Monthly Archives: janvier 2015

Cohortes

“Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encore dans l’air où vibraient leurs voix fortes…”

legionsdéclamait José-Maria de Hérédia en 1893 dans les Trophées. Aujourd’hui, pour faire suite à mon billet de la semaine dernière sur l’interview de Daphné Koller je voudrais évoquer les cohortes d’apprenants dans les MOOC[1].

J’aime bien ce mot pour évoquer ces milliers d’étudiants avançant ensemble, inexorablement, semaine après semaine, dans la découverte du sujet qu’ils ont décidé d’étudier et triomphant de tous les obstacles qui se dressent devant eux dans leur acquisition de la connaissance. Certains voudraient aller plus vite, d’autres plus lentement, bref le rythme unique imposé par la révélation des contenus, semaine après semaine, n’est qu’un rythme moyen qui ne convient pas à tous mais il peut être difficile de constituer ces cohortes et de laisser un MOOC ouvert de longues semaines.

Expliquons nous !

Il est nécessaire d’imposer un rythme ; l’expérience de l’université de San Jose et la pratique de tout enseignant le montrent bien : si un rythme n’est pas donné, les étudiants se précipitent en fin de cours pour étudier ce qu’ils auraient du apprendre progressivement. Les résultats s’en ressentent et l’acquisition des connaissances est décevante.

La dispersion des niveaux des étudiants rend souvent difficile l’avancée à un rythme unique. Il est donc normal qu’on retrouve cette difficulté dans les MOOC. Elle est même amplifiée pour deux raisons toutes les deux importantes : il n’y a pas, par principe de contrôle des niveaux à l’inscription et tout le monde ne peut pas, pour diverses raisons, fournir la même quantité de travail chaque semaine. Bref rien de nouveau.

L’une des solutions, déjà mise en œuvre par certains, est de constituer des groupes ou cohortes (j’y viens enfin !) qui avancent à un rythme différent au travers d’un parcours pédagogique commun. Certains parcourront le même MOOC en trois semaines, d’autres en 5 voire même en 7 semaines. Certaines agences de MOOC imaginent même des cours ouverts en permanence : on y entre quand on veut, on en sort, au terme du parcours quand on le décide également. Sans aller jusqu’au cours ouvert en permanence Daphné Koller imagine des MOOC ouverts à tout moment, à la demande d’une entreprise et la constitution de cohortes pour permettre à chacun de progresser à son rythme.

Est-ce toujours possible ?

Le rôle de la cohorte est de réunir un nombre suffisant de personnes pour échanger sur des sujets d’intérêt commun, en l’occurrence le contenu de chaque semaine d’un MOOC. Encore faut-il que les participants soient assez nombreux pour que le dialogue s’installe. N’oublions pas que, dans les forums, les observateurs sont beaucoup plus nombreux que les actifs. La question est donc de savoir à partir de combien de personnes peut-on réellement constituer une cohorte qui échangera au travers des outils sociaux du MOOC. Dans sa vidéo sur l’avenir de l’enseignement, edu@2025, Richard Katz, ancien VP recherche d’Educause, imagine même des MOOC Google peuplés d’avatars artificiels pour donner le sentiment aux participants humains qu’ils ne sont pas isolés.

En ce qui concerne la formation continue il est indéniable que l’ouverture à la demande de MOOC payants, donc de SPOC, et de cohortes sera la solution pour répondre aux demandes de grandes entreprises, capables d’inscrire un nombre suffisant de participants. Pour les plus petites, elles passeront par des intermédiaires qui leur vendront des participations, réservées préalablement en masse auprès d’agences de MOOC. Elles pourront leur mettre à disposition des catalogues avec prestations d’accompagnement variées, comme les agences de voyage avec les compagnies d’aviation et les hôtels. Comme pour les voyages organisés, l’inscription ne pourra être confirmée que si un nombre suffisant de participants est inscrit. Ceci bouleversera le modèle économique de la formation continue en France. De nombreuses petites sociétés disparaitront ou devront se regrouper en réseau, clientes de grandes agences de SPOC. L’analogie avec les agences de voyage est tout à fait pertinente : la myriade d’entreprises privées de formation se battra   sur les prestations supplémentaires. Quid de la formation continue des universités ? Leur chance unique sera d’être à la fois fournisseur et distributeur. Mais sauront-elles la saisir ?

En ce qui concerne les MOOC gratuits, le futur est plus obscur, surtout pour les agences de MOOC en France et plus généralement en Europe, sauf pour les anglophones. Rappelons l’expérience de l’EPFL à Lausanne : un MOOC francophone attire dix fois moins d’étudiants qu’un MOOC anglophone. Constituer des cohortes ne peut fonctionner que si les participants sont assez nombreux. Pour ceux qui attirent des dizaines de milliers de participants, pas de difficulté, mais pour ceux, moins généralistes qui n’ont que quelques milliers d’inscrits, leurs cohortes risquent d’être bien maigres et surtout bien silencieuses, perdant la dimension sociale fondamentale des MOOC.

Enfin n’oublions pas que derrière un MOOC il y a des enseignants qui bien que, trop peu nombreux pour établir des interactions personnelles, n’en sont pas moins un élément essentiel des échanges. Ouvrir un MOOC sur une longue période nécessite plus de présence et fera bondir le coût. Cela rendra encore plus fragile un modèle économique qui l’est déjà. Les agences, non subventionnées, ne pourront pas longtemps maintenir la qualité et l’ouverture. Et les enseignants volontaires pourront-ils être mobilisés de longues semaines, à moins que l’enseignement ouvert des MOOC devienne intégralement partie de leur mission et soit prise en compte dans leur emploi du temps.

Les MOOC n’en sont qu’à leur début dans leur démarche pédagogique et l’emploi des outils qui les accompagnent. Ils ne pourront se sophistiquer que dans le cadre d’un principe de réalité qui fera que toute bonne idée ne conduira pas à sa mise en œuvre, faute de moyens humains disponibles. En dehors de quelques pionniers, volontaristes et qui ne comptent pas leurs heures, il faudra rationnaliser leur mise en œuvre et trouver un compromis entre sophistication et coût. En France et plus généralement en Europe, sans de fortes aides de l’Etat, les MOOC auront du mal à progresser rapidement sans une forte implication de l’Etat.

Daphné Koller en est bien consciente, elle, qui évoquait des MOOC avec des centaines de milliers de participants pour former ses cohortes et une marchandisation massive et bon marché, tournée vers les petits collèges et la formation continue.

[1] Une collègue me faisait remarquer qu’en français les acronymes ne se mettent pas au pluriel. Autant pour moi ! Je ne mettrai plus de s aux MOOC.

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La chasse est ouverte

imagesDaphne Koller, cofondatrice de Coursera, donnait récemment une interview à la Wharton School. Coursera est le leader des plateformes de MOOC. Daphne a sa vision et il faut toujours l’écouter attentivement car elle participe fortement à leur futur. Cela ne signifie pas que l’on doive être d’accord avec elle.

Le premier point que je retiens est les conditions de cette interview. La Wharton School, ce n’est pas rien : c’est une des plus prestigieuses business schools américaines. Si vous visitez Baltimore, faites un tout à Penn. C’est toujours intéressant de visiter les universités américaines mais la Wharton School est vraiment impressionnante  avec son bâtiment de briques et sa coupole d’où l’on a une magnifique vue sur la ville, ses moquettes profondes et les tableaux de maitres… Un luxe que nous ne connaissons que dans les sièges des plus prestigieuses multinationales à la Défense. Lancer un message depuis cette école, où les droits d’inscription doivent bien être au minimum de 60 000 $ par an, n’est pas neutre.

Coursera ne se place pas en concurrence avec les universités les plus prestigieuses, celles-ci n’ont rien à craindre de sa part. Daphne ne prétend pas rivaliser avec leur enseignement, qu’il soit en ligne ou en face à face. Elle s’adresse aux milliers de community colleges et pose la question : « Qu’est-ce qui vaut mieux ? Un bon MOOC ou un mauvais collège ? » et elle sous entend qu’ils sont nombreux. Les community colleges sont des établissements post bac qui servent une population locale. Ils offrent des formations jusqu’au niveau de la licence (bachelor) généralistes et professionnelles. Leurs enseignants ne font pas de recherche, chaque college définit ses critères de recrutement et le contenu des études. Le laxisme de l’organisation des études supérieures aux Etats-Unis fait qu’effectivement leur qualité doit être très variable. La plupart ressemblent à de gros lycées avec quelques milliers d’étudiants et ils deviennent très populaires car les droits d’inscription y sont beaucoup moins élevés que dans les universités classiques. Leur distribution sur tout le territoire des Etats Unis fait aussi que les étudiants peuvent rester à leur domicile. Bref, les études y reviennent beaucoup moins chères. Ce n’est pas pour rien, qu’en ces temps de crise, alors que beaucoup d’américains se posent la question de la valeur de l’investissement dans des études, que le Président Obama envisage d’y rendre les études gratuites.

Mais pour prétendre organiser des formations à distance, il faut dépasser le modèle des MOOC et venir à de véritables cours en ligne avec contrôle des connaissances et cohérence des enseignements acquis. Coursera y vient : contrôle des connaissances avec les « verified certificates » pour lesquels Coursera a mis en place une infrastructure de contrôle à distance des examens, cohérence des formations avec les « specializations » ensemble de MOOC cohérents entre eux. Daphne Koller annonce que Coursera aura bientôt le nombre de modules nécessaires pour couvrir une formation d’université et je la crois. En clair Coursera se place dans la course pour offrir une formation alternative aux colleges pour un moindre coût. Son business model est très clair : des MOOC gratuits mais des droits raisonnables pour obtenir des « certified certificates » et des « specializations ». Pour gagner de l’argent, elle suit le modèle de la grande distribution : beaucoup d’étudiants à prix raisonnable plutôt qu’un petit nombre d’heureux élus à coût élevé. Au passage elle explique clairement pourquoi elle a choisi le modèle de l’entreprise privée, contrairement à EdX. Elle déclare qu’elle ne cherche pas à gagner de l’argent mais simplement à rentrer dans ses coûts. L’entreprise lui permet un circuit de décision court et donc de coller à la réalité d’une évolution de l’enseignement supérieur extrêmement mouvante. Elle ne veut pas devoir attendre une décision, longue à venir de plusieurs sénats universitaires. Elle rejette l’idée d’une pression de ses partenaires privés et explique que les universités qui ont contribué à son offre (mais ne participent pas à la décision) sont beaucoup plus pressées d’avoir un retour de leur investissement, probablement, je pense, parce que développer un MOOC coûte fort cher et qu’il faut trouver les ressources pour continuer. Dans le modèle de l’université américaine qui est une entreprise, je la crois volontiers.

Pour terminer elle explique bien comment elle va étendre son entreprise au monde entier : en traduisant les cours dans les différentes langues, bien sûr, mais également en les localisant, c’est à dire en les adaptant aux cultures locales. Elle est parfaitement consciente de l’importance de cette adaptation. Demain elle distribuera des cours en français pour la France et également en français, mais éventuellement modifiés pour les pays francophones. C’est pourquoi elle est également à la recherche de cours français en provenance des institutions les plus prestigieuses.

Les universités françaises courent-elles un risque ? A court terme, je ne pense pas car notre enseignement est gratuit, ou presque. A plus long terme, peut-être, pour les moins connues. Dans le domaine de la formation continue et tout au long de la vie, qu’elle aborde également dans son message, elle peut prendre une grande part d’un marché que nos institutions n’ont jamais bien abordé. Même nos écoles les plus prestigieuses n’y résisteront pas. Je suis beaucoup plus pessimiste que pour la formation initiale.

Demain, si nous ne réagissons pas, c’est toute la francophonie qui sera atteinte. Si l’Enseignement Supérieur français veut continuer à exister à l’international, dans le domaine de l’enseignement, il est plus que temps de réagir et de mener une politique cohérente. L’état doit investir non seulement pour aider les universités à développer l’offre mais également pour les diffuser. Les britanniques, les espagnols nous précèdent largement et abondent leur plateforme nationale.

Sinon, nous laisserons la place, une fois encore, en Asie comme en Afrique et même peut-être en France à d’autres. Je revendique pour la France, le devoir de participer au développement culturel et à l’éducation, au niveau international.

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Plutôt Bérénice … (bis)

charlieJ’avais préparé ce billet avant les événements de cette semaine et le massacre ignoble de personnes qui voulaient simplement vivre en liberté. Je le publie néanmoins parce que je crois au progrès, que je reste optimiste et que le passé n’est pas là pour imposer ses règles à notre société. La démocratie, c’est la liberté donc le mouvement et la dynamique. Et ceci nous ramène à mon sujet.

Un article du Monde paru le Nouvel An, dans une page de débats sur l’année politique vue par les écrivains me renvoie à ma chronique du 30 novembre 2014. Madame Danièle Sallenave y dénonce le numérique ou plus exactement « le passage au tout numérique ». Claude Lelièvre a déjà dénoncé dans ces pages ses erreurs, notamment sur « l’histoire multiséculaire de la transmission ». Effectivement le modèle de la classe que nous connaissons encore aujourd’hui est une invention du 19ème siècle lorsque l’enseignement a été massifié sous la troisième république.

Mais mon propos n’est pas celui-ci. La question que je me pose est de savoir si la pédagogie du 21ème siècle peut encore être la même que celle du 20ème et même du 19ème siècle et, plus particulièrement, à l’université bien que le problème soit général. En posant la question j’y réponds implicitement : évidemment non. L’Ecole n’est pas isolée de la société. Celle-ci change, l’Ecole aussi donc le rôle du professeur. Une université aussi férue de traditions qu’Oxford, où les étudiants disposent chacun d’un mentor qui les suit chaque semaine et les aide à construire leur parcours personnel, remet aussi en cause l’amphithéâtre transmissif.

Et l’une des raisons pour lesquelles la pédagogie doit changer est bien que l’Ecole et la famille ne sont plus les seuls lieux d’apprentissages de la jeune génération. Madame Sallenave peut le regretter mais c’est un fait que l’Internet, sous toutes ses formes, est devenu un vecteur fondamental de diffusion des informations, les meilleures comme les pires, comme nous le vivons douloureusement ces jours ci. Partant de ce constat le numérique s’introduit naturellement dans l’éducation. Il est part de notre société aujourd’hui donc également de l’éducation.

Mais il ne faut pas confondre le numérique avec les engins, tablette, ordinateur et smartphone, qui permettent de le mettre en œuvre. Sur ce point Madame Sallenave n’a pas tord : il ne sert à rien de multiplier les terminaux si les outils pédagogiques n’ont pas préalablement été mis en place et si les professeurs n’ont pas été formés à leur usage. On se retrouve alors avec des dispositifs qui coutent fort chers et qui ne servent pas. Un excellent exemple est celui du TBI, le tableau blanc interactif. Un TBI, en soi, cela ne sert pas à grand chose sinon à s’amuser à faire avec les doigts ou un stylo sur un tableau, ce que l’on fait avec une souris sur un écran d’ordinateur. Si on se limite à cet usage un simple vidéoprojecteur est bien suffisant. Par contre si l’on veut vraiment introduire de la pédagogie, un outil comme Sankore permet d’employer un TBI pour des usages pédagogiques et là il devient vraiment intéressant. La raison en est que Sankore ne se limite pas à pouvoir à être une interface mais contient également des outils qui permettent de faire de la pédagogie.

En voici un autre exemple, plus proche de mes centres d’intérêt : les LMS (Learning Management Systems) ou plateformes d’enseignement ne sont devenus des outils utiles à la pédagogie, pour la majorité des enseignants, que depuis la montée en puissance des MOOC qui, eux mêmes, ont mis en œuvre une autre forme, déjà ancienne, de la pédagogie : la classe inversée. Les plateformes d’enseignement d’un coté, la classe inversée d’autre part existaient bien avant les MOOC. C’est leur mise en œuvre conjointe dans une vision pédagogique qui en fait la valeur. Et cette mise en œuvre ne peut se faire qu’avec des enseignants, d’abord ceux qui construisent les cours, puis ceux qui les animent.

Oui Madame Sallenave « l’instruction n’est pas un branchement aux sources du savoir. Le numérique ne livre pas les clefs […] de la compréhension » mais c’est un outil puissant pour y parvenir, outil adapté au 21ème siècle. Il faut toujours une école et des enseignants mais des enseignants qui enseignent différemment et qui, pour cela, ont besoin d’être formés. Le problème n’est pas particulier à la France. C’était l’un des thèmes centraux de la conférence « Education in the Digital Era » organisée par la Commission Européenne à Bruxelles en décembre. La pédagogie du 21ème siècle se fera avec le numérique et cela ne remet pas en cause l’importance fondamentale des enseignants. Simplement leur rôle évolue et il faut mettre en place une politique du changement avec les personnes concernées et, en tout premier lieu avec les enseignants.

Cela est aussi important, voire plus, que de multiplier les dispositifs mais c’est évidemment beaucoup plus compliqué, beaucoup plus onéreux et, problème pour les politiques, bien moins spectaculaire vis à vis de leurs électeurs que d’inonder les classes avec des tablettes ou tout autre dispositif.

 

 

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