J’ai participé, cette semaine, à un séminaire à Georgia Tech, organisé par le consulat français dans le cadre de la semaine France-Atlanta 2014 ; les autorités consulaires m’avaient fait l’honneur de m’y inviter ainsi que quelques autres français. Ce fût fort sympathique et très instructif, à la fois.
Le sujet était l’université digitale du 21ème siècle.
Georgia Tech s’est lancé dans les MOOC avec enthousiasme et a réalisé plus de 40 cours. Le terme MOOC recouvre aujourd’hui toutes les formes de cours en ligne, massifs et ouverts sur le monde aussi bien que réservés à des étudiants sélectionnés.
Les responsables de cette magnifique université sont soucieuses du fait que, aux États-Unis aussi l’université est en crise. Le montant des droits est devenu insupportable. L’état fédéral se désengage, les dons diminuent mais les coûts ne cessent d’augmenter. Ca, nous le savons, mais cela ne suffit pas à expliquer le niveau des droits d’inscription, sans aucune mesure avec ce que l’on connaît en Europe : même les anglais ne dépassent guère 10 000 $ par an alors qu’un montant du double, voire du quadruple devient commun aux USA.
L’université américaine a été conçue pour des post-adolescents de 18 à 20 ans et offre un ensemble de services et une vie sociale (des équipes de football aux fraternités et sororités) qui coutent une fortune et ne correspondent plus à la demande d’une population étudiante dont l’âge moyen est maintenant de 25 ans. Aux Etats-Unis, l’université est, pour ceux qui peuvent se l’offrir, la transition sociale et, dirais-je même mythique vers l’âge adulte. Mais aujourd’hui seuls 25% des étudiants sont des primo entrants, les autres sont déjà engagés dans la vie active et leur vie personnelle n’est plus entièrement tournée vers le campus.
Georgia Tech l’a compris et, à l’instar de ses alter égos et néanmoins concurrents, ne peut pas envisager de diminuer cette part sociale. L’université y perdrait immédiatement son rang. Les MOOC (traduisons les cours en ligne) sont une tentative de réponse à ce problème. Plus d’un million d’étudiants les suivent et un master d’informatique se déroule entièrement à distance. La technologie sous jacente à cette nouvelle pédagogie n’est pas une fin en soi et les responsables de l’université ne croient pas que cela leur donne une avance stratégique dans la compétition acharnée que se livrent les universités. Leur espoir est de pouvoir former plus d’étudiants que par les moyens classiques : pas assez de locaux et d’équipements, pas assez de professeurs pour augmenter la taille de leurs promotions. Les MOOC leur semblent donc la meilleure méthode pour répondre à ce défit. Ce point de vue m’avait déjà été exprimé, l’année dernière, à San Diego, à l’UCSD, qui ne voyait pas d’autres moyens de répondre à la demande de la population non éduquée de Californie.
En d’autres termes, les enseignants de Georgia Tech considèrent que, si la meilleure pédagogie est un mixte de cours en face à face et en ligne, un enseignement complètement en ligne, sera la seule méthode pour dépasser leurs capacités actuelles de formation. Leur souci n’est pas de diminuer leur personnel, bien au contraire, mais de pouvoir former plus d’étudiants, sans un investissement supplémentaire qu’ils savent ne pas pouvoir trouver.
Ils n’ignorent pas les difficultés : comment maintenir une relation enseignant-enseigné, problèmes des corrections de devoirs et de la certification et explorent, comme tous ceux qui s’intéressent à ce domaine, des pistes diverses. Un pays aussi développé que les Etats-Unis considère donc qu’il n’a plus les moyens de former toute sa population et recherche donc des solutions pour massifier son enseignement à moindre coût.
La question est de savoir si le MOOC est moins cher. Dans une étude, publiée maintenant dans un livre, j’avais estimé que le coût d’un MOOC de six semaines se situait aux alentours de 50 000 €, chargé mais non environné, soit un coût réel aux alentours de 100 000 €. D’autres sont arrivés à une conclusion du même ordre. Dans la pratique cela peut osciller de la moitié au double, selon la discipline (des illustrations animées coûtent beaucoup plus chères que la simple transmission d’un cours oral) et la qualité de la réalisation. Je m’interrogeais (et je continue à le faire) sur le modèle économique qui pouvait permettre aux universités d’amortir ces dépenses. Mais si on imagine que le MOOC, ou plus exactement un enseignement en ligne réservé à des étudiants sélectionnés (un SPOC, Small online private course) est pensé pour augmenter le nombre d’étudiants en y attirant des personnes qui ne veulent pas payer la dimension sociale du campus, il existe peut-être une réponse. C’est en tout cas le pari qu’a fait Georgia Tech avec son master d’informatique en ligne. Nous aurons un début de réponse dans un avenir proche.
On peut aussi imaginer une approche agressive de grands groupes qui industrialiseraient l’enseignement supérieur. Pour y réfléchir, je vous invite à regarder la vidéo de Richard Katz, ancien vice-président de la recherche à Educause, et grand spécialiste du numérique aux Etats Unis. Vous la trouverez ici en anglais ou en français.
Si, maintenant, je reviens à ce qui nous préoccupe le plus, l’enseignement supérieur en France et en Europe, il faut nous demander comment nous allons pouvoir poursuivre dans notre modèle où l’Etat est le payeur quasi-unique. Si la dette des étudiants américains, 1 200 milliards de dollars nous semble incroyable, il ne faut pas nous faire d’illusions. Même avec des campus infiniment moins sociaux, il nous faudra consacrer beaucoup plus d’argent pour former notre jeunesse, et il ne faut pas nous faire des illusions : dans la situation économique que nous connaissons, les Etats ne pourront pas fournir les fonds qui seraient nécessaires.
La recherche d’une solution est urgente et les MOOC[1], parmi bien d’autres choses, peuvent participer à la trouver.
[1] Une collègue m’a rappelé que, selon l’Académie, les acronymes ne s’accordent pas. Je corrige donc immédiatement cette faute et j’écrirai dorénavant : les MOOC !