Monthly Archives: septembre 2014

MOOC : mesurer la réussite ?

Il y a deux ans, je participais à Educause, la grande conférence américaine sur les technologies dans l’Enseignement Supérieur – 6000 participants, une dizaine de sessions en parallèle et une exposition commerciale digne de la foire de Paris ; tout le monde se précipitait pour écouter Daphne Koller exposer sa vision et les premiers résultats de Coursera. La salle était pleine à craquer (je doute que ce thème amène une audience aussi large cette année, je vous le dirai à mon retour dans deux semaines), très attentive et suspendue aux lèvres de l’orateur.

La seule déception, me semble-t-il, fût lorsqu‘elle aborda le taux de réussite : 5 à 15%, dans le meilleur des cas. Je dois dire que je fus parmi les déçus et le restais un certain temps avant de réaliser que comparer le taux de réussite d’un MOOC à celui d’un examen classique, c’était comme comparer des pommes et des poires. Or mes professeurs m’ont toujours appris que des opérations ne pouvaient porter que sur des objets de la même espèce !

Reprenons l’acronyme : il contient Open, ce qui veut dire que le cours est ouvert à tous, sans restriction c’est-à-dire, entre autre, sans contrôle de niveau préalable.

C’est un vieux problème que nous connaissons bien dans les universités françaises. On nous reproche un taux d’échec énorme, comparé aux grandes écoles et aux IUT. Mais, justement, l’énorme différence est que la sélection à l’entrée de ces parcours établit un préalable : l’assurance que les étudiants possèdent un certain niveau, relativement homogène de surcroit, et une motivation certaine. Il en est de même pour certains lycées dont la réussite au bac frise les 100%. Ce qui est souvent oublié est le processus de choix des élèves qui a opéré en amont.

Je me souviens aussi, lorsque jeune professeur, je me retrouvais dans un amphi de rentrée, en face de 150 étudiants. Quelques rapides exercices exposés au tableau que je leur demandais de résoudre individuellement, m’apprirent rapidement que j’étais devant un problème que je ne savais résoudre : la dispersion des niveaux était telle que je ne voyais pas comment délivrer un enseignement commun.

Alors les MOOC ? On aura beau faire et exposer, dans le syllabus et le teaser, les prérequis nécessaires, cela n’empêchera jamais de nombreux enthousiastes de pécher par optimiste : ils surévaluent leur niveau ou ignorent tout simplement l’existence de ces avertissements. Il se peut aussi qu’ils pèchent par optimiste en croyant pouvoir dégager le temps nécessaire à l’étude qui peut être fort variable en fonction de ces préalables.

Donc, il est normal que le taux de réussite à un MOOC soit bas et ce n’est pas la démonstration de son inefficacité.

On peut encore ajouter beaucoup d’autres arguments pour expliquer ces résultats.

Qui a dit que tous les « mouqueurs » étaient intéressés par une attestation dont la valeur, le plus souvent, n’a pas grande signification ?

Nombreux sont ceux qui entrent dans un MOOC parce qu’ils sont intéressés par certains points seulement puis le quittent lorsqu’ils ont obtenus l’information qu’ils recherchaient. Ils peuvent également le parcourir comme cela leur convient : les premières études statistiques montrent qu’il existe une infinité de façons de « déguster » son MOOC. Certains ne regardent que les vidéos et ne s’intéressent pas aux exercices et devoirs, d’autres au contraire sautent sur ces derniers et, lorsqu’ils pensent avoir réussi, au contraire, ignorent les vidéos. D’autres encore font leur marché et picorent à droite et à gauche. Je ne mentionne même pas les touristes, les « lurkers », qui passent pour voir. Annoncer un maximum d’inscrits flatte toujours l’ego du professeur mais ce nombre serait beaucoup plus bas si on enlevait ces passagers. Cela remonterait aussi le taux de réussite final !

En bref nous ne savons pas ce que signifient les taux de réussite mesurés. Il existe des études pour décrire le comportement des étudiants des MOOC mais on ne les a pas encore interrogés, à ma connaissance, sur les façons dont ils les consomment (j’emploie ce vocabulaire volontairement). Les sociologues vont s’y pencher très vite, je l’espère, mais ces études ne sont pas simples parce que les étudiants sont dispersés dans le monde entier – c’est une caractéristique de base des MOOC – et qu’on peut imaginer qu’un participant « à temps partiel » n’est souvent pas motivé pour répondre à une telle enquête.

Comprendre les comportements des étudiants et la signification du taux de réussite des MOOC est un domaine de recherche primordial pour pouvoir comprendre à quoi sert un MOOC et comment en mesurer sa réussite.

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Les MOOCs : il faut s’y engager !

engagementLes MOOC sont un phénomène que l’Enseignement, et pas seulement Supérieur, ne peut plus ignorer. Dans quelques années ils se présenteront sous des formes variées, le nom même sera oublié et sera remplacé par un florilège d’acronymes qui correspondront à des usages divers, support de pédagogies adaptées aux publics et aux matières à enseigner. Le plus important est que, dans la forme que nous connaissons aujourd’hui, ils auront introduit l’impulsion qui était nécessaire pour innover. Ils n’auront pas remplacé l’apprentissage traditionnel en face à face mais le compléteront.

Les MOOC sont beaucoup plus une révolution sociale que technologique. Les plateformes d’enseignement, disponibles depuis le début des années 2000, permettaient déjà d’organiser un enseignement en autonomie, pour un nombre limité d’étudiants, mais seuls quelques enthousiastes en ont vraiment exploité le potentiel. Le phénomène MOOC ne permet plus d’ignorer cette approche. Il est possible de s’adresser au plus grand nombre, l’université, et plus généralement à toutes les formes d’enseignement et d’apprentissage, peuvent y trouver des idées pour révolutionner leur approche de l’enseignement. L’intégration du numérique, à part entière, dans les cursus devient incontournable. La distinction entre enseignement à distance et enseignement présentiel est brouillée, il devient hybride et le curseur entre tout en présence et tout à distance se déplacera selon les matières et l’environnement. Le public auquel il s’adresse, le problème des emplois du temps et de la disponibilité de salles, la nature de l’enseignement orienteront le choix dans une ou l’autre direction. Des travaux pratiques nécessitent des laboratoires spécialisés même si l’on peut les imaginer virtuels au travers de serious games, un projet collaboratif entre étudiants est tout à fait adapté à la distance, une mineure regroupant des étudiants aux cursus variés résoudra ses problèmes d’emploi du temps… Les MOOC permettent ainsi une approche pédagogique innovante où l’étudiant devient acteur de sa formation. Qu’on l’appelle pédagogie inversée, en mode projet ou que l’on emploie tout autre nom pour la désigner, la pédagogie numérique et les MOOCs sont un élément d’une dynamique sur laquelle nous nous accordons tous : mettre l’étudiant au centre de son projet d’études et l’encourager à s’y engager.

Sous forme massive le MOOC s’adresse à un public extérieur que l’université ne doit plus ignorer, pour répondre à la demande de ceux qui ne viendront jamais en ses murs et qui désirent acquérir des connaissances et des compétences sans forcément se préoccuper des diplômes. A une période où l’on insiste sur la formation tout au long de la vie, les MOOC sont une méthode nouvelle importante pour répondre à ce challenge. Mais ne nous y trompons pas. Cette mission est nouvelle et, si les universités possèdent la compétence pour répondre à une partie d’entre elles, elles devront être financées.

C’est la seule réponse possible aux besoins des nations en Afrique et en Asie qui doivent former des millions de jeunes sans disposer des cadres et des campus nécessaires. Ils se tourneront vers d’autres partenaires si les universités françaises ne leur offrent rien.

Le phénomène MOOC est une extraordinaire opportunité pour faire évoluer la pédagogie. Il doit également servir dans toutes les missions d’enseignement et de diffusion de la culture scientifique des universités. A elles de savoir en utiliser le dynamisme sans y perdre leur personnalité.

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MOOC et enseignement numérique : la mort de l’amphithéâtre ?

amphitheatreOn a condamné l’enseignement magistral en affirmant qu’on pouvait le remplacer avantageusement par des vidéos distribuées via le Web. Innovation importante des MOOCs, elles allaient condamner et fermer tous les amphithéâtres, les étudiants deviendraient plus actifs et, avantage indéniable, on ferait de grandes économies en récupérant ces espaces et en permettant à un seul professeur, le meilleur si possible, via Internet, d’enseigner au plus grand nombre. Un rêve pour ceux qui envisagent l’université comme n’importe quelle entreprise capitaliste : gain d’investissement et de productivité !

Pourtant, ce n’est pas si simple. L’amphithéâtre est-il vraiment mort, la vidéo le remplace-t-elle ?

Il est de bon ton, dans de nombreuses conférences, de montrer de vieilles illustrations, du 19me siècle si possible, avec des étudiants endormis pendant qu’un éminent professeur discourt du haut de sa chaire et d’ajouter le sous-titre « Rien n’a changé ».

Mon expérience est beaucoup plus nuancée. J’ai eu la chance, en tant qu’étudiant, puis en tant que professeur en Sciences, de ne connaître que de petits amphithéâtres, néanmoins je reconnais que, même en présence de quelques dizaines de personnes, un discours à sens unique ne passe plus bien. Même une université comme Oxford, qui possède un encadrement exceptionnel, où chaque étudiant rencontre longuement chaque semaine un tuteur qui le suit personnellement et compose son cursus à la carte, voit ses amphithéâtres désertés. Ce phénomène est généralisé dans nos sociétés.

Curieusement certains étudiants résistent : quand nous avons mis en place, en 2007, à l’UPMC, la diffusion en direct des cours magistraux sur le Web, la rumeur a couru que nous allions supprimer le cours magistral et le doyen a du descendre dans l’amphithéâtre pour l’infirmer. Pourtant cet enseignement est assez caricatural : la capacité de la salle est limitée à 500 étudiants sur les plus de 2000 inscrits et une rotation des groupes est prévue pour que, tour à tour, tous puissent suivre ce cours. Nous avons même du mettre en place un dispositif de contrôle analogue au pass Navigo avec les cartes d ‘étudiants à puce ! Pire encore le professeur n’a pas le droit, pour des raisons d’égalité devant le concours, de répondre directement aux questions. Il n’empêche que les étudiants étaient inquiets de la disparition du face à face et que l’amphithéâtre est toujours plein à craquer pendant qu’un millier d’autres le suivent à distance, le plus souvent en temps réel. Il en est de même à l’EPFL, à Lausanne, pionnier en Europe de l’usage des MOOCs. Si de nombreux étudiants se regroupent, dans leur magnifique Rolex center, pour regarder les vidéos de cours ensemble, d’autres n’apprécient pas ce nouveau mode de transmission de la connaissance. Les responsables de l’EPFL ne sont pas convaincus qu’ils pourront supprimer tous les cours en amphithéâtre de première année.

Le bon vieil amphithéâtre n’est donc pas mort. En France comme à l’étranger des enseignants imaginatifs ont cherché des moyens pour rendre les étudiants actifs. Les exemples sont nombreux. Parmi les plus innovants, l’emploi de  boitiers cliqueurs individuels ou des smartphones. Le cours est cadencé en séquences courtes, de 15 mn environ, à l’issue desquelles le prof pose des questions et fait voter les participants avec leur boitier. Les réponses sont anonymes, donc pas de risque de se sentir ridicule devant ses camarades, c’est amusant parce que les questions sont courtes, simples en apparence et que cela rompt régulièrement le rythme. La pédagogie devient active. Mieux encore on peut construire des scénarios d’interaction où les étudiants doivent se concerter avec leurs voisins et confirmer ou non leur vote précédent. Les étudiants s’engagent dans une véritable réflexion active : la pédagogie inversée entre dans l’amphithéâtre traditionnel. Moins cher encore, le vote peut se faire au moyen d’une simple feuille de papier, en présentant un rond de couleur différente, en fonction de sa réponse. Une application, sur Android aujourd’hui, permet en photographiant avec un Smartphone, de décompter les diverses réponses.

Cela signifie-t-il que la vidéo est inutile, du moins pour les étudiants présents sur le campus ? Absolument pas ! Notre expérience, partagée par de nombreux collègues en France comme à l’étranger, est que le cours filmé améliore l’audition et la qualité du cours. L’audition parce que les étudiants n’ont plus besoin de copier frénétiquement pour noter la bonne parole. Ils savent que, si leurs notes sont mal prises, ils pourront toujours revenir plus tard sur la vidéo. La prise de note s’en trouve améliorée, l’attention plus soutenue et les enseignants qui l’emploient déclarent tous qu’ils y gagnent une grande liberté car ils peuvent se permettre des illustrations supplémentaires, sachant que tous leurs élèves pourront retrouver le fil du discours dans les vidéos en ligne.

MOOCs et amphithéâtres ne sont donc pas contradictoires. Le face à face reste une dimension importante des échanges humains.

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