EESC: Alors, autonomie ou pas pour les Ecoles de management?

cci_batCe post n’était pas prévu dans la série « 10 ans d’École, 10 ans déjà ». J’ai en fait souhaité réagir au message de Thomas suite à mon post de la semaine dernière sur la Gouvernance des grandes Écoles de management. Pour Thomas, « confier la majorité des parts d’une EESC à une CCI, c’est en renforcer son inféodation ».

Tout d’abord un grand merci à Thomas pour lancer ce débat car c’est vrai que rien n’est acquis et que les EESC sont en train d’écrire leur histoire, avec plus ou moins d’autonomie.

Je n’ai évidemment pas LA réponse, mais des pistes sur lesquelles nous avons réfléchi, pour notre École et plus largement sur notre environnement. Je peux comprendre l’analyse de Thomas, car il est vrai que la loi sur les EESC prévoit que les CCI restent nécessairement majoritaires au capital et que ces sociétés ne peuvent pas distribuer de dividendes, ce qui limite a priori l’intérêt pour des actionnaires extérieurs.

Toutefois, je ne partage pas tout à fait son avis, en particulier sur la relation féodale entre une École et une CCI.

Cette relation est historiquement très forte dans le cadre d’un établissement géré (c’est-à-dire consulaire). En effet, lorsqu’une École est directement rattachée à une CCI, elle ne possède pas de personnalité juridique, ses services supports clés (RH, finance) sont largement dépendantes de la CCI et le lien de subordination du directeur d’École se fait vis-à-vis du Directeur Général de la CCI. Les choses sont très claires : l’École dépend alors totalement de sa CCI et son « autonomie » est plus ou moins forte, en fonction de la volonté (ou non) de la CCI.

Dans le cadre d’un EESC, l’autonomie est de facto plus forte. L’École a en effet une personnalité juridique. Son directeur est dirigeant (salarié certes, mais dirigeant), ce qui implique des responsabilités et des niveaux de délégation plus importants au plan juridique. La CCI se retrouve dans une relation d’actionnariat et non plus dans une relation hiérarchique.

Ensuite, l’autonomie sera plus ou moins forte en fonction (1) de la structuration de la gouvernance (2) de la composition de l’actionnariat et (3) de la décision ou non de transfert du patrimoine.

La structuration de la gouvernance

Si les CCI doivent garder (pour l’instant) la majorité au capital, cela n’empêche pas de construire une gouvernance équilibrée. Cela se joue au départ, lors de la constitution de la société. Ce n’est déjà pas la même chose d’avoir un DG, un Président et Conseil d’administration ou un Directoire et un Conseil de surveillance (ce que permet la loi).

A Dijon, notre gouvernance a choisi un modèle en Directoire et Conseil de surveillance qui laisse une plus grande latitude opérationnelle. C’est le Directoire qui pilote l’École, avec les délégations juridiques et financières correspondantes. Le rôle du Conseil de surveillance est d’assurer un contrôle, mais pas de gérer l’École.

Cela tient également à la composition du Conseil (d’administration ou de surveillance). Il faut des administrateurs indépendants ayant une capacité à porter l’École et, le cas échéant, à faire contrepoids au pouvoir de la CCI si cela devait s’avérer nécessaire. Cela implique de mobiliser des dirigeants d’entreprises emblématiques et aptes à peser sur les décisions. L’idéal à mon sens est que ces dirigeants soient actionnaires (même minoritaires car leur voix portera).

Enfin, il me semble indispensable que le Président du Conseil (d’administration ou de surveillance) soit une personnalité incontestable et indépendante du monde consulaire.

Il sera donc intéressant de suivre la construction juridique des EESC à venir dans les écoles et la composition de leur CA ou CS pour mesurer le degré réel d’autonomie de ces structures. Il est clair que si le CA d’un EESC est largement composé d’élus consulaires et que le Président de l’EESC est lui-même un élu consulaire, alors je rejoins Thomas, l’autonomie ne sera que de façade.

A suivre donc École par École.

La composition de l’actionnariat144642-esc-dijon-escalier-arnaud-dauphin-580x310

Elle est importante, au regard de ce que j’ai indiqué juste avant. Qui peut avoir intérêt à investir dans un EESC et pourquoi ?

Je passe sur les collectivités locales (le texte prévoit leur intégration, mais ce n’est pas le sujet du jour) pour me concentrer sur les investisseurs privés. Certes, ces investisseurs ne peuvent pas toucher de dividendes (c’est la contrepartie du statut de non-lucrativité dont bénéficient les EESC). Mais rien n’empêche dans la loi une valorisation à la sortie comme cela se pratique souvent dans des logiques de type Business Angels.

Si l’École se développe, progresse, attire plus d’étudiants… sa valeur comptable va s’accroitre. L’investisseur sortant pourra alors valoriser son investissement et réaliser une plus-value (à condition évidemment de trouver un acheteur… mais c’est plus facile pour une société en croissance). L’intérêt financier existe donc.

Certains acteurs économiques (dirigeants du territoire, banques régionales) peuvent également avoir un intérêt au développement sur le territoire d’une École. Au-delà de l’intérêt financier (qui existe dans tous les cas), certains acteurs ont intérêt à voir l’École se développer car elle contribue au développement et au rayonnement du territoire que lequel ils opèrent.

Enfin, l’attachement de certains diplômés chefs d’entreprises peut les amener à investir. Nous ne sommes évidemment pas aux États-Unis où certains diplômés sont prêts à payer des dizaines de millions de dollars pour que l’École porte leur nom. Mais il n’en demeure pas moins que cela est possible (nous sommes en train de l’expérimenter positivement pour notre École).

La question du patrimoine

A ce sujet, Thomas indique que «Les CCI voient là l’intérêt de valoriser leurs actifs et de s’approprier les locaux bien souvent payés par la collectivité et les institutions locales et régionales». Précisons que le patrimoine immobilier est déjà la propriété des CCI dans la plupart des cas et qu’il est valorisé dans leur bilan (que ce patrimoine ait été réalisé ou non avec des subventions des collectivités).

Pour les CCI, le transfert du patrimoine à un EESC est donc un risque. Certes une CCI qui transfère son patrimoine immobilier à un EESC reçoit en échange des actions pour une valeur équivalente à la constitution du capital. Mais elle prend le risque de voir son actif papier (ses actions) se déprécier en cas de mauvais résultats de l’École, alors même que la dépréciation immobilière serait moins forte.

Risque d’autant plus important que, si tel est le cas, elle devra inscrire cette dépréciation d’actifs dans ses comptes.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que certaines Écoles qui sont passées récemment en EESC n’ont pas bénéficié du transfert du patrimoine (sauf erreur de ma part, Toulouse Business School et Grenoble EM sont passés en EESC sans transfert du patrimoine immobilier). Cela fait écho à la question de l’autonomie évoquée ci-dessus: un bon critère de la volonté d’une CCI de donner de l’autonomie à une École est la décision de transférer le patrimoine.

Pour ma part, je pense que l’un des intérêts réels de passer en EESC est justement de bénéficier du patrimoine, ce qui permet de démultiplier les capacités financières d’une École. Ce patrimoine vient en effet consolider les fonds propres et permet d’engager des actions financières jusqu’alors impensables pour les Écoles, tant consulaires que sous statut associatif.

Voilà quelques éléments de réponse, de mon point de vue, sur l’intérêt ou non du passage au statut d’EESC. Cet intérêt est donc contingent à la volonté des acteurs en place et je pense que nous allons trouver toutes les situations: des Écoles resteront très étroitement liées à leurs CCI tandis que d’autres prendront leur autonomie, voire leur indépendance.

L’avenir nous le dira.

Dans mon prochain post, nous reprendrons donc le fil de la série de chroniques « 10 ans d’École, 10 ans déjà! », et j’aborderai la question de l’identité et de la marque.

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Article du on mardi, octobre 4th, 2016 at 8:29 dans la rubrique Business Schools, Enseignement Supérieur, Gouvernance. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

3 commentaires “EESC: Alors, autonomie ou pas pour les Ecoles de management?”

  1. etudiants.blogs.nouvelobs.com dit:

    le principal impact sont les frais de scolarité qui ont explosés

  2. thomas dit:

    Et cela ne va pas s’arranger. Les CCI sont financierement en diffciulté. Peu probable qu’elles vont pouvoir supporter les déficits éventuels d’autant que ce nouveau statut va écarter les Instituttions régionales et métropolitaires. Les frais de scolarité vont effectivement exploser. Ce sera pire si on devait leur affecter en plus la TVA.

  3. Philippe BAU dit:

    Bonjour
    a votre avis, est-ce que l’ensemble des actifs immatériels doit être transféré à l’établissement ? pourquoi oui, pourquoi non
    bien cordialement
    Philippe BAU

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