Université, Cité & Créativité

Sir Georges Cox, ingénieur et Président du British Design Council, rendait il y a quelques années un rapport à Gordon Brown sur l’importance de la créativité dans l’économie anglaise, Review of Creativity in Business, www.designcouncil.org.uk/publications/the-cox-review/.

Rappelant le succès des industries créatives comme secteur d’activité, le développement rapide de leur chiffre d’affaires, il soulignait toutefois leur impact limité sur les autres industries britanniques. Les designers, artistes, architectes, talents multiples au fondement de cette économie de la créativité, se nourrissent, en effet, d’un nomadisme continu. Cette « migration » permanente accroît leur rayonnement personnel. Ils se nourrissent de la réalisation de projets ambitieux à travers le monde « abandonnant » leur territoire.

Comment  assurer une forme de « reterritorialisation » ? Comment assurer aux territoires une capacité d’absorption minimale de cette économie d’archipels décrite par Pierre Veltz www.scienceshumaines.com/une-economie-d-archipel-entretien-avec-pierre-veltz_fr_14286.html, fondée sur le mouvement et les réseaux mondiaux ?

S’il est illusoire de tenter de retenir ces talents dans des lieux particuliers, les territoires peuvent s’organiser en point de passage obligé.

Ainsi, apparaissent à travers le monde des politiques régionales originales, souvent associées aux idées de Florida ou Landry, de métropoles créatives, poussant à la création de hotspots créatifs ou innovative hotspots décrits par John Kao dans Harvard Business Review hbr.org/hbr-main/resources/pdfs/comm/fmglobal/tapping-worlds-innovation-hotspots.pdf

Pour Georges Cox, l’université joue un rôle majeur dans ce rapport au talent nomade et à sa captation par le territoire. Elle est l’interface idéale pour réconcilier un monde en circulation et la nécessité d’une territorialisation qui ne rime pas avec « provincialisation ».

Trois évènements récents témoignent des attentes du territoire vis-à-vis de son milieu académique.

Fin octobre, Montréal tenait son Innovation Summit sur les quartiers créatifs www.smi-msi.com/. Co-organisé par l’Université McGill et ETS, ce forum accompagne le déploiement du Quartier Créatif (QI) de Montréal, une zone encore partiellement en friches au cœur de la cité, activée par une collaboration académique, favorisant l’innovation technologique, l’entrepreneuriat et intégrant une démarche urbanistique. Ce sommet a réuni des acteurs venus du monde entier qui, tous à leur manière, associent initiatives académiques, transformation et territorialisation des compétences académiques à l’échelle de quartiers et mutations urbaines. New York City offre deux îles à des consortia d’universités internationales pour s’ouvrir aux sciences et aux technologies. MaRS Discovery District www.marsdd.com/ au cœur de Toronto, la construction d’un nouvel hôpital, trois universités rencontrent le centre financier d’une large métropole, en France avec GIANT Grenoble et l’écosystème d’innovation organisé autour de l’Université Technologique de Compiègne. Partout les universités deviennent des acteurs incontournables du développement territorial.

Pour la Belgique, nous présentions un projet ambitieux qui se révélait quelques jours plus tard durant la « Semaine de la Créativité » sous l’égide du programme Creative Wallonia www.creativewallonia.be/projets/creative-society/sdlc-2012-la-semaine-de-la-creativite-2012.htm. Ce dernier, d’initiative publique, s’inspire des meilleures pratiques internationales et en appelle à l’enseignement supérieur pour accélérer la mutation d’une région qui sort d’une longue reconversion industrielle. Un de ces trois axes d’action prioritaires consiste à encourager l’offre éducative à destination des futurs acteurs économiques centrée sur la créativité et l’innovation. Cette mesure entend soutenir le développement de programmes d’apprentissage créatif s’appuyant sur trois leviers : une approche transdisciplinaire, une dimension internationale et une exigence pédagogique orientée vers le résultat et aspirant à rejoindre les plus hauts standards internationaux. Cet appel d’offres concerne les académies universitaires, notamment celles dédiées à la gestion, ainsi qu’à l’enseignement artistique et du design, mais aussi, potentiellement, des structures non formelles centrées sur la créativité et son apprentissage, tels les théâtres, les ateliers de design ou encore certaines organisations non gouvernementales. Durant cette semaine, le lien entre ville, université et création, a été discuté avec de nombreux invités comme Tom Kelley, CEO d’IDEO, Manuel Castells de l’Université de Berkeley ou encore Laurent Simon, cofondateur de MosaiC à HEC Montréal.

Enfin, le 30 novembre se tiendra à Nancy, avec l’Université de Lorraine, le « Forum des Savoirs » pour l’inauguration du Campus ARTEM, carrefour de l’Art, des technologies et du management à l’instar de Aalto University Helsinki, fusion de Helsinki School of Economics, Institute of Technology et School of Arts and Design, véritable université de l’innovation et moteur d’un vaste écosystème d’innovation dans la grande région d’Helsinki. Le thème de cet événement ? « La formation joue un rôle capital en ce moment charnière. Universités ou grandes écoles, l’enseignement supérieur se doit de s’adapter et de prendre en compte les mutations de notre société. Ce que nos jeunes apprennent aujourd’hui, façonne la société de demain». www.liberation.fr/evenements-libe/2012/11/14/forum-des-savoirs-la-connaissance-dans-tous-ses-debats_860121. Ici encore, 10 hectares ont été affectés en plein centre-ville à un campus urbain pour repenser et refaçonner simultanément université et espace urbain.

Que partagent toutes ces expériences croisant universités et cité dont l’apparition aux quatre coins du globe est frappante ?

Une ambition régionale dans le contexte d’une compétition intense entre les territoires ;

Une volonté d’attirer les talents mondiaux et de leur offrir un lieu mêlant excellence et un environnement de travail exceptionnel ainsi qu’un urbanisme riche de convivialité … et donc propice aux rencontres recréant l’épaisseur des liens sociaux qui retardent les « migrations » de ces talents nomades ;

C’est aussi le lieu, au sens de carrefour, des possibles, des rencontres improbables, de toutes les formes de transversalité quand la science réapprend à se frotter à la culture, à la création, à la réalité quotidienne et où les entrepreneurs trouvent leur nécessaire capital de confiance, de compétences et de financement.

Le territoire, comme un théâtre, établit, au moins provisoirement mais suffisamment longtemps, l’unité de lieu, de temps et d’action, redonne tout son sens à l’académie et à la cité et ainsi les réconcilie pour façonner notre futur.

Commentaires (2)

  1. magalie

    Très joli billet.

  2. Thomas Froehlicher (Auteur de l'article)

    Merci

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