En 2006, plusieurs Grandes Écoles de management bénéficiaient déjà d’une personnalité juridique et d’une autonomie en ayant adopté le statut d’association Loi 1901. Certaines Écoles avaient été fondées sous ce statut (EDHEC, ESSEC, ESC Rennes, etc.) tandis que d’autres l’avaient adopté dans les années 70 ou 80, à l’image de l’EM Lyon ou d’Audencia Nantes.
Cette dernière école était alors souvent citée en exemple de gouvernance autonome par rapport à sa Chambre de Commerce; cette autonomie étant considérée, à juste titre, comme l’un des facteurs explicatifs de sa forte progression au cours des décennies 90 et 2000. Mais pour la majorité des établissements (HEC, ESCP-EAP, Grenoble EM, ESC Toulouse, ESC Reims, ESC Rouen, Bordeaux EM, ESC Dijon, EM Normandie, ESC Clermont, ESC Pau, ESC Troyes, ESC Amiens, ESC Brest, etc.), le modèle de gouvernance restait celui d’un établissement rattaché à la CCI de son territoire.
Au cours de la décennie écoulée, les modèles de gouvernance ont profondément évolué. Les facteurs explicatifs de cette évolution sont liés à ce que l’on peut appeler un effet ciseau. D’un côté, les réformes successives menées par l’État ont considérablement réduit les moyens financiers (réforme de la TATP, diminution de la TFC, ponctions sur les fonds de roulement) et donc les marges de manœuvre des Chambres de Commerce.
De l’autre, les Grandes Écoles de management ont connu une forte croissance de leurs activités et ont souvent un budget plus élevé que leurs CCI de rattachement. Les CCI ayant de plus en plus de mal à soutenir financièrement leurs écoles, elles leur ont progressivement attribué une autonomie supplémentaire afin de favoriser leur développement propre.
Ce mouvement a conduit de nombreuses Écoles consulaires à passer au statut d’association Loi 1901 durant la décennie écoulée: EM Normandie (2007), Rouen Business School (2008), Reims Management School (2011), ESC Troyes (2011), Montpellier Business School (2013), ESC Dijon (2013), etc.
Face aux limites de ce statut associatif, le législateur, fortement inspiré par la CCIP, a élaboré un nouveau statut mieux adapté aux contraintes nouvelles des établissements d’enseignement supérieur issus du monde consulaire. Portée par Thierry Mandon (alors Secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification), la loi du 20 décembre 2014 permet la création de sociétés anonymes d’un type particulier: les EESC (Établissements d’Enseignement Supérieur Consulaires). L’EESC est une société anonyme, régie par le droit des sociétés. Il comporte néanmoins des dispositions spécifiques :
- la non lucrativité de ses activités,
- l’impossibilité de distribuer des dividendes (les profits doivent être réinvestis dans la structure, à l’image d’une association Loi 1901),
- la possibilité pour les CCI de créer un EESC et de lui apporter, sans droits, ni taxes ni impôts, leurs actifs mobiliers et immobiliers. L’avantage est bien évidemment fiscal (un transfert du patrimoine immobilier d’une CCI vers une association aurait eu un coût fiscal insupportable) mais il est également patrimonial: alors qu’une cession d’actifs à une association se serait traduite pour une CCI par un abandon de ses actifs, il n’en est rien dans le schéma de l’EESC; dans ce schéma, la CCI transfère un actif immobilier mais elle reçoit en échange des titres,
- la possibilité d’ouvrir le capital à des actionnaires extérieurs au monde consulaire,
- un schéma de gouvernance qui garantit la majorité des droits de vote pour le monde consulaire (et l’absence de minorité de blocage).
Ce nouveau statut devrait permettre aux Grandes Écoles de management françaises de disposer enfin de l’autonomie et des moyens financiers nécessaires à leur développement. En 2016, quatre écoles consulaires ont adopté ce nouveau statut : HEC (avec transfert du patrimoine immobilier), Grenoble EM (sans transfert), Toulouse Business School (sans transfert) et l’ESC Dijon (avec transfert). D’autres écoles sont désormais dans une phase de réflexion avancée.
Le cas de l’ESC Dijon
En matière d’évolution de la gouvernance, le cas de l’ESC Dijon est emblématique des mutations de la décennie écoulée. En quatre étapes, l’École que je dirige est passée d’un établissement consulaire à une véritable « société à objet éducatif ». Cette mutation a non seulement impacté son statut juridique, mais également son organisation, son management et sa vision de l’avenir.
Étape 1. L’établissement consulaire. En 2006, l’ESC Dijon était un établissement de la CCI Dijon, sans personnalité juridique. Le Directeur de l’École reportait au Directeur général de la CCI. Son horizon de gestion se situait entre le mois (les signatures ou non du trésorier de la CCI sur les engagements) et l’année (la validation du budget par le bureau et l’AG de la CCI). En dehors des opérations immobilières, le niveau des investissements était bas et focalisé sur les investissements courants (informatique, entretien). Si l’École n’avait qu’une autonomie très limitée, en revanche, elle bénéficiait d’un très fort soutien financier de sa CCI: celle-ci contribuait en effet à près de 17% du budget de fonctionnement. Elle bénéficiait également d’un soutien financier important des 3 collectivités territoriales (Grand Dijon, Conseil général de Côte d’Or, Conseil régional de Bourgogne).
Étape 2. Le processus d’autonomisation de fait. Soucieux de stabiliser la direction de l’École et d’asseoir son développement, le Président de la CCI de l’époque a initié en 2006 un mouvement consistant:
- d’une part, à autonomiser la gouvernance de l’école, avec la création d’un conseil de gouvernance (présidé par une personnalité extérieure à la CCI) et une plus grande marge de manœuvre laissée au Directeur général de l’École,
- d’autre part, à réduire en parallèle sa dépendance aux financements consulaires, avec une baisse programmée des financements des CCI.
Étape 3. L’autonomisation de droit. En 2012, le soutien consulaire étant passé sous les 10% du budget de l’École, le Président de la CCI a décidé de donner son autonomie juridique à l’École. Une association Loi 1901 (AGESC) est créée, dans laquelle on retrouve le monde consulaire, les collectivités territoriales, le monde économique, le monde académique et les parties prenantes de l’École (salariés, élèves et diplômés). L’AGESC est présidée par un dirigeant d’entreprise, diplômé de l’École.
Étape 4. La constitution d’une société. En 2016, l’amélioration continue des résultats de l’École et ses ambitions de développement ont conduit le Président de la CCI et le Président de l’AGESC à franchir un cap décisif avec la transformation de l’École en EESC (Établissement d’Enseignement Supérieur Consulaire). Cette Société Anonyme « à objet éducatif » permet à l’École d’accroitre considérablement son autonomie et ses capacités financières. Elle devient en effet propriétaire de son patrimoine (en particulier immobilier) et peut accueillir des investisseurs extérieurs. La société a été créée par la CCI Côte d’Or et l’AGESC au 1er juillet 2016. Une augmentation de capital est d’ores et déjà programmée pour accueillir des dirigeants d’entreprises du territoire et des banques.
Ainsi, pour la première fois dans son histoire, l’ESC Dijon dispose :
- d’une autonomie juridique et décisionnelle forte,
- d’une structure financière solide,
- d’un patrimoine immobilier propre,
- d’une capacité d’investissement significative qui va lui permettre en 2016-2017 (1) d’investir dans la rénovation et l’extension du campus Dijon-Sambin, (2) de créer son incubateur en investissant sur un nouveau campus Dijon-Fleury et (3) d’envisager de nouveaux investissements dans les années à venir pour assurer la transformation numérique de l’École et son internationalisation.
Charge à nous de transformer ces atouts en opportunités.
Dans mon prochain post de cette série de chroniques « 10 ans d’École, 10 ans déjà! », j’aborderai la question de l’identité et de la marque.
Je comprends les écoles consulaires qui ont fait ce choix. Mais, je suis étonné que personne ne remarque que confier la majorité des parts d’une EESC à une CCI, c’est en renforcer son inféodation. Qui peut croire que c’est une garantie d’autonomie alors que les CCI sont remises en question, leurs finances sont en difficulté et ponctionnées régulièrement par l’Etat, et que leur potentat sur la taxe d’apprentissage est terminé. Quel partenaire privé voudra investir dans une structure qui ne verse pas de dividendes ? Qui voudra prêter à une structure piloter par une institution dont l’avenir est compromis.
Les CCI voient là l’intérêt de valoriser leurs actifs et de s’approprier les locaux bien souvent payés par la collectivité et les institutions locales et régionales. Ce statut d’EESC, c’est se recroqueviller sur son territoire alors qu’il s’agit de s’ouvrir à l’international.
Merci Thomas, je me demandais qui allait finalement soulever ces points.
Je me pose la question des salariés consulaires qui vont être contraints ou non de rejoindre ces structures alors que les CCI se posent les questions de l’allègement de leur charge de personnel.
@Thomas. Merci de votre message et de vos commentaires qui appellent réflexion et discussion. Rendez-vous donc mardi prochain pour un post qui, je l’espère, apportera des éléments de réponses à vos interrogations.
@Duvallier. Merci de cette question.
La loi qui instaure les EESC prévoit le transfert automatique de l’ensemble des conventions, contrats etc de l’établissement d’origine vers l’EESC à la date de sa création.
Cette disposition peut toutefois souffrir d’une exception, celle des contrats de travail. En effet, l’EESC étant une structure de droit privé, la question du statut des salariés peut être posée.
Cette question ne se pose pas quand l’Ecole passe du statut d’association Loi 1901 au statut d’EESC. Comme c’est un passage d’une structure relevant du droit du travail (Association Loi 1901) à une autre structure relevant du droit du travail (EESC), le transfert des contrats de travail est automatique, avec la même convention collective et les éléments contractuels. C’est le cas de notre Ecole qui était une association Loi 1901 depuis 2013. Tous les salariés étant en contrat de droit privé, ils passent de l’association à l’EESC automatiquement, sans que cela ait la moindre incidence sur leur convention collective ou leurs contrats.
Cette question se pose en revanche quand l’Ecole passe du statut consulaire (contrat de travail relevant du droit public) au statut d’EESC (contrat de travail relevant du droit privé – droit du travail).
Ce passage peut se faire selon des modalités qui relèvent de la négociation, donc c’est du cas par cas. Je crois savoir que certaines écoles ont donné une période de 15 ans à leurs salariés ; période pendant laquelle ils peuvent basculer en contrat de droit privé ou rester en contrat consulaire, rattachés à la CCI. Ce n’est qu’au terme de cette période que ceux qui n’ont pas fait de choix devront choisir, soit de devenir salariés de leur Ecole (et donc en contrat de droit privé), soit de réintégrer leur CCI (et donc en contrat consulaire).
Le seul exemple concret (et précis) que je puisse donner c’est celui de l’Ecole que je dirige. Quand nous sommes passés au statut associatif en janvier 2013, nous avons donné un maximum de 3 ans aux salariés pour changer d’employeur en passant de la CCI (statut consulaire) à l’association (statut de droit privé). Il y avait une incitation (non financière) à changer de statut avant la création de l’association, ce qui a été le cas de près de 95% des salariés. Aujourd’hui, tous les salariés de l’Ecole sont passés au statut de droit privé. Et cela s’est fait sans suppression de poste : c’est même l’inverse puisqu’entre 2012 et 2016, l’Ecole a créé une trentaine d’emplois net.
Merci de votre réponse sauf que les CCI vont être autoriséee aux licenciements économiques et vont demander aux consulaires de passer sous contrat EESC. Cela ne mettra pas 15 ans.
La CCI de Paris a commencé les licenciemements et la plupat des CCI ont déjà négocié beaucoup de départ.
@Duvallier. Je suis d’accord avec vous et ne dis pas le contraire dans mon post. De nombreuses CCI ont d’ailleurs déjà supprimé des postes, soit en licenciant soit en ne renouvelant pas des contrats, soit par des départs volontaires (équivalent à une rupture conventionnelle en droit du travail) et cela depuis 3 à 4 ans maintenant. Pour autant, les suppressions de postes concernent les CCI beaucoup plus que les écoles (en dehors de la CCIP). Dans la majorité des écoles, l’évolution positive de l’activité (qui ne dépend plus ou pratiquement plus des subventions publiques ou consulaires) fait que ces écoles créent des postes, contrairement aux CCI.
Concernant les 15 ans, c’est l’accord qui a été passé à HEC. Je ne sais pas pour les autres institutions (comme je le disais à Dijon en 2013, l’accord était sur 3 ans).
[…] 10 ans d’École, 10 ans déjà ». J’ai en fait souhaité réagir au message de Thomas suite à mon post de la semaine dernière sur la Gouvernance des grandes Écoles de management. Pour Thomas, « confier la majorité des parts d’une EESC à une CCI, c’est en renforcer son […]
Merci pour ce propos clair et sincère.
Je ne partage pas votre point de vue mais je le comprends
Confier sa destinée à un actionnaire majoritaire dont on ne connait pas la pérenite ne me parait pas raisonnable.
Les CCi vont continuer d’être les enfants malades des institutions régionales et il n’est pas raisonnable de leur faire gouverner des structures d’éducation qui oeuvrent pour les 50 ans à venir.
Mais bonne chance néanmoins.
Comme disait @duvallier, et parce que vous avez crée 30 emplois alors que vous étiez indépendants, cela risque d’être plus compliqué dorénavant alors que la CCI va chercher à rationaliser ses collaborateurs.
[…] ont également émergé avec l’évolution de la gouvernance (voir mon post sur ce sujet : « 10 ans d’Ecole, 10 ans déjà ! La gouvernance des Grandes Ecoles de management »). Il y a dix ans les principaux interlocuteurs en matière de gouvernance étaient le Directeur […]