C’est le marronnier de la rentrée des Grandes Écoles et de certaines composantes universitaires. Tous les ans lors des mois de septembre et d’octobre revient la question des weekends d’intégration ou WEI (prononcez «Ouaille»).
Risque de bizutage, consommation plus ou moins importante d’alcool, voire d’autres substances moins licites, problèmes de sécurité inhérents à la présence de centaines de jeunes sur un même site… Autant de raisons qui incitent à la plus grande prudence quant à l’organisation de tels événements.
D’autant plus qu’en cas d’incident, la presse trouve là un sujet à sensation, avec toutes les conséquences pour l’institution concernée que peut avoir une telle couverture médiatique.
Dès lors, faut-il interdire ces événements festifs qui réunissent le temps d’un weekend des centaines d’étudiants d’une même institution? En tant que directeur général d’une Grande École de management, je suis amené depuis plusieurs année à me poser la question. Je suis arrivé à la conclusion qu’il valait mieux organiser le WEI, cela pour deux raisons et, bien évidemment, sous certaines conditions.
La première raison est une «mauvaise» raison. Je suis convaincu qu’il vaut mieux que l’institution organise le WEI et s’assure au mieux des conditions d’organisation et de sécurité plutôt que d’en décréter l’interdiction et pratiquer la politique de l’autruche.
Car soyons lucides, si l’institution interdit aux étudiants l’organisation d’un tel weekend, il y a fort à parier que cela aboutira à l’organisation d’un WEI sauvage, sans aucun contrôle et avec un niveau de risque d’autant plus élevé.
Et dans tous les cas de figure, le moindre incident retombera sur l’institution quand bien même elle a pratiqué l’interdiction. Alors assumons, plutôt que de pratiquer le «je ne vois, rien, je ne sais rien, je n’entends rien».
La seconde raison est plus positive. Elle consiste à considérer que, bien encadré, un WEI peut être une réelle opportunité de créer un véritable «esprit de promo» entre les étudiants d’une institution.
Un tel événement permet de réunir des étudiants issus de différentes conditions et de différents horizons – bachelor et master ; français et internationaux ; prépas et admissions parallèles – et ainsi de faire tomber les barrières.
Cela ne peut se faire toutefois que dans le respect de conditions très strictes.
La première d’entre elles est une organisation rigoureuse. Elle repose en premier lieu sur l’équipe d’organisation. C’est près d’une trentaine d’étudiants qui organise ainsi le WEI de mon institution.
Pour ces étudiants, il s’agit d’un véritable projet entrepreneurial consistant à emmener plus de 650 de leurs camarades dans le sud de la France le temps d’un weekend. Recherche de financement, organisation des transports, logements, restauration, animations ou encore gestion de la sécurité sont autant d’éléments que les étudiants doivent appréhender et prendre en compte dans la gestion du projet.
Ils découvrent également (parfois avec effarement) les questions de responsabilités civile et pénale inhérentes à l’organisation de tels événements. Il est important que l’école soit également au soutien des étudiants tout au long de la phase d’organisation, que ce soit pour rappeler des règles élémentaires issus des expériences antérieures (ne jamais oublier que pour les étudiants, l’organisation du WEI est toujours une première) ou pour aider à solutionner les difficultés.
La deuxième condition concerne les conditions de sécurité. Dans ce domaine, il est hors de question de lésiner sur les moyens. Le dispositif mis en place cette année était particulièrement imposant avec la présence sur site d’un coordinateur sécurité (ancien policier de haut niveau, salarié d’une société spécialisée en gestion de crise), d’une trentaine d’étudiants organisateurs formés et équipés, de la Protection civile (médecin, secouristes), de sept vigiles pour sécuriser le site et enfin de plusieurs maitres nageurs pour toutes les activités d’eau.
Une équipe de l’École est en alerte durant tout le weekend, prête à intervenir en cas de sollicitation du coordinateur sécurité. Le site est bien évidemment homologué pour accueillir les étudiants dans les conditions de sécurité requises et a fait l’objet d’une visite préalable. Même le départ à Dijon fait l’objet d’une attention particulière, avec la présence de cadres de l’École et des forces de police afin d’éviter au maximum les nuisances, en particulier sonores, pour le voisinage.
La troisième condition concerne la gestion de l’alcool. Soyons lucides, nous sommes dans une société dans laquelle la consommation d’alcool est de plus en précoce et brutale (binge drinking) et cela se passe souvent bien avant l’entrée dans le supérieur. Là encore, le «remède» consistant à proscrire l’alcool est probablement pire que le mal.
Plutôt que l’interdiction, l’objectif est de maîtriser la consommation et les risques. Seuls les organisateurs peuvent amener de l’alcool sur le site. Les volumes sont préalablement définis avec l’équipe d’organisation et la consommation est régulée au moyen de système de bracelets. Mais le meilleur moyen de faire en sorte que la consommation d’alcool reste dans le domaine du raisonnable reste d’organiser suffisamment d’événements (en particulier sportifs) sur le site afin d’occuper les étudiants.
La maîtrise des risques inhérents à l’alcool implique également une sensibilisation forte. Cela passe par des conférences préalables organisées en partenariat avec les forces de police sur les questions liées aux addictions.
Cela passe également par un message très clair aux étudiants : «vous êtes des adultes, et de ce fait responsables de vos actes. Vous pouvez consommer de l’alcool (ce n’est pas illégal) mais restez dans les limites du raisonnable. Si vous dépassez les limites, vous devrez en assumer les conséquences. Vous êtes majeurs et informés que la consommation d’alcool est une circonstance aggravante devant la justice (et non pas une circonstance atténuante comme on le pense trop souvent)».
La quatrième condition concerne le rejet absolu de toute forme de bizutage. Des amphis de sensibilisation avec les étudiants (six amphis dédiés au WEI, réalisés conjointement par le Directeur du programme, la Responsable de département en charge du lien avec les associations étudiantes et moi-même) permettent de faire passer des messages très clairs en ce sens :
– le bizutage est interdit par la loi. Ce sont des pratiques dégradantes qui n’ont rien à faire dans une Grande École de management dont les enseignements visent, entre autres, à transmettre un certain nombre de valeurs de respect, d’ouverture ou encore de responsabilité.
– Le bizutage est proscrit par l’École. Tout acte de bizutage se traduira par la sanction disciplinaire maximale (exclusion définitive) et le signalement des faits au Procureur de la République.
– Pas d’omerta! Si des faits de bizutage sont avérés, l’École ne couvrira pas (afin de préserver son image) mais dénoncera les faits et en assumera pleinement les conséquences tant juridiques que médiatiques.
Il faut souligner que l’équipe d’organisation est particulièrement consciente des risques pénaux et disciplinaires inhérents au bizutage. Outre ces amphis d’information, tous les étudiants participant au WEI ont signé une charte qui les engage.
La préparation d’un WEI implique donc des relations étroites entre les étudiants organisateurs et l’administration de l’École, des actions de sensibilisation fortes, une définition claire des règles et, le cas échéant, des sanctions inhérentes à leur non respect. Elle passe aussi par une collaboration forte avec les forces de police en matière de prévention et dans ce domaine, je dois souligner que nous travaillons en très bonne intelligence avec la Police Nationale sur Dijon.
Cette année encore le WEI de mon École s’est très bien déroulé, dans un esprit festif et bon enfant. Les étudiants ont passé un excellent moment et aucun incident n’est à déplorer.
En attendant de remettre cela en 2015, un seul souhait: que les Grandes Écoles de management, les Grandes Écoles d’Ingénieurs et les Universités (ou leurs composantes concernées) se mettent autour de la table pour partager leurs points de vue sur les WEI et, le cas échéant, acceptent de partager en toute transparence leurs difficultés, expériences et bonnes pratiques.
Le débat est lancé. À bon entendeur…
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Nota : tous mes remerciements à Alexandrine Bornier (Responsable du Département DAP), Christian Jouberton (Coordinateur sécurité), au Commandant Christophe Pauget, au Brigadier Jérôme Roger et aux équipes de la Police Nationale, à Alex Mathieu (Président du BDE) et à tous les élèves organisateurs du WEI 2014.
Bonjour Monsieur,
Vous avez tout à fait raison! Je vois que votre vision n’a pas changé depuis mon WEI (2011) et je trouve cela très bien. Etant actuellement aux UAE, pays ou les interdits sont la norme, cela en devient ennuyant surtout lorsque l’on est jeune! Gardons un peu de folie..
Un ambassadeur de l’ESC à Dubaï.
Article plein de sagesse qui permet de comprendre un peu mieux les tenants et les aboutissants d’un évènement charnière dans l’existence d’une grande École de Management.
Monsieur Bourcieu, je suis totalement en accord avec votre article. Je vois que beaucoup de choses ont changé en 10 ans car lors de l’organisation des WEI les années précédentes, le BDE et la Fédération des Etudiants étaients seuls pour organiser ce gros événement qui peut atteindre un budget de 80 000€ à 100 000€ et un peu plus de 480 participants.
Comme c’est vous qui prenait la décision de conserver l’organisation du WEI, est-ce que l’administration contribue financièrement à l’organisation du WEI notamment pour payer les agents de sécurité, la protection civile, … car à l’époque c’était les étudiants qui prenaient en charge ce financement ?
Un ancien organisateur de WEI de l’ESC Dijon