C’était le début du titre d’un article du Monde, vers 1997, dans lequel l’auteur rejetait Internet et le Web naissant comme moyen de diffuser la culture. Pour ceux qui ne le savent plus Bérénice est le titre d’une tragédie de Racine. L’un de mes collègues l’avait affiché près de la porte du secrétariat de la licence de physique, pour manifester son désaccord avec le fait que j’avais publié mon cours sur le web. Il n’aurait pas protesté si j’avais employé les moyens de reproduction classiques pour distribuer un polycopié papier mais il ne pouvait accepter que je diffuse mon cours au-delà des étudiants concernés. Quelques années plus tard il acceptait à son tour de publier son cours mais dans le cercle fermé de ses étudiants.
D’autres exprimaient leurs craintes que ceux-ci ne suivent plus les cours en amphithéâtre (problème déjà sensible !) comme si un document sur Internet était plus dangereux que sur le papier ! La réalité les a vite détrompés : je n’ai eu ni plus ni moins d’étudiants qu’auparavant.
La réponse que j’ai alors faite a été d’ajouter une note sur la feuille affichée, où j’exprimais mon refus d’opposer classiques et modernes. Pour moi c’était Bérénice et Internet.
Cette anecdote remonte à 17 ans et j’ai pourtant le sentiment qu’elle est toujours d’actualité. Certains veulent opposer le numérique et sa révolution (ou devrais-je dire son tsunami ?) à un enseignement classique conservateur qui ne serait bon qu’à jeter aux orties. J’écarte évidemment les thuriféraires du néolibéralisme qui veulent ramener l’université à être une industrie et qui voient dans l’introduction des technologies un moyen d’augmenter sa rentabilité : plus d’étudiants et moins d’enseignants. L’enseignement et l’université, en particulier, ne sont pas une industrie parce que leur rôle est d’éduquer les nouvelles générations. Ceci est l’un des fondements de toutes les sociétés humaines quelles qu’elles soient. Ceci est vrai dans la Silicon Valley comme au fond de l’Amazonie et c’est une dimension qui fait que l’homme est l’homme. Que l’éducation soit envisagée pour transmettre la connaissance ou former à des métiers cela est toujours vrai.
Si cette préoccupation financière existe partout et présente un intérêt particulier dans les pays d’Afrique et d’Asie où il faudrait ouvrir une université chaque jour, quitte à devoir envisager un enseignement de moindre qualité, car il n’existe pas les moyens ni financiers ni humains de répondre à cette nécessité, ce n’est pas que partiellement le cas dans nos pays. Il n’y a donc aucune raison de vouloir opposer enseignement dit classique et enseignement dit nouveau avec le numérique mais il faut plutôt se poser la question de leur complémentarité et rechercher les champs où l’une ou l’autre des deux approches correspond le mieux à la culture des sociétés d’aujourd’hui.
Si la presse de Gutemberg a été la mort du copiste, je suis convaincu que le livre papier garde encore de beaux jours. Au MIT comme dans d’autres universités américaines, j’ai été frappé de voir comment les étudiants travaillaient dans les bibliothèques avec l’ordinateur et leur manuel papier. Le livre a aussi ses avantages technologiques : facilité à passer d’une page à l’autre et à y revenir, possibilité d’ouvrir simultanément plusieurs ouvrages et à travailler simultanément avec eux… En exprimant ce sentiment je n’ai pas le sentiment de devoir être désavoué par les plus jeunes. Je rappelle encore une fois, qu’en 2012, dans une enquête que j’avais organisée dans mon université, les étudiants avaient unanimement exprimé leur préférence pour des documents qu’ils pouvaient imprimer. Il doit bien y avoir une raison qui va au-delà des conservatismes !
Mon choix est donc fait : ce sera les humanités dans leur approche classique et le numérique.