L’affaire DSK, la vie privée et Internet : sommes-nous tous des américains ?

Au-delà de tout débat de fond (ou de forme) sur ce qui a été dit, redit ou contredit sur cette affaire, qui se limite à quelques faits (sur ce point il est étonnant de remarquer qu’avec autant peu de faits les médias peuvent générer tant d’informations !), une réflexion très générale me taraude l’esprit depuis une semaine. Le traitement par les médias et surtout Internet de ce personnage public annonce-t-il la fin du concept de vie privée sur Internet ? Ou plus exactement avec Internet sommes-nous désormais soumis au « Right to privacy » américain ?

Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental non seulement reconnu par l’article 9 du Code civil ( « Chacun a droit au respect de sa vie privée » ) mais également par l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. On pourrait également rajouter l’article 1er de la loi 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et bien évidemment la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il ressort de cette construction du concept du droit au respect de la vie privée qu’il revient à chaque individu de délimiter ce qu’il en attend garder secret et ce qu’il désire rendre public. L’intimité de l’individu est donc une notion très subjective : de l’anonymat au renoncement à la vie privée tous les comportements sont envisageables. En tout état de cause l’individu est seul compétent pour révéler au public des aspects relevant de son intimité. Toute violation de ce principe engage la responsabilité civile voire pénale du responsable.

Ainsi à titre d’exemple ont été jugées comme constituant une atteinte à la vie privée la révélation des conditions de la vie conjugale ou de la conduite des époux (TGI de Paris, 1974) ou encore les relations entretenues entre une femme et un sportif célèbre (Cour de Cassation 2003).

Le droit au respect de la vie privée s’étend également au domicile. Le droit à l’inviolabilité du domicile date de la Révolution française et le Conseil constitutionnel l’a intégré aux « libertés publiques constitutionnellement garanties ».

Le droit à l’image fait également partie intégrante du droit au respect de la vie privée. Historiquement il est même le point de départ de la construction juridique de ce concept. En 1994 la Cour de Versailles énonça « que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite un droit exclusif« . La personne en règle générale dispose de la faculté d’autoriser ou non la reproduction de son image. Cette faculté peut être lucrative et les exemples ne manquent pas.

Quant à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui fait partie intégrante du droit de la communication quelque que soit les médias, elle considère que toute imputation de faits constituant une atteinte à l’honneur et à la considération constitue une diffamation : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation » (L. 29 juill. 1881, art. 29). En application de ce principe a été jugé en 1986 par la Cour d’Appel de Paris que « constitue (…) une atteinte à la vie privée, l’imputation de mœurs déréglées et d’obsession sexuelle » et il est utile d’indiquer que la véracité des faits importe peu et ne constitue donc pas un fait justifiant la révélation.

Or à quoi avons-nous assisté depuis plus d’une semaine à part une débauche de révélations et d’images toutes profondément liées à l’intimité d’un individu en allant même jusqu’à reconstituer virtuellement son appartement ?

Les médias se sont justifiés maintes fois parfois sous l’angle du droit à l’information.

La première justification consiste à soutenir que le droit à l’information prime sur le droit au respect de la vie privée. C’est en substance une résonnance du concept américain du « Right to privacy ». Il est vrai que le droit à l’information est présent dans la Convention européen des droits de l’homme mais son champ d’application en France et en Europe continentale est beaucoup plus limité qu’outre-Atlantique.
Le « Right to privacy » tolère quant à lui la révélation de faits de nature privée en présence d’un intérêt légitime du public. L’intérêt légitime du public permet de révéler ici l’adultère d’un candidat à l’élection présidentielle, là l’existence d’un enfant adultérin d’un sénateur ou encore les relations sexuelles d’une star du grand écran. Nos médias nationaux ont fait une pure et simple application de ce Right to privacy en reprenant des informations relevant de l’intimité et publiées sur les sites Internet des médias traditionnels américains.

En reprenant les informations publiées sur Internet les médias français ont répondu à une stricte nécessité d’assurer leur audience mais en faisant cela ils nous ont peut-être tous soumis au droit américain. Je crains que cela préfigure le statut de nos données intimes sur Internet.

Demain pourrons-nous encore revendiquer le droit au respect de la vie privée ? Pour les personnes publiques, cela me semble totalement compromis. Mais pour les gens ordinaires comme vous et moi qu’en sera-t-il ? Il n’est pas certain que notre absence de notoriété nous protège. En effet, la distinction entre personne publique et personne sans notoriété est peu présente dans le domaine du droit au respect de la vie privée, à l’exception du domaine du droit à l’image.

Demain, nous serons peut-être tous des américains car le Web est américain !
Je retiendrai toutefois un élément positif : nos médias ont enfin compris qu’il n’existait pas de présomption de culpabilité ! Il faut bien essayer de positiver …

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This entry was posted on mardi, mai 31st, 2011 at 13:43 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

10 Responses to “L’affaire DSK, la vie privée et Internet : sommes-nous tous des américains ?”

  1. Phil-annonce légale Says:

    Je crois que la notion d’identité numérique ou d’empreinte numérique est plus que jamais vraie.
    Pour les internaute désireux de garder un peu d’anonymat, il leur faudra se tourner vers des réseaux plus sécurisé de type VPN et autres pour continuer à surfer sur la toile mais cela n’est pas à la portée de tout le monde.

  2. ybergheaud Says:

    Je suis d’accord avec vous, l’usage de technique de sécurisation du « surf » sur Internet n’est pas à la portée du novice en informatique. L’on peut également utiliser de multiples identités numériques pour « brouiller les pistes » mais malheureusement on laisse sciemment des informations personnelles (profil, commentaires,…) qui permettent de retrouver notre réelle identité.

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