
Le pédagogue et le garçon. Grèce – III-II siècle avant JC
« Comme donc ceux qui sont malades du corps ont besoin d’un médecin, ainsi ceux dont l’âme est malade ont besoin du Pédagogue pour guérir leurs passions. Ce n’est que plus tard qu’ils auront besoin des leçons d’un maître pour les initier aux secrets de la science et achever de meubler leur âme »
Clément d’Alexandrie, le divin maître ou le pédagogue
Les ingénieurs pédagogiques sont aujourd’hui dans une position très instable. Dans l’enseignement supérieur on leur a même renié leur titre d’ingénieur pédagogique. Le dernier référentiel de la fonction publique les qualifie d’ingénieur pour l’enseignement numérique et a retiré de leurs missions statutaires toute référence à la pédagogie. Il n’est pas réellement besoin de souligner l’imprécision et l’inutilité de cette nouvelle appellation : « enseignement numérique » !
Ce n’est ni plus ni moins que la traduction d’un reproche souvent évoqué à l’encontre des anciens ingénieurs pédagogiques par des acteurs de l’enseignement : « ils n’ont pas de diplôme d’ingénieur et pas de formation en pédagogie ». Or les enseignants dans l’enseignement supérieur ne sont bien souvent pas plus compétents en matière de pédagogie. On ne peut pas le leur reprocher dans la mesure où ils n’ont jamais été formés. La pédagogie étant entendu ici comme une discipline s’intéressant à l’enseignement de manière transversale à la différence de la didactique qui elle est fortement ancrée dans la matière enseignée et nécessite des spécialistes de la discipline.
Les ingénieurs pédagogiques sont morts, vive les ingénieurs pour l’enseignement numérique !
Les feu ingénieurs pédagogiques et les enseignants ne sont pas donc pas concurrents mais au contraire complémentaires. Il est d’ailleurs étrange que cette opposition existe uniquement dans l’enseignement supérieur. Dans le secteur privé l’appellation ingénieur pédagogique ne suscite aucun débat.
Ce mouvement général qui tend à retirer toute référence aux missions pédagogiques des « ingénieurs pour l’enseignement numérique » s’est accompagné de la création d’un nouveau profil d’agents: les conseillers pédagogiques. Ils ont pour mission d’accompagner les enseignants « pour contribuer à la qualité de l’enseignement supérieur » sans aucune référence au numérique. Au mieux il leur est demandé d’avoir des connaissances sur les outils numériques. Cela revient à traiter la pédagogie indépendamment du numérique. Comme si les deux concepts devaient être abordé séparément alors qu’aujourd’hui l’enjeu majeur de l’enseignement supérieur est la transformation numérique sous-entendu pédagogique !
D’un point de vue pratique nos gouvernances ne savent plus où positionner les « ingénieurs pour l’enseignement numérique ». Un mouvement récent tend à créer des services des usages numériques pour y intégrer ces profils. Or cela s’avère être une erreur au moins pour une raison. Les usages numériques ne sont pas la compétence exclusive de nos collègues. En effet les informaticiens sont tout aussi compétents en la matière, et, à titre d’exemple, personne ne peut leur renier un rôle primordial dans le développement d’applicatifs de gestion et des usages de ces mêmes applicatifs.
Pour éviter toute confusion et assurer le bon positionnement des « ingénieurs pour l’enseignement numérique » il conviendrait de revenir sur la définition de leurs missions en y intégrant le terme « pédagogie ». Leur implication dans la transformation pédagogique de l’enseignement supérieur est cruciale ; leurs compétences, à la croisée des chemins entre pédagogie et numérique, leur maîtrise de la démarche projet et leur vision transversale des enjeux du numériques sont des atouts majeurs pour changer en profondeur nos universités et écoles. L’ancien ministre de l’enseignement supérieur les qualifier même de « hacker du système » enseignant en soulignant ainsi leur rôle moteur.
En espérant un prochaine revirement, la situation actuelle de nos collègues me fait penser à une chanson de l’aire punk d’un groupe majeur mais très sous-estimé : « Shot on both side » !
Croyant en la formation continue, j’ai suivi beaucoup de formations pédagogiquse. Et à chaque fois que j’ai eu à faire avec un ingénieur pédagogique j’ai eu droit au même scénario : « Vous avez des pratiques d’un autre temps, vous faites mal, vous êtes des obscurantistes ; je vais vous mettre dans le monde moderne, je vais vous apprendre à faire bien, je vais vous montrer la lumière. ».
À l’inverse de ça je me rappelle encore d’une formation par un chercheur en pédagogie canadien, qui était tout en « ce n’est pas si simple, ça dépend de la situation, on dit ça mais il faut nuancer, etc. ».
Alors, « shot on both side ! », je ne vais pas pleurer.
En période de disette budgétaire, il faut choisr entre ingénieurs pédagogiques et ingénieurs capables de réaliser ou d’aider à la réalisation technique de plate-formes numériques (ingénieurs en e-learning). Je dirais que cette seconde catégorie fait défaut alors que la première est plutôt surreprésentée. Or la première est inefficace sans la seconde!
@Olivier
Merci pour votre message.
Ce n’est pas parce que vous savez eu un mauvais contact avec un ingénieur pédagogique qu’il faut généraliser. Les ingénieurs pédagogiques avec qui j’ai eu l’occasion de travailler n’étaient absolument pas dans la posture que vous décrivez bien au contraire. Vous évoquez l’exemple des canadiens, c’est un très bon exemple car là-bas il n’y a pas cette défiance envers les ingénieurs pédagogiques et leurs statuts précisent bien leurs missions en matière de pédagogie.
Je le répète mais les ingé pédago et les enseignants sont pas en concurrence et ils doivent travailler ensemble dans un climat de confiance.
@test
Merci pour votre message.
Je ne comprends pas bien votre distinction entre ingénieurs pédagogiques et ingénieurs en elearning. Tous les ingénieurs que je côtoient utilisent une plateforme pédagogique. Leurs missions sont ancrées dans la production en elearning ce qui n’est pas toujours le cas des conseillers pédagogiques.
Bonjour Yann,
je ne sais pas si nous parlons de la même chose mais j’ai assisté en novembre dernier à un colloque toulousain présentant la mise en place d’un réseau de conseiller pédagogique qui n’étaient pas des personnels « spécialisés » dont il s’agissait de la tâche exclusive mais des référents qui pouvaient être des enseignants ou des ingénieurs pédagogiques. La démarche m’avait semblé intéressante par sa transversalité et par le positionnement de l’enseignant comme vecteur reconnu de diffusion de bonnes pratiques auprès de ses pairs. Je n’ai pas de recul sur l’efficacité du dispositif, n’étant plus dans l’environnement universitaire, mais je serais curieux de voir comment cela évolue.
Pour aller sur le fond, je ne suis pas certains que le problème de l’ingénieur pédagogique dans le supérieur soit d’être mal aimé, mais surtout mal employé ou mal positionné pour avoir un poids réel sur la « transformation numérique de l’enseignement supérieur » (en partant de l’hypothèse qu’une telle stratégie soit sincèrement portée par les établissements).
Ayant quitté cet environnement plusieurs années, passant par le privé, revenant dans le public, je trouve que j’ai pu provoquer des effets de leviers beaucoup plus importants en termes de « transformation numérique » en me positionnant à la lisière de l’ingénierie de formation pour agir d’abord sur les cursus et ensuite sur les cours eux mêmes. Ce positionnement de « chef de projet », peut être plus proche du digital learning manager que l’on voit de plus en plus dans le privé, me parait plus efficace à la condition que légitimité et compétence soit reconnue ( donc réellement détenue et prouvée, petit détail).
Evidemment pas de leçon dans mes propos ou d’ambition de transfert de pratiques, j’exerce dans un secteur qui est dépourvu d’ « enseignants de profession ». La légitimité de l’ingénierie pédagogique est donc beaucoup plus facile à amener. Je me demande en toute naïveté si le difficile positionnement de l’ingénieur pédagogique dans le monde universitaire ne serait pas le symptôme de difficultés à piloter et faire évoluer des dispositifs de formation au sens large. Quelle stratégie d’établissement ? Quelle ingénierie de formation ? Quel rôle pour le responsable de la formation ? Quel pouvoir sur les enseignants ? Quelle évaluation des dispositifs ?
Bref, difficile d’être acteur ou mieux pilote d’un changement sans savoir où son institution veut aller et sans être investi des pouvoirs nécessaires pour la mener.
Bonjour à toutes et à tous,
Je partage beaucoup des constats relatés ici par Yann au quotidien étant moi-même « Ingénieur techno-pédagogique », comme on nous appelle par chez moi.
Plusieurs remarques :
– Notre métier n’est pas de dire ce qu’il faut faire ou ne plus faire. Il participe d’une démarche d’accompagnement, souvent humble (mais pas toujours selon la nature humaine), face à un monde en perpétuel changement. Nous n’allons pas « évangéliser » à tour de bras à l’aide d’une « baguette numérique » transformant un cours peu efficace en une panacée pédagogique. Notre métier, c’est avant tout le dialogue, l’échange constructif !
– Les ingénieurs pédagogiques sont diplômés par les universités dans des cursus conçus et animés par des enseignants du supérieur… mais je confirme qu’ils ne sont pas reconnus comme compétents par tous les enseignants du supérieur (les mêmes peuvent former et mépriser).
– La transformation digitale est un enjeu politique (majeur ou pas, peu importe dans mon propos). Il appartient aux établissements du supérieur de bâtir une stratégie d’avenir en dotant leurs ressources humaines, leurs forces vives, des compétences dont ils auront besoin maintenant pour demain. Le malaise ambiant que tu relates dans ce billet ne me paraît pas symptomatique de ma profession mais il est bien plus vaste à mon humble avis. Les choix RH sont souvent à l’origine de cette situation contre-productive.
Pour conclure cet échange, je dirai que nous souffrons de ne pas nous connaitre. Rencontrons nous, échangeons, l’esprit ouvert et nous nous connaitrons mieux les uns les autres. Tous les ingénieur·e·s pédagogiques ne sont pas « technodidactes » et tous les enseignants ne sont pas « technophobes » ;o)
Patrick