Un Business Model « communautaire » pour nos Business Schools

Beaucoup d’industries et de secteurs s’emploient à repenser leur modèle de financement. Dans un environnement en mutation accélérée, ces évolutions sont tirées par de nouveaux entrants innovants et par les nouvelles configurations de la chaîne de valeur du domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche (nouvelles technologies, nouvelles modalités d’accès aux enseignements, nouveaux contenus, nouvelles relations entre acteurs et partenaires, nouveaux enjeux et défis à « adresser » en recherche fondamentale et appliquée, plus complexes, transversaux, interdisciplinaires, …). L’enseignement supérieur et la recherche, secteur qui impacte transversalement tous les secteurs d’activités de la Société, doit ainsi réviser ses modes de financement de manière globale.

On peut déplorer un moindre financement public et de mauvaises perspectives du fait de finances publiques nationales sous tension en ces temps d’austérité. Il serait cependant illusoire de ne pas accepter l’inéluctable « effet de ciseaux » provoqué par une difficulté croissante à financer de manière stable l’enseignement supérieur et la recherche d’un côté, et, de l’autre, les ressources considérables nécessaires à l’excellence internationale.

Les business schools constituent ici une bonne étude de cas.

Dans ce secteur, il est de bon ton d’évoquer le besoin de « masse critique » allant de pair avec une augmentation des masses budgétaires des Ecoles. En France, la « barre minimale » qui qualifie les Ecoles se déplace progressivement vers 40-50 millions d’euros (du moins pour des Ecoles non adossées à des établissements universitaires plus larges supportant des équipements pour le compte de nombreuses composantes, grands auditoriums, bibliothèques, réseaux informatiques, équipements sportifs, …). Ces montants sont certainement à rapprocher du nombre d’étudiants formés pour en relativiser l’importance. Augmenter son budget en intégrant plus d’étudiants a-t-il du sens, de ce point de vue, si l’Ecole supporte un besoin d’encadrement proportionnel, et, de là, engendre une charge supplémentaire pour le corps professoral ?

L’essentiel est probablement ailleurs, dans la nature, la qualité, la solidité à long terme des flux financiers.

Considérons emplois et ressources et le business model au plan financier de nos business schools.

Quels sont les enjeux pour la partie « emplois » ?

L’excellence d’un corps professoral, core faculty, qui représente facilement 80% des budgets.

Les équipes professorales ont besoin de stabilité pour s’épanouir dans leurs enseignements, leurs recherches, leurs publications ou dans les projets portés. On peut le « variabiliser » mais de manière très limitée …

La reconnaissance et le rayonnement internationaux de l’institution, son branding.

Les Ecoles déploient des ressources considérables pour que leur identité soit connue et reconnue au plan international. Cette reconnaissance passe par le développement d’équipes incluant des compétences pointues comme le community management, la production de supports interactifs, le déploiement de plateformes, par exemple, LMS (Learning Management System) ou CRM (Customer Relationship Management) sophistiquées et des investissements dans différents médias et modes de présence à travers le monde.

La qualité des relations maintenue avec son environnement et ses partenaires clés.

Une Ecole est avant tout une communauté et un écosystème complexe. Elle se construit, s’enrichit par la qualité, l’intensité des relations qui s’y nouent. Relations avec les étudiants, les alumni, les territoires, les donateurs, les partenaires économiques et les universités étrangères. Cette dynamique relationnelle mobilise à son tour des équipes dédiées et une part importante du temps des équipes professorales de l’institution.

L’excellence se joue donc dans une économie de coûts fixes.

Dans certaines industries, on chercherait à augmenter sa performance en trouvant le bon diviseur de coûts fixes au niveau de la demande. Ici, une business school pourra certes doubler le nombre de ses étudiants ou tripler le coût des études financées par ces derniers. La première option questionne la qualité de délivrance des enseignements (maintenir le taux d’encadrement des étudiants). La seconde option est efficiente dans la limite de ce qu’une personne (ou sa famille) peut assumer,  de l’estimation que chacun fera de la justice sociale d’une telle option ou encore de la juste estimation d’un « retour sur investissement » tout au long de la vie (le coût peut être transformé en dette à terme pour certains étudiants).  La différenciation est une autre voie possible par une élévation de la valeur de l’offre et un investissement dans des coûts spécifiques. La différenciation se joue prioritairement avec le corps professoral dont l’excellence et l’originalité en seront le moteur.

Plutôt qu’un diviseur de coûts fixes, Il faut trouver une stratégie qui, au plan des recettes, démultiplie les sources de financement : l’une augmentant la probabilité d’une autre de manière synergique.

Elles se traduisent par un mix original de trois catégories de financement : (1) l’Etat, (2) les étudiants, et leurs familles ou leur employeur (dans l’executive education), et (3) des partenaires soucieux de bénéficier de l’expertise de l’institution en la finançant pour prestations ou par des dons. L’Etat, dans son incarnation nationale, régionale, consulaire en France, constitue une institution capitale car il détermine la légitimité sociétale et/ou territoriale de l’institution. Cet apport est également gage de stabilité et de pérennité. Les étudiants et leurs familles prendront à leur charge une part résiduelle du coût des formations, par le versement de frais de formation et/ou la prise en charge des coûts de la vie.  L’acceptabilité de cet investissement dépendra notamment de la qualité perçue de l’offre de formation.

Cette part du financement (1+2) domine largement dans les budgets de la majorité des institutions et cela traduit une fragilité dans un tel contexte.

L’effet de ciseaux évoqués plus haut contraint les établissements d’excellence à rechercher une nouvelle catégorie de financements (3). Elle regroupe des financements « communautaires ». Ils relèvent de partenariats à valeur ajoutée avec des organisations publiques et privées ou de donateurs, alumni, entreprises ou particuliers. Ces apports ne peuvent se pérenniser que par l’élargissement et le renforcement de la « force écosystémique » des Ecoles, du sentiment d’affiliation et d’appartenance de ces financeurs à une commune ambition, une communauté d’esprit et d’intérêt. Ce capital relationnel constitue la source majeure d’une démultiplication des opportunités de partenariats à forte valeur ajoutée.

Plusieurs vecteurs peuvent faciliter la transition vers  un business model « communautaire » :

Une stratégie claire, fondée sur l’identification de priorités fortes pour l’Ecole,

Une volonté de dé-corréler au plan budgétaire le nombre d’étudiants et la taille du corps professoral pour augmenter la qualité des relations (dans l’idée d’une institution prestigieuse comme Caltech en Californie où professeurs et étudiants sont également nombreux !).

L’existence d’incitants, voire de formation, pour que le corps professoral oriente facilement ses activités vers des recherches partenariales. Accompagner celle-ci nécessite des qualités relationnelles autant qu’une organisation de support dans l’Ecole.

La mise en place très en amont d’une logique de philanthropie qui prend racine dès les études et dans l’esprit des alumni, d’une inventivité dans la construction des partenariats avec les knowledge partners de l’Ecole, par l’installation de Fondation d’Ecole et d’un dynamisme quant à la gouvernance des collectes de dons.

Cette évolution du modèle financier fait émerger une nouvelle frontière managériale, enjeu financier mais, plus encore, de gouvernance externe et interne : la création progressive d’un fonds capitalisé,  nouveau stakeholder communautaire dont l’influence ira alors croissante, renforçant probablement la vision sociétale des Ecoles. Ces fonds traduiront, en effet, les motivations profondes de donateurs dont on peut légitimement espérer qu’elles correspondront à des attentes vertueuses. Qui s’en plaindra ?

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