Depuis quelques mois, le monde de l’enseignement supérieur est secoué par l’arrivée des cours en ligne et ouverts à tous (les MOOC pour Massive Open Online Courses). Le lancement de la plate-forme edx, développée conjointement par le MIT, Berkeley et Harvard University à la rentrée 2012(1), permet aux MOOC d’entrer dans une nouvelle dimension en donnant accès aux cours et conférences des universités les plus prestigieuses. Et les chiffres donnent le vertige: un cours sur l’intelligence artificielle donnée par un professeur de Stanford a ainsi attiré 160000 étudiants de 190 pays(2).
Au passage cette évolution qui touche toutes les disciplines a sans doute une résonance particulière dans l’environnement des Business Schools françaises: d’une part leur modèle économique est fondé sur le recrutement d’étudiants, et d’autre part il est clair que la grande majorité des meilleurs enseignants en management sont dans ces universités américaines prestigieuses.
De fait, le développement continu de l’offre de cours en ligne donnés par les meilleurs professeurs des institutions les plus prestigieuses ne pourrait-elle pas changer la donne en matière d’enseignement supérieur dans les années à venir? Faut-il y voir une menace pour le modèle traditionnel des Business Schools ou au contraire un levier de développement pour ces institutions?
Les observateurs avisés nous rappelleront que depuis trois décennies chaque innovation technologique liée aux médias (la télévision, le magnétoscope et le caméscope, la visioconférence, l’Internet, etc.) a été l’occasion d’annoncer la fin à brève échéance du face-à-face pédagogique au profit des nouvelles technologies éducatives, sans que cela se traduise de manière effective dans les faits: ces nouvelles technologies sont aujourd’hui plus appréhendées comme un complément qu’un réel produit de substitution au face-à-face pédagogique.
Toutefois le contexte est aujourd’hui plus favorable…
Un moyen de valoriser une ressource rare: le professeur. L’offre de cours en ligne permet de répondre à la croissance des effectifs étudiants et à la volonté des écoles de mobiliser les meilleurs professeurs en assurant une diffusion large de leurs cours (tout en préservant leur temps de recherche… Une forme de quadrature du cercle). Les MOOC sont également utiles pour partager une ressource pédagogique sur des campus délocalisés en la démultipliant.
Des outils plus simples et moins couteux. Contrairement aux technologies antérieures, les innovations récentes (webTV, liseuses et autres tablettes tactiles, etc.) peuvent modifier la donne en termes d’exploitation des cours en ligne en raison de:
• leur facilité d’exploitation qui ne nécessite plus le recours à des experts pour produire et diffuser les supports,
• leur large diffusion dans l’ensemble des couches de la société,
• et surtout leur faible coût d’utilisation.
Une manière d’appréhender différemment la connaissance. Internet a contribué à l’émergence d’une culture de l’universalité de la connaissance (Wikipédia, la bibliothèque numérique de Google). Désormais, il semble normal aux utilisateurs d’internet d’avoir un accès libre à une base de connaissances toujours plus large. Cette culture communautaire a fait sortir la connaissance des réseaux et des lieux traditionnels. Elle favorise donc l’appréhension de nouveaux modes de transmission et d’acquisition de la connaissance.
Et surtout un public 2.0. La génération Y est la première à avoir grandi à l’ère du numérique. Les étudiants ont une facilité sans commune mesure avec les générations précédentes à utiliser les outils numériques (ordinateurs, smartphones, tablettes tactiles), les réseaux communautaires (Youtube, Facebook, Twitter pour ne citer que les principaux) et à interagir à distance avec des interlocuteurs. Cette génération a plus que toute autre la capacité à appréhender les enseignements en ligne.
Si le contexte est plus favorable, il est néanmoins nécessaire que des conditions spécifiques soient réunies pour que les MOOC puissent prendre toute leur place dans le panorama de l’enseignement supérieur. En outre, certains obstacles ne sont aujourd’hui encore pas levés. Ceci sera l’objet d’un prochain post…
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(1) Hélène Croizé-Pourcelet (2012), « Harvard, Berkeley et le MIT lancent une plate-forme mondiale d’e-learning gratuite », Les Echos, 30 août.
(2) Tamar Lewin (2012), « Les universités d’élite s’ouvrent au web », The New York Times International Weekly, 30 novembre.
Je reviens des USA, du congrès Educause. les MOOC doivent s’analyser dans le contexte socio-économique des universités américaines où les droits d’inscription ont créé une bulle financière. Cela amène à se poser la question de savoir si ce sont les évolutions technologiques qui justifient cette nouvelle pédagogie (flipped learning) ou si ce sont des conditions économiques que l’on tente de justifier par une nouvelle approche pédagogique. Question subsidiaire : comment ceci se traduit-il dans un système européen où les inscriptions annuelles avec intervention d’un prof coutent moins de 300 € par an.
Bonjour
Merci pour ce post, très intéressant. Cependant, il y manque à mon avis un point de fond (peut être à venir dans le prochain post que vous mentionnez à la fin ? :-)): quid du suivi des étudiants ? Avec les MOOC, on se retrouve devant des amphis massifs, avec une flexibilité pour l’étudiant que n’offrent pas les amphis traditionnels, et un coté ludique indéniable là-aussi. On peut aussi bénéficier d’exercices permettant de s’entraîner (en fonction des programmes et des MOOC) mais la problématique des questions que peuvent se poser les étudiants subsistent. Il est en effet impossible de traiter les éventuelles questions ne serait-ce que de 1% de 160 000 étudiants, la masse étant trop importante à absorber. Il doit donc y avoir un réel complément vis à vis de ces sessions en ligne, et c’est là aussi que doit se faire notre valeur ajoutée en tant qu’enseignant dans les écoles existantes.
Bien sûr, ce modèle est plus qu’intéressant, et pose de sérieux problèmes sur le business model de nos établissements, c’est indéniable, et passionnant ! 🙂 Les MOOC sont, de mon point de vue, une remarque occasion de revisiter en profondeur nos façons de fonctionner, nos apports, bref, de revoir quels sont nos moyens de différenciation dans un marché / une ère où l’accès au savoir est partout – c’était évident depuis l’apparition du Net, mais les MOOC amènent une structuration de ce savoir qui s’oppose frontalement aux écoles. Sujet passionnant en tout cas ! 🙂
@Yves. Merci de votre message. Tout à fait d’accord avec votre constat sur le contexte nord américain que j’avais d’ailleurs évoqué dans ce blog en avril dernier
http://blog.educpros.fr/stephan-bourcieu/2012/04/13/trillion-dollar-baby-les-mille-milliards-des-enfants-americains/
Pour autant, je pense que les MOOC amènent fondamentalement à revoir notre business model de l’enseignement supérieur. En effet, même si le prix de formation dans l’université française (et ailleurs en Europe) est réduit (prenons le chiffre de 300€ que vous indiquez), le coût de la formation est beaucoup plus élevé (entre 8 000 et 15 000 €). La différence avec les USA est qu’il est pris en charge par la communauté.
Sur un simple plan financier, les financeurs publics pourraient être tentés de recourir aux MOOC pour réduire ce coût financier.
@Loïc. Merci pour vos commentaires. Oui la question de la mise en oeuvre et du suivi des étudiants fera effectivement l’objet d’un prochain post 🙂
Je suis d’accord avec vous que la dimension d’accompagnement des étudiants est un enjeu auquel les MOOC n’apporteront certainement pas toutes les réponses, même avec la mise en place de forums en ligne et autres chats TV. Cela laisse encore une place pour les établissements (et le face à face pédagogique) et c’est heureux … MAIS cela implique sans doute de remettre en cause notre business model et donc de changer nos modes de fonctionnement et notre modèle de création de valeur.
Ce sera l’objet d’un prochain post.
[…] RT @Mlle_Titam: Les cours en ligne et ouverts à tous: une arme de destruction massive dans l’enseignement supérieur ? http://blog.educpros.fr/stephan-bourcieu/2012/12/06/les-mooc-une-arme-de-destruction-massive-dans-l%… […]
D’un point de vue neurologique, le processus d’apprentissage distanciel reste limité (pas de retour de communication visuel de l’élève vers le prof pour vérifier la compréhension, peu d’émotions pour activer la mémorisation, échange limité aux sens visuels et auditif, pas de kinesthésique, peu d’interactions physiques entre le groupe d’apprenants). On reste proche des limites du livre.
Tout l’enjeu pour les écoles sera à mon avis de concentrer les efforts des enseignants sur la performance pédagogique et les atouts du présentiel. Beau challenge en perspective.
Bonjour et merci puor votre post très intéressant. Nous avons tous craint il y a une dizaine d’années une remise en cause de nos modèles par l’enseignement on line. Plusieurs institutions ont même lancé des expérience de programme on line pour se préparer à l’inéluctable …et ont renoncé rapidement. En revanche l’expérience a enrichi les modes de diffusion du savoir sans remettre en cause le modèle du « campus ». Probablement les MOOC auront le même effet. J’ai vu déjà un premier exemple d’un contrat de formation qui a permis de former plusieurs milliers de cadres d’une entreprise sur plusieurs années tout en maintenant des sessions en amphis, et ceci sans remettre en cause les tarifs global = La téchnologie peut juste permettre d’étendre l’audience. Or le besoin d’éducation n’a sans doute pas de limite.
Cordialement
[…] aller plus loin sur les MOOC (Massive Open Online Courses) après mon post du mois dernier, rien de tel qu’une présentation très “génération Y” par Dave Cormier et Neal […]
[…] complet). Quant à Stephan Bourcieu, directeur du groupe ESC Dijon Bourgogne, il estime sur son blog que « l’offre de cours en ligne permet de répondre à la croissance des effectifs étudiants […]
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Si les MOOC font bouger des lignes, ce sera peut-être l’occasion d’y loger la part de cours magistral que l’on fait en présentiel et pour lesquels la présence de l’enseignant n’est pas forcément indispensable. Conservons le temps humain pour les interactions qui ont le plus de valeur ajoutée, c’est à dire APRES que l’apprenant ait pris connaissance des bases.
J’ai commencé à mettre ce raisonnement en oeuvre en milieu professionnel. Je fais des vidéos que j’envoie à mes interlocuteurs avant d’aller les voir, et du coup, le temps que nous passons ensemble s’affranchit des redites, reprise et remise à niveau d’information qui ont été confiées à la machine. Et cela fonctionne.
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