J’avais préparé ce billet avant les événements de cette semaine et le massacre ignoble de personnes qui voulaient simplement vivre en liberté. Je le publie néanmoins parce que je crois au progrès, que je reste optimiste et que le passé n’est pas là pour imposer ses règles à notre société. La démocratie, c’est la liberté donc le mouvement et la dynamique. Et ceci nous ramène à mon sujet.
Un article du Monde paru le Nouvel An, dans une page de débats sur l’année politique vue par les écrivains me renvoie à ma chronique du 30 novembre 2014. Madame Danièle Sallenave y dénonce le numérique ou plus exactement « le passage au tout numérique ». Claude Lelièvre a déjà dénoncé dans ces pages ses erreurs, notamment sur « l’histoire multiséculaire de la transmission ». Effectivement le modèle de la classe que nous connaissons encore aujourd’hui est une invention du 19ème siècle lorsque l’enseignement a été massifié sous la troisième république.
Mais mon propos n’est pas celui-ci. La question que je me pose est de savoir si la pédagogie du 21ème siècle peut encore être la même que celle du 20ème et même du 19ème siècle et, plus particulièrement, à l’université bien que le problème soit général. En posant la question j’y réponds implicitement : évidemment non. L’Ecole n’est pas isolée de la société. Celle-ci change, l’Ecole aussi donc le rôle du professeur. Une université aussi férue de traditions qu’Oxford, où les étudiants disposent chacun d’un mentor qui les suit chaque semaine et les aide à construire leur parcours personnel, remet aussi en cause l’amphithéâtre transmissif.
Et l’une des raisons pour lesquelles la pédagogie doit changer est bien que l’Ecole et la famille ne sont plus les seuls lieux d’apprentissages de la jeune génération. Madame Sallenave peut le regretter mais c’est un fait que l’Internet, sous toutes ses formes, est devenu un vecteur fondamental de diffusion des informations, les meilleures comme les pires, comme nous le vivons douloureusement ces jours ci. Partant de ce constat le numérique s’introduit naturellement dans l’éducation. Il est part de notre société aujourd’hui donc également de l’éducation.
Mais il ne faut pas confondre le numérique avec les engins, tablette, ordinateur et smartphone, qui permettent de le mettre en œuvre. Sur ce point Madame Sallenave n’a pas tord : il ne sert à rien de multiplier les terminaux si les outils pédagogiques n’ont pas préalablement été mis en place et si les professeurs n’ont pas été formés à leur usage. On se retrouve alors avec des dispositifs qui coutent fort chers et qui ne servent pas. Un excellent exemple est celui du TBI, le tableau blanc interactif. Un TBI, en soi, cela ne sert pas à grand chose sinon à s’amuser à faire avec les doigts ou un stylo sur un tableau, ce que l’on fait avec une souris sur un écran d’ordinateur. Si on se limite à cet usage un simple vidéoprojecteur est bien suffisant. Par contre si l’on veut vraiment introduire de la pédagogie, un outil comme Sankore permet d’employer un TBI pour des usages pédagogiques et là il devient vraiment intéressant. La raison en est que Sankore ne se limite pas à pouvoir à être une interface mais contient également des outils qui permettent de faire de la pédagogie.
En voici un autre exemple, plus proche de mes centres d’intérêt : les LMS (Learning Management Systems) ou plateformes d’enseignement ne sont devenus des outils utiles à la pédagogie, pour la majorité des enseignants, que depuis la montée en puissance des MOOC qui, eux mêmes, ont mis en œuvre une autre forme, déjà ancienne, de la pédagogie : la classe inversée. Les plateformes d’enseignement d’un coté, la classe inversée d’autre part existaient bien avant les MOOC. C’est leur mise en œuvre conjointe dans une vision pédagogique qui en fait la valeur. Et cette mise en œuvre ne peut se faire qu’avec des enseignants, d’abord ceux qui construisent les cours, puis ceux qui les animent.
Oui Madame Sallenave « l’instruction n’est pas un branchement aux sources du savoir. Le numérique ne livre pas les clefs […] de la compréhension » mais c’est un outil puissant pour y parvenir, outil adapté au 21ème siècle. Il faut toujours une école et des enseignants mais des enseignants qui enseignent différemment et qui, pour cela, ont besoin d’être formés. Le problème n’est pas particulier à la France. C’était l’un des thèmes centraux de la conférence « Education in the Digital Era » organisée par la Commission Européenne à Bruxelles en décembre. La pédagogie du 21ème siècle se fera avec le numérique et cela ne remet pas en cause l’importance fondamentale des enseignants. Simplement leur rôle évolue et il faut mettre en place une politique du changement avec les personnes concernées et, en tout premier lieu avec les enseignants.
Cela est aussi important, voire plus, que de multiplier les dispositifs mais c’est évidemment beaucoup plus compliqué, beaucoup plus onéreux et, problème pour les politiques, bien moins spectaculaire vis à vis de leurs électeurs que d’inonder les classes avec des tablettes ou tout autre dispositif.