Au moment où plusieurs universités françaises annoncent l’ouverture de diplômes Masters enseignés entièrement dans la langue de Shakespeare, suivant en cela les orientations de la Ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso (Le Figaro, 13 mars 2013), il n’est pas inutile de rappeler que le niveau d’anglais des étudiants français reste un problème majeur de notre système d’enseignement.
Pour mémoire, les résultats d’une enquête menée en 2009 sur les bases du TOEFL (Test of English as a Foreign Language) placent les étudiants français au 69ème rang sur 109 pays en termes de maîtrise de l’anglais. Dans un récent article, Louis MBembe (MeltyCampus, mars 2013) expliquait ces piètres résultats par un système scolaire inadapté à l’enseignement des langues (enseignants insuffisamment formé, culture de la note entrainant des blocages etc.), le doublage systématique en français des émissions télé et des films ainsi que des difficultés avec l’expression orale.
Indifférence des entreprises françaises
Si ces causes sont bien réelles, elles n’expliquent pas tout. Les employeurs portent également une part de responsabilité, comme le démontrent les résultats de l’enquête Eurobaromètre (1). Cette enquête a passé au crible 7036 entreprises européennes de plus de cinquante salariés (dont 404 en France) sur la question des compétences requises et de l’employabilité des jeunes diplômés au niveau européen et ses résultats sont édifiants quant aux attentes des entreprises françaises.
Elle montre que seules 41% des entreprises françaises interrogées considèrent comme importantes ou très importantes la maîtrise d’une langue étrangère contre 61% pour la moyenne des entreprises européennes. La France apparaît ainsi au 30ème rang des 32 pays étudiés (!), précédant seulement l’Irlande (32%) et le Royaume Uni (22%), bons derniers de la classe pour des raisons que l’on comprend aisément!
En comparaison, 70% des entreprises allemandes accordent de l’importance à la maîtrise des langues par leurs futurs collaborateurs. Ce constat est d’autant plus inquiétant pour l’avenir qu’une minorité (21%) d’entreprises françaises voit dans les langues une compétence attendue dans les 5 à 10 ans à venir de la part des jeunes diplômés, contre 31% des entreprises à l’échelle européenne.
Les employeurs n’ayant pas suffisamment conscience de l’importance des langues dans leurs activités, ils ne sont pas exigeants vis-à-vis de leurs futurs collaborateurs: la pleine maîtrise des langues est de fait rarement un critère discriminant en matière de recrutement (2). En conséquence, les organismes de formation comme les étudiants font porter leurs efforts sur d’autres dimensions, plus recherchées des recruteurs: en dehors des formations linguistiques et des Grandes Écoles, combien de diplômes de Master exigent-ils un score minimum au TOEIC (ou tout autre test) comme condition de diplôme?
Corrélation avec les difficultés du commerce extérieur français
Ces mauvais résultats sont à rapprocher des difficultés du commerce extérieur français. Depuis plus d’une décennie, le commerce extérieur français a en effet plongé dans le rouge et n’a cessé de se dégrader:
– Avec un déficit de la balance commerciale française de 67 milliards d’euros, l’année 2012 n’a pas dérogé à la règle, même si le chiffre est au final moins mauvais que le triste record de 2011, année au cours de laquelle le déficit avait atteint 73,9 milliards d’euros.
– Autre indicateur alarmant, en dix ans, le nombre de PME françaises exportatrices a chuté de 15%, pour s’établir à 91000, quand dans le même temps, le nombre de PME exportatrices allemandes progressait de 33% pour s’établir à 247000.
Le problème des compétences linguistiques est bien évidemment loin d’être le seul facteur explicatif de ces mauvais résultats. Toutefois, il participe d’un état d’esprit général: la société française dans son ensemble n’a pas pris la mesure des enjeux de la mondialisation, à commencer par l’impérieuse nécessité de savoir travailler en langue anglaise.
Autant qu’un indicateur de la qualité du système d’enseignement des langues, le niveau de score moyen au TOEIC des étudiants d’un pays est sans doute un excellent indicateur de son degré d’ouverture internationale.
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(1) « Employers’ perception of graduate employability« , Commission Européenne, Eurobaromètre, Novembre 2010
(2) En dehors des entreprises du SBF120, l’expérience montre que le score au TOEIC (ou autres tests linguistiques) est rarement demandé par les entreprises françaises lors des phases de recrutement.
Bonjour,
Je suis assez étonné par votre article. Si je ne mets pas en doute le besoin de parler des langues étrangères pour exporter, je suis un peu surpris de voir le TOEFL revenir à toutes les sauces. Depuis quand ce test mesure-t-il le niveau en allemand, en espagnol ou en russe ?
Pour exporter au Brésil ou en Chine, à quoi sert donc l’anglais par rapport à la maitrise de la langue du client ?
La situation est bien plus subtile que notre « faible score au TOEFL » et autres numéros dont les non-anglophones sont affublés.
Vous soulignez pourtant l’énorme asymétrie entre les pays anglophones, qui n’investissent pas un centime dans l’enseignement du français, et les autres qui les perfusent en envoyant des cohortes de jeunes « parfaire leur anglais » pour soutenir l’industrie du séjour linguistique ! Ce petit jeu coûte dans les 17 milliards d’euro de transferts annuels des pays continentaux vers le Royaume-Uni et l’Irlande. L’Europe marche sur la tête dans le domaine de l’enseignement des langues alors qu’une solution existe et qu’elle aurait pu être mise en oeuvre depuis un siècle dans les systèmes scolaires.
[…] ainsi que débute ce billet du blog du directeur du groupe ESC Dijon. Il signale une corrélation entre le niveau en anglais de nos […]
Que les entreprises aient une vue faussée et peu exigeante de ce qu’est un bon niveau en langue, c’est établi. Que les étudiants français soient aussi à la traîne, c’est un fait également. Mais que dire du corps enseignant dans l’enseignement supérieur, et de ses dirigeants et de nos chercheurs ? Leur niveau n’est guère mieux….combien sont réellement parfaitement à l’aise à l’oral, combien écrivent un anglais sans faute, et suffisamment riche pour traduire la complexité de leur pensée? Que dire des cours enseignés en anglais approximatif, douloureux pour les étudiants étrangers habitués à mieux ailleurs ? Et le tout est reflété par des sites internet d’école dont la traduction en anglais laisse vraiment à désirer, ou est même carrément hilarante… enfin, tout est relatif, car avec ce manque d’exigence, notre pays, dont l’enseignement est d’excellent niveau par ailleurs, perd du terrain et joue sa réputation…
@Marie Blandine Prieur : les difficultés des entreprises n’empêchent effectivement pas l’enseignement d’en avoir tout autant. Je partage votre analyse qui renvoie à une perception globale difficile de l’international par la Société française.
Partons du postulat que l’anglais est la langue de travail partagée dans le monde (quoique je rejoigne tout à fait le constat de Cyrille: les marchés émergents questionnent clairement ce postulat). Certes le niveau de nos jeunes français n’est pas extraordinaire comparativement à d’autres pays européens, mais il n’est pas si ridicule que ça lorsqu’on le compare au niveau d’anglais d’autres jeunes dans le monde (je pense notamment aux Chinois dont le score de TOEFL ne reflète absolument pas leur incapacité à s’exprimer de façon compréhensible). Ce qui manque à nos jeunes est essentiellement de la confiance en soi, une perception équitable de leur propre niveau (ce que j’entends le plus: « je suis nul(le) en anglais » alors même qu’ils sont effectivement capables de se faire comprendre ). Ce manque de confiance et de perception claire de leur niveau leur interdit la pratique, ultime outil qui leur permettrait d’être tout à fait correct. Le style de formation de langues en France ne les autorise à s’exprimer que lorsqu’ils ont maîtrisé 100% des notions grammaticales et autres, c’est à dire … jamais !
N’oublions pas que les entreprises qui opèrent globalement ne pratiquent pas un anglais parfait, elles pratiquent un anglais pratique, donc simplifié, et dont je pense qu’il est largement accessible à la majorité des Français … si on ne passait pas notre temps à les convaincre de leur propre nullité en langue.