Il n’est pas question ici de remettre en cause le système d’évaluation de la recherche en gestion ni même d’imaginer une intégration des contributions dans la presse généraliste dans la catégorisation des revues académiques du CNRS.
Néanmoins, rien n’interdit aux enseignants-chercheurs à titre individuel comme aux établissements de s’organiser pour favoriser la diffusion des travaux scientifiques auprès du grand public. Complémentaires des publications dans des revues académiques, destinées avant tout à la communauté scientifique, des tribunes de presse rédigées par des enseignants-chercheurs permettraient d’inscrire nos institutions dans les débats de Société.
D’autres communautés (historiens, économistes, etc.) ont déjà largement compris l’intérêt de contribuer au débat public. Avec la multiplication des rubriques « Opinions » ou « Tribunes » dans les grands quotidiens (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, La Tribune, etc.) comme dans les hebdos (Challenges, L’Express, etc.) ainsi que le développement des espaces numériques, ce ne sont pas les lieux d’expression qui manquent.
Au moment où l’entreprise prend une place grandissante dans la Société, il serait regrettable que notre communauté passe à côté de cet enjeu.
Pour aller plus loin : Catégorisation des revues en économie et gestion (V3.01. Octobre 2011)
Je pense que les enseignants chercheurs en gestion ont le désir de s’exprimer… mais les opportunités sont rares. Nous en revenons toujours au même : en France, la légitimité de la recherche en sciences de gestion est constamment mise en doute. Pour beaucoup, ce que nous faisons en business schools n’est pas de la recherche. Par conséquent, il faudra probablement démystifier l’activité des enseignants chercheurs en gestion avant qu’on leur offre une tribune dans les média généralistes.
Excellent article. Il souligne une carence déjà dénoncée par la Société Française de Management, qui regroupe justement les professeurs qui s’intéressent aux relations entre management et société.
Le principal responsable de l’insuffisance de l’engagement des professeurs de management dans le débat public, est le système d’évaluation auquel ils sont soumis.
Pour les universitaires, le CNU et les jurys d’agrégation ne tiennent compte que des publications scientifiques. Dans les écoles c’est presque pire depuis que la loi d’airain des classements les a conduit à adopter ce seul critère pour évaluer les professeurs. Beaucoup ont mis en place des primes qui récompensent les articles dans les revues scientifiques en proportion du rang de celles-ci. Et les revues reconnues par le Financial Times sont plus importantes encore que celles classées par le CNRS.
Le recrutement aussi se fait en privilégiant ce critère. Créant une nouvelle génération d’enseignant, bon chercheurs, mais ayant des difficultés a faire de la formation continue et encore moins capables de s’adresser au grand public.
Donc l’exhortation ne suffit pas. Il serait intéressant de savoir quel dispositif de gestion du corps professoral vous avez mis en place pour faire en sorte que les professeurs de l’ESC Dijon-Bourgogne puisse consacrer une part de leur temps à des questions de société ?
Remarque pour notre « doctorant-aux-usa » : non les opportunités ne sont pas rares, du moins pour un professeur arrivé à maturité. Les médias fonctionnent sur le principe de l’offre. Pour s’y exprimer il suffit d’avoir des choses intéressantes à dire. Mais cela demande du temps, du savoir-faire et surtout de ne pas être soumis à un système d’évaluation qui vous décourage de le faire.
Pardon : « enseignants » avec « s »
Merci de vos commentaires.
Je pense comme Jean-Pierre Nioche que les médias s’intéressent à des contenus plus qu’à des profils disciplinaires. Un enseignant-chercheur en management a donc autant sa place qu’un économiste ou un historien dès lors que les tribunes proposées s’appuient sur une véritable expertise.
Au-delà, la soumission d’une tribune nécessite de s’adapter aux contraintes spécifiques des médias. Cela implique de respecter leurs critères de forme, d’adopter un style d’écriture attrayant et surtout d’être réactif : une tribune a d’autant plus de chance d’être acceptée qu’elle colle à l’actualité brulante.
Pour ce qui est de la démarche menée par l’ESC Dijon-Bourgogne depuis dix-huit mois, elle reste modeste mais commence à porter ses fruits, avec une quinzaine de tribunes publiées dans Le Monde, Les Echos et La Tribune (print et/ou web).
Comme toutes les institutions d’enseignement supérieur en management, nous n’échappons évidemment pas aux contraintes des classements et des systèmes d’accréditation (français comme internationaux). L’évaluation est donc largement fondée sur les publications scientifiques. Néanmoins le soutien aux enseignants-chercheurs pour les inciter à s’exprimer dans la presse prend la forme suivante :
– Une prise en compte de ces tribunes dans leur évaluation, à la rubrique « contribution au développement de l’Ecole »
– Un soutien méthodologique fort de l’attaché de presse de l’école : identification des thématiques, aide à la rédaction et relation avec les médias pour maximiser les chances de publication. C’est un plus non négligeable.
Il faut également noter que ces tribunes peuvent être un levier pédagogique intéressant. Autant il peut être difficile de faire lire à nos élèves des articles scientifiques, autant ceux-ci reconnaissent une vraie légitimité aux auteurs d’articles et tribunes parues dans les médias.
Précisons enfin que l’accréditation américaine (AACSB) est plus ouverte que les autres systèmes d’accréditation dans ce domaine, en s’intéressant aux contributions à la société (« contributions to the community »). C’est sans doute là une piste de réflexion à explorer en matière d’incitation et d’évaluation des enseignants (non publiants) comme des enseignants-chercheurs.
Comme le rappelle Stéphan Bourcieu ci-dessus, l’intervention de nos chercheurs dans les débats sur des questions de société est vivement encouragée et soutenue au sein de l’ESC Dijon Bourgogne. Notre attaché de presse est très efficace pour nous guider sur ce point. Une autre de nos caractéristiques nous aide aussi à intervenir dans ces débats: ce sont nos Chaires de recherche. Elles sont spécialisées elles mêmes sur des questions de société, permettant une approche pluridisciplinaire et directement appliquée, deux éléments indispensables mais peu présents dans une orientation académique traditionnelle.
Quelque part en France, un ancien Président d’université moisit en prison pour avoir été convaincu de vente de diplôme à des étudiants étrangers : une dénonciation a été opérée, une rumeur s’est répandue, une enquête a été diligentée, une comparution a été organisée, une condamnation a été portée.
Ailleurs dans cette même France, pourtant, des universitaires, spécialistes de gestion, continuent en toute impunité le même type d’activité – et les Présidences successives de cette université n’ont jamais été pour autant été dénoncées ni soumises à une enquête. L’astuce consiste à ouvrir une école privée dont les enseignants sont largement ceux de l’université en question et dont les étudiants payent très cher leur inscription, en échange d’un diplôme co-validé par cette université.
La formation par le service public revient à moins de 400 euros par an, en passer par cette officine coûte dix fois plus, mais c’est le même diplôme, labellisé par le même établissement (public).
Système très astucieux, qui fonctionne à merveille – ce qui est complètement au crédit des spécialistes de gestion, il faut le reconnaître. Mais qui explique peut-être la mauvaise réputation scientifique des gestionnaires?
A leur décharge, il faut dire que, dans d’autres disciplines qui le permettent, telles les « sciences juridiques », leur service à l’université ne représente guère que leur argent de poche pour les collègues qui font payer très cher leurs expertises de consultant. Franchement, quel besoin alors de se prêter à l’évaluation scientifique?
Merci pour cet excellent article. Jean-Pierre a bien résumé les raisons de ce silence. Il serait intéressant de recenser les blogs et comptes twitter des enseignants chercheurs. Ne pas seulement se limiter à la presse écrite traditionnelle qui joue encore un rôle de filtre. Pour ma part, je contribue sous forme de blog: http://philippesilberzahn.wordpress.com/
[…] son dernier billet, Stephan Bourcieu, directeur de l’ESC Dijon, pointe du doigt la relative absence des chercheurs […]
A deux poids deux mesures. Remarque certainement très intéressante, mais qui ne concerne ni la thématique de ce post, ni l’institution dont je suis issu : nous n’avons pas de co-diplôme avec une université française et nos professeurs permanents sont salariés de l’école et uniquement de l’école. Quant au diplôme de l’Ecole, il confère le grade de Master de l’Etat.
A Philippe Silberzahn.
Merci de votre retour. Tout à fait d’accord avec vous. Il serait très intéressant de connaitre l’implication des enseignants-chercheurs en management dans les débats de société via les blogs et autres sites dédiés (ce blog en est un exemple).
Educpros a fait une première étude dans ce sens, à propos de l’implication des directeurs d’écoles dans les réseaux sociaux (retrouver sur ce site).
L’intérêt de la presse traditionnelle est qu’elle est assez facile à identifier (quelques grands quotidiens généralistes, deux quotidiens économiques, quelques grands news magazines) et, en version papier comme numérique, qu’elle a une exposition (un impact) facile à mesurer. Dans un environnement académique tel que le notre où l’évaluation est importante, ce serait probablement plus facile de se référer aux seules tribunes publiées dans ces supports.
A Philippe Silberzahn
Bravo pour votre blog sur Innovation et Entrepreneuriat.
Très bien présenté sur la forme et passionnant quant aux contenus.
La recherche scientifique au Maroc, un chantier en attente
La recherche scientifique est une mission essentielle de l’enseignement supérieur. Sans elle, il ne peut pas y avoir un enseignement supérieur de qualité, susceptible de suivre l’évolution des connaissances et du savoir. Le fruit de la recherche peut être bénéfique pour l’humanité, je cite la croissance de l’espérance de vie, l’augmenter la production agricole, le traitement de nombreuses maladies, la découverte de nouvelles ressources d’énergie… etc comme il est aussi la cause de nombreuses catastrophes telles que la dégradation de l’environnement et le développement des armes de destruction massives. Les scientifiques sont donc responsables de ce que sera le monde de demain.
La plus grande partie de la recherche est aujourd’hui fiancée par des fonds privés. L’État joue cependant un rôle toujours important et central dans le financement de la recherche. Ces financements peuvent être attribués directement à des chercheurs, mais également à des équipes de recherche, des laboratoires, des institutions, des groupements d’institutions. Au Maroc, le budget alloué à la recherche scientifique et technique ne dépasse pas le 1% du PIB. La recherche scientifique au Maroc reste timide à cause du budget qui lui est alloué et qui ne dépasse pas le 1% du PIB alors que dans les pays développés et industrialisés le taux dépasse largement 2% (Japon: 2,86 %, USA: 2,78 %, Allemagne: 2, 58 %, France: 2,42 %). La recherche scientifique au Maroc ne cesse de dégringoler à l’échelle africaine. Le Maroc est passé de la 3e place en 2003 à la 6e place en 2007 puis à la 8ème place à l’échelle africaine 2n 2010 en matière de production scientifique. Thomson Reuters, résume dans un rapport global sur la recherche en Afrique, on y apprend par exemple qu’en 2009 le nombre des publications scientifiques marocaines n’a pas dépassé 3 100 publications, très loin derrière l’Afrique du Sud (14 000), l’Egypte (10 100), la Tunisie (4 300), l’Arabie Saoudite (4 200) et l’Algérie (3 200).
La recherche marocaine s’est retrouvée toujours à la merci des individus qui, se sont mis à développer pour la plupart, des équipes individuelles qui portent, souvent, des appellations de laboratoires. Ces laboratoires, généralement très peu équipés, sont caractérisés d’un cloisonnement effarant au sein d’un même établissement. D’autre part, si on se pose la question de statut de chercheurs au Maroc ! On est enseignant et chercheur à la fois selon les textes. Mais dans la réalité des choses ce n’est jamais clair parce que d’abord il faut signaler l’existence des établissements ou on ne peut pas faire la recherche scientifique (les facultés poly disciplinaires), ensuite le statut de chercheur qui n’a jamais été réglée. D’autres problèmes surgissent par exemple : le financement, le manque de revues pour publier les travaux, l’esprit de laisser aller sans aucune orientation particulière, l’élimination de la thèse d’Etat, L’utilisation de la langue française dans la recherche scientifique, le déficit dans les orientations et la planification et l’absence d’une vraie collaboration avec le tissu industriel. Même si les chercheurs marocains ne disposent pas des moyens nécessaires pour travailler dans des conditions optimales, ils parviennent tout de même à s’imposer, parfois, à l’international. Au vu des moyens alloués à la recherche scientifique, on peut parler de miracle. L’un des points positifs c’est qu’il existe des individualités fortes, mais il faut retrouver l’envie de travailler ensemble. Les chercheurs marocaines ont besoin à l’instar de leurs homologues à l’étranger de plus en plus de moyens pour pouvoir rester compétitifs, surtout dans les domaines qui reposent sur les technologies et l’ingénierie.
L’université est un lieu du savoir et de privilèges, et comme dans tous les lieux de privilèges, les choses mettent du temps à bouger de façon significative. C’est tout un système qui doit trouver un nouvel équilibre et se transformer.
« RIEN NE SE PERD, RIEN NE SE CREE, TOUT SE TRANSFORME » Lavoisier.
Professeur et Docteur Rachid BOUTTI
Titulaire de la Chaire Euro-Arabe pour le Développement Durable (UPM)
. Expert Comptable Assermenté par les Tribunaux du Royaume
. Directeur du laboratoire de recherche accrédité Laboratoire de Recherche en Gestion (LaRGe)
. Responsable du Mastère international Métier de Conseil et Encadrement (Programme Meda)
. Auteur d’ouvrages nés mondiaux en management décisionnel, opérationnel et stratégique
. Ex Directeur Administratif et Financier (CFO) de la multinationale ELF
. Ex Chief Executif Officer du Holding Industriel Richbond
http://www.controledegestion.org
RB Respectons l’environnement
Merci de n’imprimer ce mail qu’en cas de nécessité
[…] Les tribunes et articles de vulgarisation. Dans un précédent post (”Exprimez-vous !“), je regrettais le manque de présence des enseignants-chercheurs en management dans la […]
[…] Comme je l’avais exprimé il y a un an sur ces mêmes pages, je suis convaincu que les enseignants-chercheurs en management doivent jouer un rôle plus important auprès de la Société en matière de compréhension des pratiques de gestion des entreprises. Au cours des trente dernières années, les entreprises ont en effet pris une place prépondérante dans notre environnement*, sans pour autant que tous les citoyens soient à même d’en comprendre les objectifs et les comportements**. […]