Suite à la publication dans L’Expansion Management Review des résultats d’une recherche que j’ai menée avec Olivier Léon sur les MOOC (1) et la reprise de ses conclusions dans une dépêche AEF en date du 29 septembre 2013 (2), des journalistes m’ont interrogé sur les raisons qui me poussent, en tant que Directeur général d’une Grande Ecole de Management, à poursuivre mes activités de recherche en stratégie. Comme cette démarche a manifestement interpelé mes interlocuteurs, je vous propose d’en partager les principaux échanges.
La recherche est-elle une activité compatible avec un agenda de directeur?
A partir du moment où la problématique est liée aux enjeux managériaux de l’institution que l’on dirige, elle rentre de facto dans les responsabilités de son directeur et peut devenir un élément de l’agenda. Ainsi, plutôt que de seulement échanger sur les dangers liés aux MOOC ou sur les opportunités d’une fusion, il nous semble plus pertinent d’avoir une approche analytique, telle qu’on peut l’avoir dans les recherches en management. L’approche par une démarche de recherche permet de formaliser l’analyse et de l’organiser.
Après, tout est une question de priorité. La grande difficulté réside bien évidemment dans le fait que la recherche exige des plages de lecture, d’analyse et d’écriture longues. On peut difficilement travailler sur une recherche entre deux rendez-vous.
Quelles sont les motivations de cette démarche?
Elles sont de trois ordres.
La première est celle d’avoir une approche méthodique de problématiques en prise direct avec les enjeux de nos business schools: quitte à s’interroger sur les MOOC ou sur les fusions entre écoles, autant le faire en exploitant au mieux les concepts et les méthodes développés par la recherche en management.
La deuxième a trait au besoin de prise de hauteur sur des sujets de fond. On dit trop souvent que les dirigeants, pris dans le quotidien, manquent de capacité de recul. Le processus de recherche (formalisation de la problématique, collecte et analyse des données, mise en perspective conceptuelle, etc.) impose cette prise de recul et de sortir de l’urgence managériale. Cela permet d’analyser plus sereinement les situations.
Enfin, la dernière motivation est relative à la recherche de légitimité du dirigeant. Dans une Grande Ecole de Management, le fait de faire de la recherche et d’en publier les résultats est un élément de légitimité fort vis-à-vis du corps professoral. C’est également un élément de crédibilité vis-à-vis des élèves, surtout lorsque ces publications font l’objet d’une vulgarisation dans la presse grand public via des tribunes de presse.
Y a-t-il un intérêt personnel?
Évidemment oui et il serait ridicule de le nier. Je place cet intérêt au moins à deux niveaux.
D’une part, je réalise la plupart de mes travaux de recherche seul ou au plus avec un collègue. De ce fait, la publication d’un article est l’expression d’un travail personnel dont je porte seul (ou à deux comme dans le cas présent) le résultat. C’est très différent du travail au quotidien de directeur général, dont les résultats dépendent quasi exclusivement du travail des autres. C’est pour moi un moyen de m’évaluer, à tout le moins sur la dimension académique. C’est parfois aussi un moyen de me rassurer.
D’autre part, nous sommes dans une communauté très spécifique, la communauté académique. Tout comme le directeur de la publication d’un journal reste souvent un journaliste, je reste avant tout un enseignant-chercheur. Et je suis très attaché à ce qui fait le cœur de notre métier: la recherche et l’enseignement. C’est donc en toute logique que je continue à enseigner et à mener une activité de recherche, même si elle est réduite.
Êtes vous seul à développer une telle pratique?
Non, d’autres collègues d’écoles françaises continuent leurs activités de recherches, même si nous sommes vraisemblablement une petite minorité. Ce qui est peut être plus singulier, c’est de prendre l’environnement des grandes écoles de management comme objet de recherche.
A l’échelle internationale, c’est très différent selon les pays, les modèles de business schools et les profils des Deans. Par exemple aux États-Unis, on peut trouver des Deans de business schools avec des profils de dirigeants d’entreprise et donc très loin de la recherche en management.
A contrario, on peut également trouver des Deans très engagés en recherche, tels que Nitin Nohria, qui était une référence internationale en recherche avant de prendre la direction de la Harvard Business School. Il continue d’ailleurs de publier régulièrement, que ce soit des ouvrages ou des articles dans des revues prestigieuses.
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(1) « Les MOOC, alliés ou concurrents des business schools? » Avec O. Léon. L’Expansion Management Review, juin 2013, n°149, pp. 14-24.
(2) « Les Moocs viennent conforter, plus que concurrencer, le business model des grandes écoles de management » , AEF, dépêche n°188048, 27 septembre 2013.